Balzac - Pierrette

Drôle de roman – de novella, plutôt – que Pierrette de Balzac. C’est le premier volet du triptyque des Célibataires, et si les deux autres sont du même tonneau, il n’y a certes pas de quoi s’esbaudir. Le début est mortel. Après la charmante scène liminaire où le jeune Jacques  Brigaut réveille Pierrette en lui chantant une « chanson de mariée » de leur Bretagne natale, Balzac se lance dans des pages d’explications généalogico-économiques. Mais l’ignorance où l’on est des personnages et des situations a pour double effet d’égarer (quasi impossible de s’y retrouver sans un crayon) et de susciter un profond ennui. Les choses s’améliorent pour le lecteur persévérant avec l’entrée des deux horribles Rogron, les « célibataires » : la sœur aînée, Sylvie, le frère, Jérôme-Denis, de merciers parisiens revenus en leur Provins natal asseoir leur position dans la société et pompeusement restaurer leur maison de la place.

Ces deux  hideux imbéciles, aussi secs de cœur et d’intelligence que laids de physionomie, habilement manipulés par le machiavélique avocat libéral Vinet – la « scène » se déroule entre 1827 et 30, au moment de la chute du ministère Villèle, jusqu’à l’instauration de la monarchie de Juillet – vont jouer pour la malheureuse Pierrette, leur gracieuse demi-cousine bretonne, le rôle du plus sinistre des destins. 



                             Guido Reni - Portrait de Béatrice Cenci

Le récit – et les portraits – tournent souvent à la charge. On rencontre ainsi cette exquise formule : « L'avocat laissa partir Rogron, resta seul avec la vieille fille et lui tira les vers du cœur.»

Ou ce portrait gratiné qui clôt un échange entre Sylvie Rogron et son soupirant le colonel Gouraud, qu’elle soupçonne de vouloir la trahir pour Pierrette :

« Sylvie ne voulut pas se mettre alors en jeu, elle se crut très-fine en faisant parler son frère.

– Mon frère, dit-elle, avait eu l'idée de vous marier.

– Mais votre frère ne saurait avoir une idée si incongrue. Il y a quelques jours, pour savoir son secret, je lui ai dit que j'aimais Bathilde, il est devenu blanc comme votre collerette.

– Il aime Bathilde, dit Sylvie.

– Comme un fou ! Et certes Bathilde n'en veut qu'à son argent (Attrape, Vinet ! pensa le colonel). Comment alors aurait-il parlé de Pierrette ? Non, Sylvie, dit-il en lui prenant la main et la lui serrant d'une certaine façon, puisque vous m'avez mis sur ce chapitre... Il se rapprocha de Sylvie. Eh ! bien... (il lui baisa la main, il était colonel de cavalerie, il avait donné des preuves de courage), sachez-le, je ne veux pas avoir d'autre femme que vous. Quoique ce mariage ait l'air d'être un mariage de convenance, de mon côté, je me sens de l'affection pour vous.

– Mais c'est moi qui voulais vous marier à Pierrette. Et si je lui donnais ma fortune... Hein ! colonel ?

– Mais je ne veux pas être malheureux dans mon intérieur, et dans dix ans y voir un jeune freluquet, comme Julliard, tournant autour de ma femme, et lui adressant des vers dans le journal. Je suis un peu trop homme sur ce point ! Je ne ferai jamais un mariage disproportionné sous le rapport de l'âge.

– Eh ! bien, colonel, nous causerons de tout cela sérieusement, dit Sylvie en lui jetant un regard qu'elle crut plein d'amour et qui ressemblait assez à celui d'une ogresse. Ses lèvres froides et d'un violet cru se tirèrent sur ses dents jaunes, et elle croyait sourire. »

C’est du fauvisme ! On rencontre aussi à deux reprises dans la bouche de Sylvie le mot de « giries » :   « Elle, malade! Mais c'est des giries! répondit à haute voix Sylvie et de manière à être entendue. » dont je me suis avisée que je ne connaissais pas vraiment le sens, et qui viendrait peut-être du nom de Gille, le personnage de Carnaval. 

Notons encore que Pierrette est l’un des quatre personnages, tous féminins, dont le prénom tient lieu de titre à un roman. Avec Séraphîta et Sarrasine (deux androgynes), et Béatrix. Etrangement, l’œuvre se clôt sur une comparaison entre le sort de Pierrette et celui de Béatrix Cenci, suggérant un parallèle entre le peintre qui aurait été le seul à la  défendre (Guido Reni) et le romancier (et peintre) révélant les tortueux dessous du destin de Pierrette. Clin d’œil aussi à Stendhal ? qui avait publié en 37 Les Cenci,  et dont La Chartreuse tout récemment publiée (et récemment massacrée dans une version télévisuelle accablante) avait reçu, dans un long article de la revue de Paris, que je retrouve ici, la chaleureuse approbation de Balzac. Correspondances sur lesquelles je n’ai pas plus que cela le temps de m’interroger, mais que j’offre à la perspicacité de mes propres lecteurs !

Quoi qu’il en soit, après des débuts plus que laborieux, les dialogues, excellents, une machination politico-matrimoniale (s) ourdie au petit poil, une bonne dose d’émotion sans pathos, en particulier dans les lettres échangées à travers les volets entre Jacques et Pierrette (échos naïfs de la lettre d’Agnès à Horace), et une étude très aiguë des mécanismes de la jalousie chez la vieille Rogron, concluent brillamment – et cyniquement - cette très sombre scène de la vie de province. Pour un début d’année, c’est brutal.

Commentaires

1. Le dimanche, janvier 6 2013, 22:41 par Céline

Les débuts un peu laborieux sont une spécialité de Balzac, non ? Avec lui, je m'oblige toujours à dépasser le tiers du roman avant de juger de la qualité du livre.
En tout cas, la suite de ton billet et la citation me donnent envie de m'y frotter !

2. Le dimanche, janvier 6 2013, 22:50 par Agnès

Celui-là est quand même particulièrement loupé (apparemment Balzac a retravaillé jusqu'à 29 fois !!! certains passages). Attention, si tu l'essaies, c'est un sape-moral (je viens de regarder Les Enfants du marais, où les mœurs enfantines connaissant une issue plus riante...). Moi, en tout cas, je fais  une pause avant de passer à la suite du triptyque.

Bonne année lectrice !

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