Du côté de chez ... Wann

La conservatrice de la bibliothèque d’Amiens (merci à elle) et la collection des Lettres de Picardie aux Editions du Trotteur Ailé sises à Cuise-la-Motte m’ont offert l’occasion de lire Wann-Chlore, roman de jeunesse publié en 1825 par Horace de Saint-Aubin, futur Honoré de Balzac. Horace est l’un des prénoms-hétéronymes de prédilection de Balzac, qui l’a accordé à l’un de ses doubles favoris, le médecin Horace Bianchon, chez qui l’on retrouve ses initiales et cette « blancheur » (aristocratique ?) qui assure le lien entre différentes projections de l’auteur (Bianchon – Saint-Aubin < ''albinus''). C’est encore un Horace que le héros de cet abondant roman tout nimbé de blancheur : celle des deux jeunes filles puis jeunes femmes qui l’encadrent telles deux caryatides : Wann-Chlore ou Chlora ainsi nommée dès sa naissance (arrachée aux entrailles de sa mère morte) à cause de sa pâleur, et Eugénie d’Arneuse sur qui s’ouvre le roman dans le bourg de Chambly (Oise, d’où les Lettres picardes).

Le titre, il faut l’avouer, sonne étrangement de nos jours. Entendre un beau jeune homme se pâmer en évoquant le souvenir d’une infidèle au nom de molécule verdâtre prête à sourire (j’ai vérifié : découverte en 1774, elle a reçu son nom définitif en 1809, en plein déroulement de l’action du roman). Quant au préfixe, il évoque à la fois l’é-van-escence et peut-être aussi le cygne ? Évanescentes, elles le sont, ces deux anges aimées d’Horace, aussi pâles que les créatures atalesques ou ossianiques de Girodet, l’une blonde, l’autre brune, l’une pianiste, l’autre – la fille du barde - harpiste. Toutes deux sublimes.


Ossian recevant les ombres des généraux français dans ses palais aériens (1801) - pas moins - au Musée Girodet de Montargis.
(L'atmosphère y est, Horace est justement un officier des armées napoléoniennes.)

Sachez donc, si vous voulez vous y risquer, que ce pavé de plus de 300 pages vous réservera entre Chambly, Paris et Tours les plus étourdissants rebondissements du mélodrame sans lésiner sur le pathos, versé à torrents, entre langueurs d’amour, noyade, traîtrises, suicides, travestissements, reconnaissances… et bigamie, car telle n’est pas la moindre des audaces – et des faiblesses ? – de l’ouvrage. Heureusement, et le ton en est donné dès les premières pages, l’intrigue offre un contrepoint satirique à ces déferlements de sentiment(alisme) en les personnes de Rosalie et de Nikel, respectivement suivante d’Eugénie et homme de confiance d’Horace. Ces deux personnages bien vivants échangent de savoureux dialogues où se dessine le meilleur Balzac, de même que sont très réussies « les deux mères » (sa mère et sa grand-mère) d’Eugénie, une vieille dame bienveillante mais lâche et une jeune mégère hystérique et arriviste particulièrement bien campée. La lecture de Wann-Chlore (plus tard republié sous le titre de Jane la pâle) est une curiosité : on y trouve des morceaux de bravoure de très bon aloi, mais l’ensemble n’a, malgré tout, rien de nécessaire : c’est intéressant pour l’amateur balzacophile, qui y voit se dessiner des thématiques et des fantasmes balzaciens. Pour le lecteur néophyte, la litanie de mes notes de lectures récentes offre bien des perspectives plus alléchantes. Une fille d’Ève, tiens, ce sera pour demain.

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