Balzac - Le Bal de Sceaux

J’avais gardé un souvenir assez vif de la fin cruelle de cette nouvelle, que le lecteur balzacien novice devra éviter, à cause d’une ouverture assez copieusement politique d’une bonne dizaine de pages, dans laquelle Balzac expose à travers le portait du père de son héroïne, le Comte de Fontaine, la politique de conciliation – ou de réconciliation – sociale menée par Louis XVIII. Légitimiste convaincu, engagé avec ferveur dans les guerres chouannes qui l’ont presque ruiné, le Comte sait envisager à la suite de son maître la nécessité d’un renouveau social et marier cinq de ses enfants à des roturier(e)s qu’il sait placer à des postes importants dans l’armée, la finance et la magistrature. Occasion pour Balzac de formuler une théorie sur la Pairie comme fondement de la seule nouvelle noblesse possible (ce qui, au passage, éclaire bien des ambitions balzaciennes).
Mais si les cinq premiers enfants du Comte ont adopté sans états d’âme les vues de leur père, offrant au romancier l’occasion de brosser le tableau d’une famille unie et enjouée, il n’en va pas de même de la petite dernière, Émilie, enfant gâtée imbue à la suite de sa mère de ses très aristocratiques origines. Le mariage, ou non, de la jeune fille est le moteur du récit.

Je laisse à ceux qui voudraient s’y frotter (c’est, dans le classement Furne de La Comédie Humaine – la dernière édition définitive du vivant de Balzac – la seconde des Scènes de la vie privée, dans le tome I) le soin de découvrir la suite. Émilie, personnage tourné vers le passé, est en même temps curieusement imprégnée d’un souci romantique et romanesque du mariage d’amour, alors même qu’elle n’est pas lectrice semble-t-il. (la nouvelle est de 1829, un an avant la bataille d’Hernani). Des théories politiques de son père, elle a retenu le souci de la Pairie. Laissée libre d’elle-même par le Comte à la suite d’une conversation matinale dans la chambre d’icelui qui est une belle scène de genre, elle mènera, seule, son aventure jusqu’à son terme.

Je conclus par un morceau de psychologie bien troussé que je ne résiste pas à l’envie de citer. Cette fois, c’est une « étude de jeune fille » :

Émilie daignait avoir de la tendresse pour ses parents. Mais souvent, par des caprices soudains qui semblent inexplicables chez les jeunes filles, elle s'isolait et ne se montrait plus que rarement ; elle se plaignait d'avoir à partager avec trop de monde le cœur de son père et de sa mère, elle devenait jalouse de tout, même de ses frères et de ses sœurs. Puis, après avoir pris bien de la peine à créer un désert autour d'elle, cette fille bizarre accusait la nature entière de sa solitude factice et de ses peines volontaires. Armée de son expérience de vingt ans, elle condamnait le sort parce que, ne sachant pas que le premier principe du bonheur est en nous, elle demandait aux choses de la vie de le lui donner. Elle aurait fui au bout du globe pour éviter des mariages semblables à ceux de ses deux sœurs ; et néanmoins elle avait dans le cœur une affreuse jalousie de les voir mariées, riches et heureuses. Enfin, quelquefois elle donnait à penser à sa mère, victime de ses procédés tout autant que monsieur de Fontaine, qu'elle avait un grain de folie. Cette aberration était assez explicable : rien n'est plus commun que cette secrète fierté née au cœur des jeunes personnes qui appartiennent à des familles haut placées sur l'échelle sociale, et que la nature a douées d'une grande beauté. Presque toutes sont persuadées que leurs mères, arrivées à l'âge de quarante ou cinquante ans, ne peuvent plus ni sympathiser avec leurs jeunes âmes, ni en concevoir les fantaisies. Elles s'imaginent que la plupart des mères, jalouses de leurs filles, veulent les habiller à leur mode dans le dessein prémédité de les éclipser ou de leur ravir des hommages. De là, souvent, des larmes secrètes ou de sourdes révoltes contre la prétendue tyrannie maternelle. Au milieu de ces chagrins qui deviennent réels, quoique assis sur une base imaginaire, elles ont encore la manie de composer un thème pour leur existence, et se tirent à elles-mêmes un brillant horoscope. Leur magie consiste à prendre leurs rêves pour des réalités. Elles résolvent secrètement, dans leurs longues méditations, de n'accorder leur coeur et leur main qu'à l'homme qui possédera tel ou tel avantage. Elles dessinent dans leur imagination un type auquel il faut, bon gré mal gré, que leur futur ressemble.

Quant à l’origine du nom de Fontaine, sur laquelle s’interroge le préambule de mon édition, j’y verrais bien une référence discrète à la formule : « Fontaine, je ne boirais pas de ton eau », (celle de la roture, ici), - au risque, ma foi, de connaître la soif.

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