Le Jourde & Naulleau - Au Secours, Houellebecq revient !

            Eric Naulleau est éditeur. C’est aussi un pamphlétaire. Je l’ai découvert pour ma part il y a six ans, un dimanche, en une période où je travaillais de façon assez frénétique sur un programme imposé. Infraction dans ma ligne de travail, lecture subreptice du Jourde & Naulleau, éclats de rire. Ce manuel à la manière du Lagarde & Michard rassemble avec le plus grand sérieux ce que les auteurs considèrent comme la littérature d’imposture de la fin du XXe et du début du XXIe siècle.

Assignés en justice pour avoir mis en cause dans des ouvrages antérieurs la politique littéraire du Monde des Livres, et plus généralement le microcosme parisien de la critique littéraire, les auteurs ont répondu par ce petit bouquin qui, sur le modèle  de l’illustre précis de littérature, présente, pour chacun des auteurs visés, une mini bio, suivie d’une étude de l’esthétique de l’auteur et du courant littéraire auquel il appartient (majoritairement, le courant dit de « Durassic Park » ^^), enfin des extraits d’œuvres avec notes en bas de page et exercices. Démarche si rigoureusement fidèle à la tradition classique du commentaire de texte qu’elle en est plus désopilante. Certains des lecteurs de l’opus ont accusé les auteurs d’avoir pastiché leurs victimes pour les mieux discréditer. Que nenni ! le pastiche porte, non sur les auteurs étudiés, mais sur la forme du manuel. Les extraits des auteurs-phares de notre littérature hexagonale, Camille Laurens, Marie Darrieussecq, Christine Angot, BHL, Dominique de Villepin ou Philippe Sollers sont, hélas ! rigoureusement authentiques. Pour moi, qui ai dû un jour – par nécessité professionnelle (Goncourt des Lycéens) – m’avaler l’intarissable pavé intitulé Ni Toi ni moi (− Nous non plus !) la lecture du Jourde et Naulleau a eu quelque chose d’une revanche contre la nullité de cette logorrhéique prose du nombril, accompagnée d’un chœur critique qui, à grands renforts de concepts littéraires dévoyés, encense ce qui relève de la pure imposture.

Camille Laurens. Jolie femme, douloureuse (écoutez - c’est publié en CD – sa voix égrener ses spirituelles chroniques de vocabulaire, Tissés par mille. La virtuosité du texte est torpillée par l’insurmontable morosité de la voix.). Au fil de ses romans, cette agrégée de Lettres et spécialiste de La Rochefoucauld débite des historiettes sentimentales tendance porno soft, dont la seule légitimité littéraire semble l’accumulation des références qui les ponctuent. Il me reste de ma lecture accablée de Ni Toi ni Moi – roman épistolaire, soyons modernes, par courriels de la seule héroïne, et réécriture de l’Adolphe de Benjamin Constant, où, par apocopes successives, Ellénore devient Hélène, puis Elle -  le souvenir d’une scène de fellation à Amsterdam ( ?) – pas à Bécon-les-Bruyères, en tout cas – avec le lexique y afférent, mais sur fond de Kindertotenlieder (mânes d’Onan, nous te saluons !). Le J &N consacre à l’œuvre de ce bas-bleu une étude qui, un jour de neige de décembre dernier, a déclenché chez mes rares élèves, incrédules, une mémorable tranche de rigolade. Preuve s’il en est besoin de l’efficacité comique de ce pamphlet.

             Ce que pointent les ouvrages de Jourde et Naulleau (c’est la lecture de Au Secours Houellebecq revient ! qui est en fait à l’origine de cette note), c’est l’invraisemblable capacité de nos contemporains à ériger - sur le mode de la méthode Coué, assortie de quelques copieuses louches de cuistrerie critique - de tristes pantins et une bonne dose de midinettes et *midinets* sub séries X ou Z, en génies des lettres, au mépris de toute réelle analyse, et même de tout bon sens.
             Prenons, sans référence à Naulleau,  un exemple récent. Je viens d’écrire le peu de bien que j’ai pensé (l’ennui que j’ai éprouvé) à la lecture de Quatre Jours en mars. Répétition incantatoire de prénoms, syntaxe et construction sommaires, traduction très approximative et souvent incorrecte. Or, que disent la presse et les médias sur ce bouquin ? qu’il met en scène un beau portrait de femme (soit), qu’il est subtil ( ?), construit (non) et que son succès en France doit beaucoup à la magnifique traduction d’Alain Gnaedig dont l’auteur lui-même fait l’éloge. Que Grøndahl connaisse la France, c’est manifeste, il cite, entre autres, Camus, peut-être est-il francophone, mais son traducteur – si sympathique soit-il - a salopé le travail, je suis désolée ! et la traduction paraît d’autant plus mauvaise qu’elle suit pour moi la lecture de Stefánsson et d’Indridason traduits, magnifiquement, par Eric Boury. Quid donc ?

Mais baste, trêve de digressions. Dans Au Secours Houellebecq revient !, (couverture jaune, petit personnage d’issue de secours en fuite) Naulleau analyse dans un dialogue avec Jean-Loup Chiflet (son éditeur) et Christophe Absi, la situation de déperdition de la littérature dans le monde éditorial contemporain, et la façon dont un auteur comme Houellebecq s’en nourrit et l’entretient. J’ai laissé trop longtemps ce billet en suspens pour pouvoir rendre compte en détail de l’ouvrage, au demeurant stimulant et drôle : un extrait :

« L’homme surréaliste proclamait avec Breton : ‘‘Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore.’’ Quatre-vingts ans plus tard, l’homme de Houellebecq ne propose rien d’autre que de tituber sans direction à travers bois et de se vautrer dans l’herbe, sans doute pour mieux ramper. A chacun sa gymnastique spirituelle, mais je préfère pratiquer d’autres exercices que la démission sans préavis, la reddition sans même un baroud d’honneur à tout ce que l’existence recèle de plus médiocre, de plus infect, de plus répulsif. » S’ensuit une intéressante remarque sur le mimétisme qui affecte les critiques de notre Goncourt de l’année (dernière), ( « l’auteur de Plateforme », celui de La Possibilité d’une île [du nul, ;-D]), dès lors qu’ils s’approchent de l’homme ou de l’œuvre, illustrée d'une édifiante – et involontairement comique citation d’un article de Sylvain Bourmeau (« bourre-mots » TM), qui fait dans le Houellebecq. Mais le plus stimulant dans cet ouvrage, c’est la réflexion sur les rapports de l’édition, une édition de type capitaliste et la critique complice qui la promeut, avec une littérature et des auteurs envisagés comme des produits.

Ça n’explique pourtant pas, me semble-t-il, comment il se fait que les Anglais ou les Américains, qui connaissent le même genre de phénomènes éditoriaux, voire pire, aient quant à eux maintenu une critique littéraire exigeante. Il n’est que de voir les interviews de Charlie Rose (costume gris, cravate sobrement rayée de rose), celle-ci, de Bernhardt Schlink, par exemple), [il a aussi interviewé McEwan by the way ], pour se dire qu’il n’existe en France plus rien de tel en termes de tenue, à la fois vestimentaire, physique, linguistique, et littéraire. Connaissance approfondie de l’œuvre, pertinence des questions, discrétion de l’interviewer. On en sort avec l’envie de lire le livre, la tête pleine de questions, de réflexions sur le rapport entre l’œuvre et le monde, sur le sens, en somme, de la littérature. Thanks to Naulleau, en tout cas, quels que soient au demeurant ses errements télévisuels, pour autoriser, chez nous aussi et avec panache, un peu de recul, et le sentiment bienheureux d’une revanche, par le  rire, sur le flot complaisant de la doxa critique contemporaine.

* La nouvelle édition du J & N, enrichie (on y trouve Marc Lévy, ou Anna Gavalda) affiche une horrible couverture noire et vert pomme.

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