... "il s'endormit aussitôt, le cerveau parfaitement vide".

Je suis en train de lire La Carte et le territoire. Quatre chapitres, pour l’instant, de préambule. Et deux de la première partie Et je suis partagée entre dégoût, ennui insurmontable, et perplexité très profonde. Jed Martin a eu une panne de chauffe-eau le 15 décembre, et il a été dépanné par un plombier croate qui va quitter le boulot pour s’investir dans le tourisme en rentrant au pays natal, - suit le prospectus. Il a des problèmes de communication avec son vieux père, qui pourtant, connaît Michel Houellebecq, un très bon écrivain (c’est le père qui le dit, mais le père ne serait-il pas une émanation de l’auteur ? ça me fait penser à Marcel Maréchal, parvenu depuis quelque temps déjà au sommet de l’histrionisme, qui dans une de ses dernières pièces, un ragoût de scènes classiques du répertoire, faisait faire par Molière soi-même l’éloge de je ne sais plus quelle pièce d’icelui récemment montée par Marcel Maréchal - Georges Dandin, c'est ça -, Houellebecq donc très bon écrivain parce que connu mondialement, qui pourrait lui faire le texte du catalogue de sa prochaine expo. Paske c’est un artiste, JM, et il cale sur sa toile Jef Koons et Damien Hirst se partagent le marché de l’art. D’ailleurs il cale tellement qu’après l’avoir mise en pièces il dégueule dessus et c’est la fin du préambule, « il était visiblement parvenu à une fin de cycle ». Digestif, au moins.

Alors voilà. Je me suis dit qu’il fallait quand même que j’essaie de comprendre. Évidemment, je suis trop peu avancée dans ma lecture pour percevoir encore ce qu’il y a dans cet ouvrage couronné par le Goncourt de « résolument classique et d’ouvertement moderne ». Ou alors, je suis une buse - hypothèse que je n’exclus nullement, vraiment. Parce que pour l’instant, je n’y vois que de l’ouvertement ringard et du résolument roublard. En fait, ça me fait terriblement penser à Marc Lévy. Du coup, j’ai vérifié sur wikipedia, Marc Lévy aussi est un écrivain français mondialement connu, qui a vendu ses bouquins à 20 millions d’exemplaires toutes langues confondues. Mieux que Houellebecq, donc (et il est nettement plus décoratif…), et avec le même genre de procédés : recopiage de listes, de catalogues, de modes d’emploi,  d’articles wikipedia, usage de l’italique (ça, ce n’est peut-être pas ML, qui d’autre ?) pour mettre en évidence les mots importants comme « transistor »  ou « concert de rock », ou « bikers » ou « vieux routiers, à l’ancienne, faisait commerce de ses charmes, maquereau, Et maintenant je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde, subprimes, reposer en paix »… (bilan express de mon relevé dans le chapitre II : la liste appelle la liste ! si j’essaie de trouver à l’ensemble une cohérence, sont-ce des mots désuets, ou étrangers, ou desquels le narrateur se distancie, ou des citations, ou tout ça à la fois ?). Le recopiage, donc. L’utilisation de la plasticité du genre romanesque pour y faire entrer des corps étrangers. Ben, y avait un auteur, Balzac, je crois (*écrivain français, dit la note en bas de page, sur le sujet de bac), qui y avait déjà fait entrer un compte de retour, un prospectus d’eau carminative, une affiche, une partition et que sais-je encore, et c’était il y a longtemps, 160 ans, plus même.

Et puis la présence de Michel Houellebecq comme personnage dans la narration du narrateur qui n’est pas l’auteur si vous me suivez. Ça aussi c’est super nouveau. Extraordinaire comme la pratique de l’incantation est efficace encore aujourd’hui. Comme Christine Angot : je me suis fait mal, encore, en écoutant de bout en bout une émission de France Culture où elle était invitée, avec Georges Kiejman, un type pas idiot, a priori, qui lui avait écrit pour la féliciter de son roman, Les Petits (à des fins pratiques, semble-t-il, il trouvait que sa description des cellules de garde à vue ( ?) valait mieux qu’un rapport d’experts). Brèfle. La dame a affirmé en toute tranquillité que la nouveauté radicale de son œuvre résidait dans le fait qu’elle était écrite à hauteur d’enfant, avec le regard des enfants sur le monde des adultes, ce qui ne s’était pas fait dans la littérature, qui voyait les choses à hauteur d’adulte. ???????? Moi, j’ai lu Rousseau, James, Dickens, Vallès, le Petit Nicolas pour ne citer qu’eux, et Harper Lee quand même, et il me semblait qu’ils avaient déjà au moins aplani le terrain. Ben non. Personne ne lui en fait la remarque et le truc passe comme une lettre à la poste, c’est la méthode Coué, super efficace. Houellebecq, pareil. Moi qui suis un peu lectrice, je crois que ce que j’ai lu de mieux comme étrangeté de la posture du narrateur (ou de l’auteur ?), ces dernières années, c’est Ouest, de François Vallejo. Un type ringard, prof de lettres classiques et traduit à même pas un million d’exemplaires, je parie. Pas la peine d’en parler ni de lui filer le Goncourt, c’est quand même pas un ennemi public, et en plus son roman est historique, ou quasi.

Mais revenons à La Carte et le territoire, titre potable au demeurant, on peut pas lui enlever ça à Houellebecq, il a le sens des titres. Donc : y a-t-il une fonction esthétique quelconque à ces recopiages ? étirer le temps de la narration, projeter le lecteur dans le passé, le futur, ou simplement répondre à l’épigraphe (pauvre charmant Charles d’Orléans) en l’ennuyant à la mesure de l’ennui du narrateur ? de l’auteur ? du "personnage" ? ou encore plus simplement faire du remplissage ?

Ce que je me demande aussi, c’est pourquoi il utilise le subjonctif imparfait, et encore, pas toujours. Par souci de classicisme ? pour nous faire réviser les conjugaisons ? pour attiser notre sens de l’incomplétude ? je crois qu’il faut que j’avance dans ma lecture. Parce que toutes ces questions, c’est frustrant, et c’est lassant. Et ce n’est pour l’instant pas l’avalanche de formules gnomiques, aphorismes, sentences ou apophtegmes, qui relie sans doute notre auteur à la grande tradition des moralistes classiques, qui m’aura éclairée.

Buse, finalement, sans doute.

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