"L'explorateur et la murène*", Jørn Riel au salon du Livre

Jørn Riel a encore des racontars à écrire ! - combien ? - c’est selon « le temps qui lui sera laissé »…

Je n’aime pas le Salon du Livre, cette grand messe saturée de bruit et qui donne le tournis, où l’on voit des cohortes de gens en file comme au ravitaillement attendant d’obtenir de tel ou tel auteur-culte sa griffe sur la page de garde ou de titre d’un bouquin frais acheté, cependant que d’autres, moins connus voire obscurs, poireautent solitaires et patients devant leur pile de bouquins ignorée ; ça fait mal pour les dédaignés, comme pour les courus qui signent à la chaîne, et même si l’on y découvre au détour des allées tel auteur familier, telle maison d’édition aimée, ou quelle taille gigantesque a atteinte Actes Sud à présent, (qui occupe avec les maisons associées tout un quartier), ou encore des éditeurs confidentiels ou inattendus - le plaisir n’est pas le même que lors des rencontres en librairie, par exemple.

Mais Jørn Riel était au Salon du Livre. Comment résister ? Il était l’invité du Centre National du Livre, de 2 à 3, ce samedi 19 mars. Interviewé par Josyane Savigneau, certes, annonçait le programme, perspective peu engageante voire franchement improbable. Mais pour voir et écouter  cet auteur dont j’aime tant les Racontars Arctiques qu’ils ont fait l’ouverture de ce blog, bonheur de littérature à la fois populaire et savante, malicieuse et profonde, j’ai fait le trajet jusqu’à Paris, et me suis mise dans le labyrinthe des allées en quête de N54, où devait se dérouler la « conférence (?)».

Jørn Riel est désormais un vieux monsieur au visage de cacique pince-sans-rire, mais à la silhouette voûtée et à la voix fragile. Dans la petite salle bondée, on peut le supposer, de ses lecteurs, il se tenait assis derrière la table de conférence, entre son interprète, à sa gauche, une dame chaleureuse qui notait tout avant de tout traduire scrupuleusement et avec vivacité, et la critique ( ?) chargée de l’interviewer. Une « dame au nez pointu », le visage immobile, le regard quêteur. Une jolie voix, certes, mais quel naufrage ! Mme Josyane Savigneau, ex-rédactrice en chef du Monde des Livres !, actuelle collaboratrice épisodique de Jeux d’épreuves à France Culture, doit ignorer que Jørn Riel est un écrivain. Elle a interviewé, à ce que j’ai pu en démêler, un homme, un explorateur, un chasseur. Et craignant sans doute que l’âge - qui sait ? - n’ait altéré son talent de conteur, elle nous a (et lui a) raconté (mal) quelques-unes de ses histoires : d’où il appert qu’elle a dû en relire trois volumes : La Vierge Froide, La Maison de mes pères, et La Maison des célibataires.

Nous avons donc eu droit à des questions sur la médecine en Groënland (- Le premier médecin se trouvant à 900 kms, nous n’allions pas tous les jours à la consultation, ombre de sourire sous la moustache), sur l’expérience propre de l’auteur dans ce domaine : - J’étais passé maître dans l’extraction des dents avec une pince-perroquet… Oui, il m’est arrivé une fois de couper un petit doigt avec… ici la traductrice doit déclarer son incompétence en matière de vocabulaire technique (rires) avec une pince en biseau. Grimace dégoûtée de l’intervieweuse, genre pie-grièche de salon. Mais vous ? – Moi j’ai eu la chance de ne pas avoir souvent besoin de recourir aux services de la médecine, sauf récemment, où on m’a changé un ventricule du cœur. – Oui, mais vous n’étiez pas au Groenland. – Non, c’était à Singapour. Et on m’a mis à la place du ventricule un petit morceau de bœuf. Depuis mes petits enfants m’appellent Sitting Bull. Autre sourire « tongue in cheek », aucune réaction de dame Belette. Il y a eu la longue litanie des radotages à propos d’Emma, la « vierge froide », une femme vraiment épatante a-t-elle compris, au point qu’elle le répète et le fait répéter à x reprises (perplexité courtoise du vieux monsieur), ce qui finirait par rendre presque gênantes les implications érotiques de l’invention par Mads Madsen de ladite vierge circulante ainsi brutalement jetée sur la voie publique, d’autant plus que Mme S.(bip) – comme la désignent Jourde & Naulleau dans leur désopilant ‘‘Lagarde et Michard’’ de la littérature d’imposture du XXe siècle – en vient à prier, avec non moins d’insistance, Jørn Riel de « nous » créer un homme à la manière d’Emma. Nous. Il y avait des hommes en pagaïe dans la salle. Mais nous = les femmes ? donc je  devrais avoir quelque chose à partager avec J. S. ? un imaginaire érotique en outre ??? à quoi l’auteur toujours courtoisement surpris fait remarquer que ce genre d’invention revient aux femmes. Ça paraît tomber sous le sens, mais pas celui de la dame, qui insiste jusqu’à ce que le sujet tombe, et qu’elle n’en relance, péniblement et toujours sur le mode de la paraphrase, un autre.

Les lecteurs de Jørn Riel présents en N54 ce jour-là ne sauront donc rien de ses influences littéraires, de sa manière de travailler, de sa poétique de conteur-qui-écrit, ni d’ailleurs du tressage du mode comique avec le mode tragique dans l’œuvre. Même pas si le crâne poli de la vieille dame qui est devenue la Ninioq du Jour avant le lendemain a enfin trouvé sépulture ou si elle lui tient toujours compagnie sur son bureau, chose que j’ai lue quelque part dans une interview de l’auteur réalisée il y a quelques années. Auteur abandonné, fragile, derrière sa table, sur une dernière lourde bourde, dès l’heure sonnée. Elle a fait sa pige, la grincheuse, et s’est évaporée sans même le remercier, au nom des lecteurs, des joies qu’il nous a dispensées. C'est pas que je l'aie regrettée, mais tout cela manquait furieusement de courtoisie. Le rire « donne un beau visage », selon les Eskimos (il disait Eskimo, Riel, je l’ai entendu à plusieurs reprises !), il nous l’a même dit dans cette langue (elle l’avait prié de le dire en danois) mais je n’arrive pas à relire mes notes ! - le rire donne un beau visage, ben pas à l’amatrice de Sollers et de Christine Angot, quelle idée LOUFTINGUE  de confier à une papesse des lettres de salons parisiens cet entretien, j’en avais honte. Ce qui aurait dû être un moment de partage a plutôt tiré vers un exercice académique improbable, irritant. Tant pis. Mon exemplaire Gaïa d’Une Odyssée littéraire porte désormais la signature de l’auteur que j’ai, quant à moi, remercié en anglais, et dont je continuerai à dispenser, à ceux que j’aime, les Racontars si humains, « pour ce que rire est le propre de l’homme ». Implorons les dieux eskimos qu’il soit lui laissé encore bien du temps pour qu’il nous offre ceux qu’il porte en lui.

* Homophonie approximative papouesque inspirée de Lampedusa ^^...

Commentaires

1. Le lundi, mars 28 2011, 09:43 par Dominique

je me souviens de mon premier racontar lu : c'était dans un train, j'étais secouée de rire et je m'attirais les regards un peu suspects de mes voisins de compartiment

2. Le vendredi, novembre 4 2011, 10:43 par helene

retrouvez l'adaptation théâtrale à paris !

Enfin au théâtre, les racontars Arctiques de Jorn Riel adaptés !

En novembre 2011 au Funambule !!!

Le Funambule - Montmartre

53 Rue Saules, 75018 Paris

Métro : Lamarck - Caulaincourt

tel/résa : 01 42 23 88 83

www.funambule-montmartre.com

Les Etoiles Polaires se jouent du mardi au samedi à 21h30 tout le mois de novembre 2011 --- la représentation dure 1h20.

Le Pitch : Ah le grand nord !

Vivre au grand air dans une nature fantastique et sauvage ! Survivre seul avec son traîneau et ses chiens, au pays des ours blancs...

Sauf que sur la Côte Nord-Est du Groenland, on n'est pas tout seul et qu'on ne choisit pas ses compagnons de baraque.

Sauf qu'un ours blanc c'est une tonne de rage pure qu'on n'entend même pas débouler avec le vent qui vous hurle dans les oreilles.

Sauf qu'il fait nuit la moitié de l'année et qu'on passe son temps bourré à l'alcool de patate à trébucher sur des merdes de chiens gelées pour s'étaler parmi les carcasses de boîtes de corned-beef.

Heureusement qu'il y a Emma. La plus brillante des étoiles polaires... »

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