Jorge Amado - Dona Flor et ses deux maris

Ça parle cuisine brésilienne et cachaça sur France Inter. Personne ne citera donc cette merveille de roman enjoué qu’est Dona Flor et ses deux maris ? Dona Flor, sémillante grande prêtresse de l’École Culinaire Saveur et Art, dès l’ouverture du roman veuve éplorée de Vadinho, grand amateur de cachaça et mort en plein carnaval, déguisé en bahianaise.
Je n’ai jamais pris le temps d’évoquer ici les romans de Jorge Amado - la façade colorée de sa maison orne, depuis combien d’années ? la porte de mon frigo, envoyée un jour par Laurence. Il faudrait en vérité que je prenne le temps d’en relire quelque peu, mais comme littérature reconstituante, Amado, c’est une mine. Il fut un temps où il était dans la zone « prêt public » de la bibliothèque Carnegie de Reims, et il fallait vraiment bien viser pour trouver un de ses romans sur les rayonnages. Signe infaillible d’une œuvre populaire, au meilleur sens du terme, où les insertions de recettes (toujours la plasticité du roman !) pimentent et ensoleillent la lecture, sans commune mesure avec les recopiages de catalogues divers de mobilier et autres décos des romans à la mode, ce n’est pas du Marc Lévy !


Voici donc : 

-          Les sous-titres :

Ésotérique et émouvante histoire vécue par dona Flor, professeur émérite d’art culinaire, et ses deux maris, le premier surnommé Vadinho, le second, le docteur Teodoro Madureira, pharmacien de son état.

                                              ou
 

La terrible bataille entre l’Esprit et la Matière, contée par Jorge Amado, écrivain établi dans la quartier de Rio Vermelho, dans la ville de Salvador de Bahia de tous les saints, aux alentours du largo de Sant’Ana, où demeure Yemanjá, déesse des eaux.

 -          Les épigraphes :

Dieu est gros
(révélation de Vadinho à son retour)

La terre est bleue
(Gagarine l’a confirmé après le  premier vol spatial)

Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place
(Sentence écrite sur le mur de la pharmacie du docteur Teodoro Madureira)

 

 

Ah !
(soupira dona  Flor).

 

 

 -          et enfin le premier intermède culinaire, à l’orée du roman :

ÉCOLE CULINAIRE SAVEUR ET ART

 Que faut-il offrir lors d’une veillée funèbre, et quand ?
(Réponse de dona Flor à la question d’une élève.)


Bien que ce soir un jour désordonné de lamentations, de tristesse et de pleurs, ce n’est pas une raison pour laisser la veillée s’écouler à jeun. Si la maîtresse de maison, sanglotante et prête à s’évanouir, plongée dans la douleur, ou morte dans le cercueil, n’est pas en état de le faire, un parent ou une personne amie se charge alors d’organiser la veillée, car on ne va pas laisser ainsi, sans manger ni boire, les malheureux réunis solidairement pour la nuit ; parfois en hiver et par temps frais.
Pour qu’une veillée funèbre s’anime et honore réellement le défunt qui la préside, lui rendant légère la première et confuse nuit de sa mort, il convient de s’en occuper avec sollicitude, de veiller au moral et à l’appétit.
Quand et que faut-il offrir ?
Quand ? C’est simple : la nuit entière, du commencement jusqu’à la fin. Le café est indispensable à toute heure, en petites tasses bien entendu. Pour ce qui est du café, complet avec lait, pain, beurre, fromage, biscuits, quelques gâteaux de manioc, des tranches de gâteau de semoule avec des œufs sur le plat, seulement le matin et pour ceux qui auront veillé toute la nuit.
Le mieux est de conserver l’eau dans la bouilloire pour que le café ne manque pas, il arrive des gens à tout moment. Des gâteaux secs et des biscuits accompagnent le cafèzinho.  De temps à autre, un plateau d’amuse-gueule qui peuvent être de petits sandwiches au fromage, au jambon, à la mortadelle, des choses simples, par décence envers le défunt.
Mais si la veillée funèbre est de haute catégorie, de ces veillées avec de l’argent à foison, alors s’impose à minuit une tasse de chocolat épais et bien chaud, ou un bouillon de poule bien gras. Pour finir, des boulettes de morue, des fritures, croquettes variées, friandises, fruits secs.
Comme boisson, si c’est une maison aisée, outre le café, il peut y avoir de la bière ou du vin, juste un verre et seulement pour accompagner le bouillon de poule et la friture. Jamais de champagne, ce n’est pas considéré de bon ton.
Que la veillée soit riche ou pauvre, il faut en tout cas, constante et nécessaire, de la bonne cachaça. Tout peut manquer, même le café, elle seule est indispensable. Sans son réconfort, il n’y a pas de veillée qui vaille. Une veillée funèbre sans alcool est un manque de considération envers le défunt, cela signifie indifférence et cruauté.


D’exhumer des rayonnages mon volume de poche de Dona Flor, en loques et singulièrement gondolé par une chute partielle et lointaine dans une baignoire – très laide couverture montrant une photo de Brésilienne en grande tenue de reine de carnaval –  et d’en recopier les passages que je viens de citer me redonne, incontinent, le sourire. Je me souvenais, in extenso et dans le texte, des épigraphes. Elles m’ont rendu le souvenir de la belle édition, bleu charrette ou quasi, dans laquelle j’avais découvert l’univers d’Amado, chez Stock, dans la Bibliothèque Cosmopolite. Il y avait aussi le rose de l’énorme pavé Tieta d’Agreste ou le retour de la fille prodigue, le marron de Gabriela, girofle et cannelle…. Ils n’en ont pas parlé, sur France Inter. Honte sur eux, et quant à vous, amis lecteurs et lectrices, si vous y mettez le nez, vous entrerez dans un univers savoureux, coloré, chantant, épicé, cruel ou truculent, malicieux… Roboratif.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?trackback/539

Fil des commentaires de ce billet