Westlake - Envoyez les Couleurs

Adoncques Envoyez les couleurs n’est pas un « tôlar ». Car de malfrat ou autres escrocs il n’est pas question dans ce Westlake-là. Lequel, contrairement aux apparences, n’est pas des plus récents, il date de 1969. Le titre anglais est « Up Your Banners », et il a connu en 1972 une édition sous le titre « Pour une question de peau », laquelle m’avait complètement échappé. Non que je lusse Westlake en 72, j’en ignorais jusqu’à l’existence, mais depuis.

Quoi qu’il en soit, le bouquin a été republié en 2009, chez Rivages, qui a récupéré tous les Westlake, et la traduction a été revue.

1969, c’est l’année qui a suivi l’assassinat de Martin Luther King. Il devait être en quelque manière gonflé de publier cette année-là un roman passablement humoristique, une comédie romanesque disons, sur la question noire.

Le héros est Oliver Abbott, dont on associe aisément le nom avec « Rabbit », bien qu’il n’en ait, en somme guère de caractéristiques, même s’il est poursuivi pendant un bon chapitre par des types inquiétants. Le reste du temps, il ferait plutôt face, même quand on veut l’escamoter.

Oliver, qui a toujours voulu s’appeler Matthew, est une sorte de distrait superlatif, une variété de Candide sans Pangloss lâché le jour de la rentrée des classes au milieu d’un collège assiégé par des parents et des élèves furieux… à cause de lui. Un type – 27 ans - qui a jusqu’alors traversé la vie sans faire gaffe à ce qui se passait autour, histoire d’échapper à l’emprise de Papa, très austère, très directif (et pour cause, c’est lui, le directeur blanc du collège à majorité noire), très coincé, et de maman, très soumise, très inquiète, très protectrice. Lesquels lui  ont soigneusement dissimulé que c’était SA nomination à Schuyler Colfax College qui était cause de la campagne de lettres anonymes envoyées chez eux par  « un groupuscule d’énervés » tout au long de l’été.

Distrait, mais observateur, malgré tout. Comme il appert de cette définition du « slum » (quartier de taudis ?) :

« Beaucoup de gens se figurent qu’un slum est un quartier de cages à lapins collectives. Grossière erreur ! South Romulus foisonne d’ensembles locatifs et de pensions de famille qui n’ont aucun rapport avec les étroites bâtisses de brique style Harlem. Non, ce qui caractérise un slum, ce n’est pas son architecture mais le nombre d’épaves qui couchent dans les rues. Et par épaves j’entends des autos veuves de leurs quatre roues, dont toutes les glaces* sont en miettes (*les vitres ?), dont le coffre et le capot baillent, dont on a subtilisé les phares et les poignées de portes, où des cadavres de bouteilles gisent pêle-mêle sur les coussins lacérés à coups de couteaux. Voilà ce que j’appelle une épave et quand vous en rencontrez une, c’est que vous êtes dans un slum parce qu’il n’y a que dans les slums que les services compétents ne mettent pas en fourrière au bout de huit jours maximum les véhicules abandonnés sur la voie publique. »

L’observation est convaincante, la description parfaite. C’est le Westlake urbain qui parle, celui qui évoque de façon si vivante New York dans les préambules aux deux parties d’Aztèques dansants (vous ai-je dit que c’était un irrésistible chef d’œuvre de la littérature burlesque ? Un tôlar, celui-là, au demeurant).

Quoi qu’il en soit, les 97% d’élèves noirs du collège (telles sont les statistiques) et leurs parents, sans parler d’agitateurs plus ou moins anarchistes, refusent à travers la nomination d’Oliver à un poste de professeur d’anglais (inscrite depuis trois générations dans l’histoire familiale, puisqu’il doit succéder à ses père et grand-père) une manifestation de la domination des Blancs assortie de népotisme et de provocation. La première journée à l’école tourne à l’émeute, et Oliver, bombardé de pommes blettes et autres projectiles plus agressifs, se verra providentiellement sauvé par la poigne de judoka d’une somptueuse jeune femme noire : Leona Roof, prof de gym et ceinture noire de judo, membre du « comité pour la désescalade ».  Il en tombe, presque aussitôt, amoureux, et entreprend de la séduire, avec persévérance et conviction.

Je sens bien que les divertissantes mésaventures d’Oliver-Mat et Leona dans New York en pleine effervescence raciale et communautaire ont quelque chose d’incongru. Mais Westlake n’est pas un idéologue, c’est un burlesque, et ce qui l’intéresse, c’est l’individu, certes pas les masses ou autres lobbies. Alors certes sa verve de caricaturiste s’exerce indifféremment sur les diverses variétés de militants communautaristes noirs, comme sur les extrémistes blancs de tout poil que les circonstances amènent à se manifester, comme sur la presse (tous les journalistes s’appellent Bibble, et aucun n’éprouve l’envie de mener une enquête, seulement d’égrener des poncifs) et naturellement sur le foyer parental. Il n’empêche, la mère d’Oliver, à sa façon perplexe, est un personnage très réussi : par grosse chaleur, elle abreuve de limonade maison les manifestants qui cernent son jardin, en fraternisant avec Mrs Letitia Quernik, offensive déléguée des parents d’élèves coiffée d’ « un seau à glace renversé agrémenté de cerises », qui l’aide à presser les citrons….

Fils de moins en moins prudent d’un père irascible mais bientôt dépassé, Oliver devenu Mat se révèle à lui-même – et aux autres – en accueillant non sans plaisir le grand chambardement de sa vie. Envoyez les couleurs est un roman bien mené où domine, encore une fois, le motif majeur de Westlake, le monde vu à travers un œil perplexe : I believe my subject is bewilderment….

but I could be wrong.

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