Katharina Hagena - Le Goût des pépins de pomme

 Le titre est plaisant, suggestif. La couverture épatante, appétante : j’aime les planches botaniques, et celle-ci est particulièrement jolie : rameau fleuri, fruit (cox orange ? boskop ?), coupe transversale, coupe longitudinale, et les pépins, bien nets, dans leur loge étoilée, dans leurs loges jumelles, ou tout seuls sur la planche, graines modestes, sources de saveur, promesse de renaissance. J’ai cru un moment que l’éditeur était Phébus, il y a des couvertures de ce genre pour André Dhôtel me semble-t-il, mais non : c’est Anne Carrière, dont j’ai ainsi découvert  l’existence.

Dès la première page, les fruits du verger familial entrent en résonance étroite avec la vie des habitants. Les groseilles rouges sont devenues à tout jamais blanches à la mort d’Anna, on en fait une gelée de larmes. Et puis il y a le grand pommier au cœur du verger, qui a pu fleurir ou défleurir, ou porter brusquement une moisson de fruits, au fil des heurs et des malheurs de la famille. Iris est la dernière rejetonne d’une lignée de femmes : Bertha, la grand-mère récemment décédée, toujours plus égarée au fil du temps, et ses trois filles devenues ses « mères », Inga, Harriet et Christa, avec leurs drames et leurs tourments intimes. Restée seule dans un hors-temps de sa vie de bibliothécaire célibataire, Iris explore la maison désertée et ses aîtres, dont elle est l’héritière, sur les traces du passé familial et de son propre passé. C’est elle la narratrice, comme elle est aussi le témoin partiel des drames et des secrets de la famille, que son séjour dans la maison va lui permettre d’explorer, de retrouver, de racheter. Et puis il y a Max, dernier témoin de leur enfance et de leur adolescence, resté sur place par fidélité au bourg, à son « lac noir, [ses] forêts de bouleaux, [son] écluse et [ses] nuages au-dessus des pâturages gorgés de pluie ». Max, qui est avoué, et justement chargé de la succession de la famille, et qui voit sans cesse surgir au cœur de sa solitude Iris en ses très excentriques équipées hors de la maison - contrepoint sentimental et souvent humoristique à la gravité du propos, à la réflexion qu’il offre sur la mémoire et son absence, sur la transmission.

C’est un joli roman, une histoire sombre et sobre, teintée étrangement d’une aura de magie presque latino-américaine.

C’est Sylviane, à la librairie Martelle, qui me l’a conseillé comme livre à offrir. Après quoi, appâtée, je l’ai emprunté à Virginie, et je l’ai  lu. En cet automne fécond, si vous aimez les livres, les travaux du jardin, et les conserves et concoctions d’avant l’hiver, laissez-vous séduire et suivez Iris, ses robes du soir, sa bicyclette et ses fantômes sur ses chemins semés de pépins de pommes.

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