mardi, janvier 26 2010

La Bourse

Mais pourquoi diable la jeune Adélaïde a-t-elle dû dérober la bourse du peintre Schinner ?

À cette bizarrerie près, sans laquelle il n’y eût pas eu de soupçon ni de suspense, c’est une jolie petite nouvelle, très picturale, éclairée par la figure joviale et bourgeonnante du vieil amiral Kergarouët – l’oncle de l'Émilie du Bal de Sceaux -. La chute, une réplique, est épatante, et rattrape ce qu’il pouvait y avoir d’improbable dans le texte.

La Bourse est l’une des nouvelles que l’on peut trouver en édition séparée, chez Librio par exemple. Certes romanesque, un peu guimauve, même ; il y en a de bien plus belles, plus efficaces, plus travaillées, l’avalanche de notes de ce mois-ci en témoigne, je l’espère. Je me demande pourquoi il est si difficile de trouver en éditions séparées - et bon marché ! les nouvelles de Balzac. Elle constituent pourtant une part majeure de La Comédie Humaine, et y ménagent, me semble-t-il, une entrée peut-être oblique, mais tellement plus aisée !

lundi, janvier 25 2010

Balzac - Le Bal de Sceaux

J’avais gardé un souvenir assez vif de la fin cruelle de cette nouvelle, que le lecteur balzacien novice devra éviter, à cause d’une ouverture assez copieusement politique d’une bonne dizaine de pages, dans laquelle Balzac expose à travers le portait du père de son héroïne, le Comte de Fontaine, la politique de conciliation – ou de réconciliation – sociale menée par Louis XVIII. Légitimiste convaincu, engagé avec ferveur dans les guerres chouannes qui l’ont presque ruiné, le Comte sait envisager à la suite de son maître la nécessité d’un renouveau social et marier cinq de ses enfants à des roturier(e)s qu’il sait placer à des postes importants dans l’armée, la finance et la magistrature. Occasion pour Balzac de formuler une théorie sur la Pairie comme fondement de la seule nouvelle noblesse possible (ce qui, au passage, éclaire bien des ambitions balzaciennes).
Mais si les cinq premiers enfants du Comte ont adopté sans états d’âme les vues de leur père, offrant au romancier l’occasion de brosser le tableau d’une famille unie et enjouée, il n’en va pas de même de la petite dernière, Émilie, enfant gâtée imbue à la suite de sa mère de ses très aristocratiques origines. Le mariage, ou non, de la jeune fille est le moteur du récit.

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dimanche, janvier 24 2010

Balzac - Le Message

Deux tout jeunes gens sur l’impériale d’une diligence dans la campagne bourbonnienne. Bientôt animés par la concordance de leurs âges et de leurs vies à se confier réciproquement leurs plus intimes et plus doux secrets d’amour : tous deux en sont « à la femme d’un certain âge, c’est-à-dire à la femme qui se trouve entre 35 et 40 ans », tous deux les adorent. Mais la diligence verse et voilà le narrateur chargé d’un ultime et douloureux message qui est aussi un testament.

Je ne crois pas avoir repéré auparavant cette très brève nouvelle écrite sous le règne de madame de Berny, dont la première mouture date de 1832, et qui a quelque peu voyagé dans l’œuvre avant de s’intégrer de façon isolée dans les « Scènes de la vie privée », tome I de mon édition L’Intégrale, laquelle me conduira dès que j’en aurai le temps à relire – il y a si longtemps ! – Modeste Mignon au titre charmant, et où intrigue médiocrement - j’en ai un vif souvenir - le poète Canalis récemment croisé au sortir de la Chambre en conversation avec Rastignac et de Trailles, (c’était Les Comédiens sans le savoir). Mais trêve de divagations. L’unique apparition, au détour d’un bosquet, puis entre les rideaux écartés d’un lit offert au messager, de « Julie » de Montpersan radieuse puis défaite, nous offre une mélancolique et romantique figure de femme, en contrepoint de laquelle la gaucherie du jeune messager et la gloutonnerie du mari donnent une amusante scène de comédie, dont il serait dommage d’ignorer plus longtemps l’existence.

vendredi, janvier 22 2010

Balzac - Etude de Femme

L’étude est, dans le langage des peintres, une forme d’exercice de représentation d’un sujet. Celle-ci est un délice. Moins de dix pages, beaucoup de dialogues, et variés, un valet, (Joseph), une femme de chambre (Caroline), une femme de charge, une marquise et un marquis (de Listomère), Rastignac, et Horace, le narrateur, qui est médecin, le lecteur aura donc reconnu Bianchon. Nouvelle très précoce dans la production de Balzac puisqu’elle date de 1830, et qu’importe que pour la suturer ensuite à La Comédie Humaine, il ait omis de vérifier la date de Guillaume Tell, et la cohérence de l’âge de Rastignac avec celle de la mort de Mme de Mortsauf, que l’on mentionne à la fin. La marquise est « prude par devoir ou peut-être par goût », et le jeune homme qui a dansé avec elle « il y a un mois environ » étourdi, naïf, et un peu fat. Quant à Balzac, il a lu « De l’Amour », et il fait à Stendhal l’hommage de cette histoire de « cristallisation » où entrent en jeu une rêverie matinale devant le feu, l’angle idéal que doit adopter une bergère, et une lettre remise à Joseph. Des considérations étymologiques aussi, sur ce que Littré ignore comme étant l’un des sens du mot « bourguignon », et qui pourrait bien être la version balzacienne et ardente du phénomène décrit par Stendhal. : « Il ne tisonna même pas. Faute immense ! N'est-ce pas un plaisir bien vif que de tracasser le feu quand on pense aux femmes ? Notre esprit prête des phrases aux petites langues bleues qui se dégagent soudain et babillent dans le foyer. On interprète le langage puissant et brusque d'un bourguignon.
A ce mot arrêtons-nous et plaçons ici pour les ignorants une explication due à un étymologiste très-distingué qui a désiré garder l'anonyme. Bourguignon est le nom populaire et symbolique donné, depuis le règne de Charles VI, à ces détonations bruyantes dont l'effet est d'envoyer sur un tapis ou sur une robe un petit charbon, léger principe d'incendie. Le feu dégage, dit-on, une bulle d'air qu'un ver rongeur a laissée dans le coeur du bois. Inde amor, inde burgundus ».
Scène de la vie privée, bien sûr.

jeudi, janvier 21 2010

La Paix du Ménage

Le titre lui-même n’a pas l’air d’être de Balzac. On croirait un vaudeville, du Feydeau ou du Jules Renard ; au passage, il y a une pièce de Maupassant qui porte précisément le même titre, et c’est un vaudeville, que je n’ai ni lu, ni vu. Cette paix-du-ménage-ci est une nouvelle, encore. Empire, cette fois, dont toute l’action se déroule en 1809 au cours d’un bal chez les Gondreville. Point focal des regards de deux Don Juan, deux militaires, le Comte de Montcornet et le jeune Martial de la Roche-Hugon : une belle et mélancolique inconnue assise auprès d’une colonne brisée, exilée du tourbillon du bal par « trois rangées des plus intrépides coquettes de Paris ». Dans ce vertige de militaires jouisseurs parés comme des châsses et de belles dames tapageuses et peu farouches se déploie autour de la mystérieuse « petite dame bleue » un ballet de séduction et de conquête où interviendront une vieille tante sardonique, une maîtresse légère, un amant et mari trompé, et un diamant. L’anecdote, que Balzac aurait empruntée à Dufresny ( ?) et écrite sous l’œil de madame de Berny ne manque pas de sel. C’est une amusante « course à la bague», desservie cependant par une narration un peu filandreuse. Du Balzac jeune, encore un peu vert.

mercredi, janvier 20 2010

Balzac - Madame Firmiani

Ça y est, j’ai enfin été présentée à Madame Firmiani, sur les pas de l’oncle à héritage d’Octave du Camps, le bon monsieur de Bourbonne, alias M. de Rouxellay - du nom du bois de peupliers qu’il entretient précieusement pour assurer les revenus de son neveu. Venu à Paris pour enquêter lui-même sur la ruine dudit neveu, ruine que la rumeur publique attribue à une certaine madame Firmiani, l’une des reines du Faubourg Saint Germain, le vieux gentilhomme de Touraine se présente donc tout à trac en une fin de soirée à la belle dame, et tâche en vain d’éclaircir le mystère - d’où il repart conquis et perplexe. C’est Octave en sa mansarde où il prépare ses cours de mathématiques qui lui donnera le fin mot de l’histoire – très romanesque.
Cette nouvelle est le pendant souriant et positif de L’Interdiction, et peut-être aussi du Colonel Chabert, mais chut ! je n’en dirai pas plus. Régalez-vous d’abord en ouverture de l’éblouissant ballet des « Espèces » ou des « genres qui composent la monographie du Parisien », et que Balzac fait pirouetter tour à tour sur le devant de la scène, « trois ptits tours et puis s’en vont », chacun ayant d’abord apporté sa version du portrait de la belle patricienne, car madame Firmiani est une Cadignan, cousine par alliance de Diane célébrée dans un billet récent.
« Ainsi, vous eussiez demandé à un sujet appartenant au genre des Positifs : – connaissez-vous madame Firmiani ? cet homme vous eût traduit madame Firmiani par l'inventaire suivant :

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mardi, janvier 19 2010

Un épisode sous la Terreur

Très brève « Scène de la vie politique ». Dont l’ouverture – très efficace - déroule en une nuit de neige et de brouillard, le 22 janvier 1793, le périple angoissé d’une dame à l’allure aristocratique vêtue de violet, depuis une pâtisserie du faubourg Saint Martin jusqu’à une bicoque de la barrière de Pantin. Une ombre vigoureuse, inquiétante sans être pourtant véritablement menaçante l’a suivie tout au long du chemin. Le reste relève de l’hagiographie royale posthume, et de la relecture d’un épisode majeur de la Révolution sous un jour oblique et inattendu.

Ça se lit bien, mais je veux conclure en citant surtout l’affectueuse dédicace de Balzac à son ancien patron Maître Guyonnet-Merville, modèle de l’aimable avoué Derville comme le signale la parenté des noms, et dont on peut voir le portrait à la maison de Balzac à Paris :

« Ne faut-il pas, cher et ancien patron, expliquer aux gens curieux de tout connaître, où j'ai pu savoir assez de procédure pour conduire les affaires de mon petit monde, et consacrer ici la mémoire de l'homme aimable et spirituel qui disait à Scribe, autre clerc-amateur, « Passez donc à l'Étude, je vous assure qu'il y a de l'ouvrage » en le rencontrant au bal ; mais avez-vous besoin de ce témoignage public pour être certain de l'affection de l'auteur ? »

Petite scène croquée de la vie de la basoche.

lundi, janvier 18 2010

Balzac - L'Envers de l'Histoire contemporaine

Il y en aura peut-être pour détourner la tête ou pour pincer les lèvres. Car les très nobles héros de ce roman – nobles par le cœur, sinon tous par le sang – sont animés par une intense charité chrétienne, qui les pousse à secourir dedans Paris les êtres et les familles qui leur ont été signalés par leurs « Visiteurs », médecins appointés dans chaque arrondissement pour cette tâche. Bref, un roman édifiant ( ?), dominé par la haute et sereine figure auréolée de cheveux blancs de madame de La Chanterie en son hôtel de la rue des Marmousets. Édifiant, peut-être. Mais même si le héros, Godefroid, jeune viveur désabusé en quête d’une vie nouvelle, manque un peu d’épaisseur, il y a dans cette histoire en deux volets, qui est aussi un roman d’apprentissage et d’initiation, la dimension d’un roman noir, qui relie l’époque de la Monarchie de Juillet à la période révolutionnaire et à l’Empire. « L’Envers de l’Histoire contemporaine », titre apparemment théorique qui m’a longtemps détournée de cette lecture, c’est me semble-t-il, sa face cachée, tout ce qui persiste dans la vie publique et dans les histoires privées, voire les consciences, des bouleversements inouïs apportés par la Révolution et par l’Empire. Du sang, beaucoup de sang, des coups-de-main, des procès, et des têtes coupées, qui obsèdent et possèdent les personnages de cette histoire, presque tous réduits à des prénoms. Outre Godefroid, il y a M. Nicolas, frère du héros des Chouans, - car l’histoire souterraine de madame de La Chanterie est liée à un épisode des guerres chouannes, celle des « Chauffeurs de Mortagne » -, M. Alain, qui est l’un des principaux narrateurs des récits enchâssés dans le récit principal, et l’étrange M. Bernard, objet du secours de la compagnie des Frères de la Consolation, austère juriste ruiné qui vit misérablement dans un garni sordide en compagnie de son petit-fils et de sa fille atteinte d’une étrange maladie nerveuse. Privée de l’usage de ses jambes, et parfois de ses bras, sujette à des accès d’aboiements, toujours couchée, hors du monde et du temps, Vanda de Mergi vit recluse et environnée de fleurs rares dans une chambre luxueusement meublée où la contiennent son père et son fils. Dévoreuse de romans, passionnée de musique, presque désincarnée, elle se réduit à une voix céleste qui suggère assez le lien obscur qu’entretient son histoire avec celle de Mme de La Chanterie.

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dimanche, janvier 17 2010

Le plus illustre des commis voyageurs

Il s’appelle Gaudissart. Son nom, c’est explicite dans le texte, évoque le plaisir :

Calembours, gros rire, figure monacale, teint de cordelier, enveloppe rabelaisienne ; vêtement, corps, esprit, figure s'accordaient pour mettre de la gaudisserie, de la gaudriole en toute sa personne. Rond en affaires, bon homme, rigoleur, vous eussiez reconnu en lui l'homme aimable de la grisette, qui grimpe avec élégance sur l'impériale d'une voiture, donne la main à la dame embarrassée pour descendre du coupé, plaisante en voyant le foulard du postillon, et lui vend un chapeau ….

J’arrête-là le portrait, qui est tout du long aussi vif et savoureux. Littré vous apprendra que la « gaudisserie, s. f, est un terme familier. Action de se gaudir ; mots plaisants », que l’on trouve, entre autres, chez Amyot, associé à l’ivrognerie. Voilà donc un homme que peint son nom, et ajoutez à cela que son prénom est Félix. C’est un « type individualisé », selon le projet balzacien, c’est-à-dire qu’après une présentation théorique de ce commis des temps nouveaux, Balzac passe à celle du jovial personnage, doté d’un « ventre protubérant » (qui) « affectait la forme d’une poire », comme il convient à un homme de la Monarchie de Juillet. Il est l’amant en titre de Jenny Coudun, « femme libre», dont « la fidélité quand même » est l’une des très saint-simoniennes vertus, et à laquelle il adresse des lettres de campagne qui pour être vaniteuses n’en sont pas moins divertissantes, car à l’écrit comme à l’oral, l’homme est plein de bagout.

Il est passé avec succès du colportage à l’ancienne à la représentation de biens plus ou moins imaginaires comme des assurances sur le talent ou des abonnements. Il a donc quitté Paris pour accomplir en province les débuts de sa fortune en y vendant, outre les susdites assurances, des abonnements pour Le Globe, journal saint-simonien ! pour Le Mouvement, journal républicain, et grande nouveauté, pour le Journal des Enfants (où publia, dans la réalité, Laure de Surville, la sœur chérie de Balzac), non sans y ajouter quelques-uns des « articles Paris », qui ont fait sa gloire, comme des « châles de cachemire Ternaux » (162 « placés » à Orléans !).

Mais voilà que l’illustre et hilare Gaudissart est parvenu dans le berceau de la France, à Vouvray fameuse par ses vins et son goût de la gouaille, et qu’alors qu’il va à la rencontre de monsieur Vernier au nom trompeur - car il ne l’est certes pas, niais, que l’on me pardonne ;-( - dans sa gaie salle à manger, il ignore « que dans les joyeuses vallées de Vouvray périrait son infaillibilité commerciale ». Splendide idée de canular que d’envoyer Gaudissart, colporteur en camelotes chimériques à Margaritis, le fou de la Vallée Coquette dont l’obsession est de vendre chaque été ses deux poinçons de vin imaginaire. La rencontre et ses conséquences valent au lecteur quelques pages allègrement dialoguées, source savoureuse de gaudisseries « vouvrillonnesques ».

Bonne fille, Vouvray a immortalisé Gaudissart : son buste y trône rue Victor Hugo - enfin nettoyé de la lèpre et des excréments qui le souillaient - grâce à l’activité de Bernard Cassaigne, son généreux bibliothécaire, dont j’ai déjà évoqué ici le petit journal « Les Liserons », présent inattendu de Noël 2008. Il y publiait à chaque nouveau numéro une photo enregistrant la dégradation croissante du personnage. Il a eu gain de cause.

Gaudissart restauré et fleuri, sur le site Lire à Vouvray

J’ai relu cette histoire dans un petit tiré à part de l'édition Furne, 1843, édité par la Bibliothèque municipale de Vouvray lors du Livre en fête de 2006, sur le thème d’ « Un homme, une ville », nouveau présent de ma boîte aux lettres. Merci Bernard. Depuis l'été dernier, la bibliothèque a ouvert son propre site, (un intéressant article sur la chanson à boire composée par Lucien veillant Coralie morte, aujourd’hui), où l’on trouve, entre autres liens, les « Miscellanées » de la bibliothèque de Lisieux, une mine pour l’amateur de curiosités littéraires http://www.miscellanees.com.

Bref, Vouvray est un lieu qui vaut le détour, touristique, œnologique, électronique ou romanesque. Ne serait-ce que pour vous offrir, un jour de loisir, cette délectable tranche de littérature, non plus de colportage, mais de colporteur.

lundi, janvier 11 2010

C'est la saint Balzac, ce mois-ci

Un Homme d’affaires (ou Les Roueries d’un créancier, ou Esquisse d’un homme d’affaires d’après nature), nouvelle écrite en une matinée de janvier 1844, et lue le temps d’une salle d’attente, à quoi se prête sa brièveté.

S’ouvre par un bref rappel sur l’étymologie du mot « lorette », histoire d’éclairer en un « temps d’analyse et de description » les éventuelles perplexités des étymologistes à venir. Car c’est une lorette, mademoiselle Turquet dite Malaga, qui reçoit en ce soir de Carnaval une compagnie de brillants causeurs. Deux hommes de loi, quatre bohêmes. « La conversation, parfumée des odeurs de sept cigares, fantasque d'abord comme une chèvre en liberté, s'arrêta sur la stratégie que crée à Paris la bataille incessante qui s'y livre entre les créanciers et les débiteurs ». Sujet on ne peut plus familier aux convives, et c’est pourquoi l’avoué Desroches va leur conter une petite histoire qui mit aux prises le « roi » de la dette (Maxime de Trailles, encore lui) et un louche homme d’affaires, Cérizet (apparu dans Illusions Perdues pour prêter main-forte à Petit-Claud et aux frères Cointet contre David Séchard et Lucien Chardon). Je n’en dirai pas plus pour laisser à mon lecteur (ma lectrice) le plaisir de se plonger dans cette historiette qui mêle avec talent des considérations financières parfois ardues, le récit de Desroches, quelques scènes de la vie parisienne enchâssées dans le récit, et les lazzis de Malaga et de ses convives - lesquels ont parié sur l’issue de l’histoire, comme vous ne manquerez pas de le faire - même si cela ne vous paye pas, comme à Malaga, le menuisier.

dimanche, janvier 10 2010

Les Secrets de la Princesse de Cadignan - ou Diane et Daniel

La princesse de Cadignan, c’est l’incarnation ultime de Diane de Maufrigneuse, née d’Uxelles, l’une des plus aristocratiques « Don Juan femelles » de toute La Comédie Humaine. Mal mariée à l’amant de sa mère, formée par de Marsay, elle a collectionné les aventures, parmi lesquelles le jeune Victurnien d’Esgrignon du Cabinet des Antiques, et Lucien de Rubempré, auquel elle a écrit des lettres si compromettantes que l’un des enjeux de la fin de Splendeurs et Misères des Courtisanes est la négociation de ces lettres et de celles de deux autres grandes dames auprès de Jacques Collin alias Vautrin, alias l’abbé Carlos Herrera, qui les détient. Pas grand-chose d’une rosière, donc. Mais d’une classe infinie, enjouée et gracieuse - et aristocratique jusqu’au bout des ongles. C’est elle que l’on retrouve, après la Révolution de juillet, ruinée et rangée cependant que son mari a suivi la famille royale à l’étranger. Devenue « bonne mère » (son fils Georges de Maufrigneuse est en âge d’être marié), elle vit discrètement et modestement dans cinq pièces meublées des restes de sa splendeur, à l’ombre de son « amie » madame d’Espard, une autre sublime et aristocratiquissime garce. Âgées toutes deux de 36 ans, elles s’avouent mutuellement sur un banc du petit jardin de la princesse, n’avoir jamais, au fil de leurs conquêtes, connu l’amour, dont le regret les habite. Pourtant Diane de Cadignan a été adorée en silence par Michel Chrestien, l’un des membres du Cénacle d’artistes brièvement fréquenté par le jeune Lucien à son arrivée à Paris. Républicain, il a été tué lors des affrontements du quartier Saint-Merri, après avoir sauvé la vie du Prince de Cadignan. C’est l’occasion pour la marquise de présenter à son amie Daniel d’Arthez, l’écrivain ascétique et exigeant qui était l’âme du Cénacle, et l’ami et confident de Michel Chrestien. Le poisson est ferré en un tournemain, et devient le soupirant transi et généreux de la belle qui réussit à faire de lui, aux yeux du monde, son défenseur le plus ardent, tant elle a su le convaincre de son destin douloureux de femme abusée et calomniée. Le monde s’incline devant la très romanesque prouesse et Diane et Daniel s’éclipsent de La Comédie Humaine, partageant leurs amours quasi conjugales entre Genève et Paris.

Cette nouvelle est un petit chef d’œuvre de malice : celle de la princesse à l’égard de son « niais sublime » qu’elle s’est prise à aimer, celle de Balzac en cette nouvelle et sympathique « étude de femme » (« Pour la première fois de sa vie, cette femme souffrait dans son coeur et suait dans sa robe. Elle ne savait quel parti prendre au cas où d'Arthez croirait le monde qui dirait vrai, au lieu de la croire, elle qui mentait ».) où il accorde à d’Arthez de plaider non sans grandeur la cause des femmes légères :

« D'Arthez regarda de Trailles et d'Esgrignon d'un air railleur.
- Le plus grand tort de cette femme est d'aller sur les brisées des hommes, dit-il. Elle dissipe comme eux des biens paraphernaux, elle envoie ses amants chez les usuriers, elle dévore des dots, elle ruine des orphelins, elle fond de vieux châteaux, elle inspire et commet peut-être aussi des crimes, mais...
Jamais aucun des deux personnages auxquels répondait d'Arthez n'avait entendu rien de si fort. Sur ce mais, la table entière fut frappée, chacun resta la fourchette en l'air, les yeux fixés alternativement sur le courageux écrivain et sur les assassins de la princesse, en attendant la conclusion dans un horrible silence.
- Mais, dit d'Arthez avec une moqueuse légèreté, madame la princesse de Cadignan a sur les hommes un avantage : quand on s'est mis en danger pour elle, elle vous sauve, et ne dit de mal de personne. Pourquoi, dans le nombre, ne se trouverait-il pas une femme qui s'amusât des hommes, comme les hommes s'amusent des femmes ? Pourquoi le beau sexe ne prendrait-il pas de temps en temps une revanche ?...
- Le génie est plus fort que l'esprit, dit Blondet à Nathan.
Cette avalanche d'épigrammes fut en effet comme le feu d'une batterie de canons opposée à une fusillade. On s'empressa de changer de conversation. Ni le comte de Trailles, ni le marquis d'Esgrignon ne parurent disposés à quereller d'Arthez ».

Pas plus que nous ne le ferons nous-mêmes : saluons à notre tour la splendide et rayonnante jeune femme, qui a su avec brio et sentiment « faire une fin » digne de sa carrière.

samedi, janvier 9 2010

Balzac, suite (monomanie) - Un Prince de la Bohême

Les Rusticoli de la Palférine, très ancienne famille d’origine toscane portaient « d'argent à la croix fleurdelysée d'azur'la croix fut fleurdelysée par lettres patentes de Charles IX), sommé d'une couronne de comte et deux paysans pour supports, avec IN HOC SIGNO VINCIMUS pour devise. » Après avoir joué sous les Valois un rôle politique important, ils ont peu à peu déchu jusqu’à la ruine complète à l’orée de la Révolution, le père du héros de notre nouvelle, simple Rusticoli, s’étant « refait » un titre en servant sous l’Empereur. Hélas, mort général à Wagram avant de s’être refait une fortune, il n’a laissé à son fils que ses neuf prénoms : Gabriel-Jean-Anne-Victor-Benjamin-Georges-Ferdinand-Charles-Edouard Rusticoli, comte de la Palferine, avec pour seul véritable titre celui de « Prince de la Bohême », et tel est aussi le titre de la nouvelle de Balzac dont il est le héros.

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mardi, janvier 5 2010

Balzac - Les Comédiens sans le savoir

Galerie de personnages, sorte de farandole ou de diorama à pied ou en « citadine » dans Paris, où par l’intermédiaire de Léon de Lora et de Bixiou, Balzac « fait poser » quelques personnages de sa Comédie devant – et avec - le provincial Gazonal, un cousin naïf et méridional (les trois riment) du peintre. Lequel cousin - Sylvestre-Palafox-Castel tout de même … - est en passe de perdre contre l’administration un procès, qui risque de les mettre, lui et sa fabrique de tissus, sur la paille. Les retrouvailles providentielles avec le cousin arrivé (à « trente-neuf ans, il a vingt mille francs de rentes, ses toiles sont payées au poids de l'or », et surtout il connaît tout Paris, et le « Tout-Paris » de La Comédie Humaine ), vont le tirer d’affaire. Maîtres de cérémonie-metteurs en scène de cette suite de tableaux parisiens : un paysagiste pour l’ampleur et la perspective, un caricaturiste pour la charge, à laquelle n’échappe pas l’hôte-et-néanmoins-victime en « habit bleu-barbeau à boutons dorés, chemise à jabot, gilet blanc et gants jaunes ».


Le héros par Bertall, sur l'inépuisable site de la Maison de Balzac

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jeudi, septembre 20 2007

Il faut que je l’avoue : je suis balzacolâtre,

... capable d’avaler à la file plusieurs dizaines de romans et de nouvelles, en me reportant à l'occasion à la généalogie de La Comédie Humaine éditée par la Maison de Balzac, (un superbe accordéon, récemment acquis, avec liens de famille et liaisons adultères, blasons historiés et devises , une fresque à soi-seul) pour vérifier telle ou telle ascendance ou descendance, et toujours m'émerveiller de cet univers au centre duquel, hiératique, Diane de Maufrigneuse, Princesse de Cadignan, voit converger vers elle un foisonnant bouquet d'amants...
À ceux qui se borneraient aux grands romans, je recommande les nouvelles. Il y en a d’extraordinaires. À commencer par la somptueuse Fille aux yeux d’or, qui s’ouvre par une magistrale digression sur Paris comme lieu des neuf cercles de l’enfer (vous avez dit Comédie Humaine ?) et met en scène une aventure de Du Marsay avec une magnifique créature quasi réduite en esclavage d’amour par un personnage mystérieux qui se révèle à la fin – combien sanglante et noire – être une femme, encore ne dis-je pas tout. Mais aussi et pêle-mêle, Une fille d’Eve, où Félix de Vandenesse le dandy, l’amant de Mme de Morsauf et de Nathalie de Manerville s’est rangé en mari attentif d’une jeune Marie-Angélique qu’il va devoir tirer en tout bien tout honneur des griffes malpropres de Nathan, ou La Messe de l’athée, bref et poignant récit fait par Bianchon, ou encore Gobseck. Une merveille polyphonique construite sur des enchâssements de narration et de voix qui donnent au texte sa profondeur historique et anecdotique.

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lundi, août 20 2007

Une très brève nouvelle de Balzac : El Verdugo

Dans l’Espagne de 1809 en proie à la conquête française, un jeune officier français, Victor Marchand, fils d’un épicier de Paris, éprouve dans une nuit et une journée la griserie mélancolique du désir pour une belle aristocrate espagnole, l’horreur du massacre de son bataillon une nuit de bal et celle, encore plus intense, du châtiment infligé par le général français à la ville et à la famille "coupables". C’est un récit sans commentaires, saisissant.

jeudi, août 9 2007

Retrouvailles

Eugénie Grandet. Ma première lecture de Balzac, il y a bien longtemps, en 4ème. D’abord rebutée par les longues descriptions initiales, de Saumur, de la maison du Père Grandet, de la porte d’icelle, de la salle sinistre où l’on reçoit les hôtes… interminables pour la dévoreuse de romans d’aventures que j’étais. Puis sous la conduite lumineuse de notre professeur, Andrée Ferrier - hommage à elle toujours vive en sa maison d’Allauch - la découverte de l’univers de Balzac, comédie humaine et déchiffrement du monde. Balzac auquel je reviens encore et encore, avec des éclipses toujours plus brèves. J’en ai lu des milliers de pages depuis, mais c’est la première fois, depuis près de 40 ans, que je revenais à Eugénie Grandet. J’y ai retrouvé mon plaisir d’adolescente intact, ou plutôt exalté par la connaissance des autres textes, et le regard critique.
Magnifique portrait de femme, sombre et lucide étude de famille, et le personnage de l’avare toujours plus obsédé par son or, toujours plus clairvoyant grâce à son or. La scène vibrante de tension dramatique où la fille s’oppose à son père à propos des doublons disparus, récit et dialogue, tellement intense ! Comme dans les repas cuisinés par "la grande Nanon" - autre souvenir vivace - il n’y a pas de gras.
La meute des citadins de province, cruchotins et grassinistes, accompagne de son chœur intéressé le destin tragique de cette vierge post-révolutionnaire, condamnée par la fortune et la passion de son père. Et en sourdine, le combat entre deux forces toutes-puissantes : Dieu et l’Or. Il n’y a pas un personnage, pas une parole, pas même une description de trop. Un roman classique.

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