Trollope, pour ouvrir l'année : Le Directeur

Une pile de Trollope, ce n'est pas de la rigolade, comme on peut voir... (désolée pour les reflets). C'est celle qui m'attend!

J’ai donc entrepris, et achevé, le plus mince des cinq Trollope empruntés à la bibliothèque : Le Directeur, The Tenant en anglais, que l’on trouve aussi traduit sous le titre La Sinécure. Très médiocrement traduit, au demeurant, chez Aubier, 1992. Avec des passages d’assez bonne venue, mais une copieuse  moisson de fautes de langue et de coquilles de tout poil. C’est le premier volume des Chroniques du Barsetshire, celui qui précède Les Tours de Barchester évoquées ci-dessous. Et c’est donc le récit des malheurs et misères de Mr Harding le doux violoncelliste, maître de chapelle de la cathédrale de Barchester, et, après dix années d’exercice, directeur désormais contesté de la maison de retraite Hiram, fondation de bienfaisance remontant au XVe siècle, et destinée à des ouvriers de Barchester devenus invalides ou nécessiteux.

Contesté par John Bold, jeune et brillant médecin généraliste installé depuis quelque temps dans la ville  et tôt reconverti dans le donquichottisme social. Porté par la vague de mise en cause de l’église anglaise qui fait florès à l’époque sous l’influence des idées libérales, John  Bold ne s’est pas aperçu que le  pavé qu’il lançait dans la mare locale au sujet des revenus excessifs ou prétendus tels du directeur de l’hospice – un ami de sa famille au demeurant – risquaient de mettre en péril ses propres tendres sentiments pour la jeune et charmante fille cadette du Directeur (avec majuscule car tel est le titre sous lequel tous le désignent), Eléanor. Mes lecteurs savent donc déjà, et je sais aussi, pour avoir lu le tome II, qu’Eléanor deviendra Mrs Bold, et bientôt veuve, puisque nous l’avons trouvée telle au début des Tours de Barchester. Je ne suis pas sûre que Trollope ne se soit pas ainsi débarrassé d’un personnage plus utile que véritablement intéressant.

            Quoi qu’il en soit c’est donc John Bold qui est à l’origine d’une campagne de presse bientôt nationale, menée par le prestigieux quotidien Jupiter (le Times), contre les abus de pouvoir et autres détournements de fonds de l’Eglise anglicane. Le regard porté par l’auteur sur la bonne conscience de la presse, et sur la façon dont elle s’érige en substitut de toutes les instances politiques légitimes du pays, est aigu, et la charge virulente.

L’une des caractéristiques les plus intéressantes du roman, sa visée polémique, est donc aussi l’une de ses faiblesses : un chapitre entier, le chapitre XV, est consacré au Dr Pessimist Anticant et à son collègue Mr. Sentiment. Il s’agit d’une très amusante satire mâtinée de pastiche de deux auteurs majeurs de l’Angleterre victorienne et donc collègues de Trollope, Thomas Carlyle – que je ne connais guère que de nom – et …. Dickens ! quelle que soit l’affection que je porte à ce dernier, les critiques à lui adressées par Trollope ne manquent ni d’acuité, ni de justesse, et portent sur le rôle de l’écrivain dans la société. La toute puissance du sentimentalisme comme force de réforme sociale… en sommes-nous indemnes aujourd’hui ?

Chapitre brillant certes, mais par trop doctrinal. En tout cas, trop visiblement greffé dans le fil du roman comme un manifeste littéraire et moral, une excroissance théorique où se fait seule entendre la voix de l’auteur, au détriment du tressage avec l’intrigue.

Tel n’est pourtant pas l’intérêt majeur de l’ouvrage, très plaisant à lire, même l’on en connaît déjà l’issue. C’est, au-delà des mécanismes de la campagne de presse, le portrait d’un homme de bien, doux et faible, mais entêté dans ses décisions, et le récit du cheminement de sa pensée du bon droit à la conscience douloureuse. Le chapitre XVI, qui conte son errance physique et mentale d’une journée dans un Londres qui lui est tout sauf familier, est un moment d’anthologie.

Entre Barchester et Londres, entre famille et société, entre débats officiels et tribunal intérieur, le roman mène son médiocre mais émouvant héros de la prospérité satisfaite au dénuement accepté. Les pensionnaires de la maison de retraite Hiram ne gagneront rien à sa défaite assumée, bien au contraire. Au-delà de la satire et de l’intrigue sentimentale qui conduit à un happy end partiel, Le Directeur est un roman assez sombre et désabusé, où Trollope porte sur la nature humaine un regard philosophe, mais sans illusion.

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