Euh.... Trollope, encore ! La Vendée (dans le texte)

J’ai eu du mal à venir à bout de La Vendée (titre anglais, l’article a sauté en français, pourquoi ?), premier (seul ?) roman historique, et troisième opus de Trollope, alors âgé de 35 ans. C’est un terrible pavé (577 pages grand format), que des lectures nocturnes ne m’ont pas permis de mener à bien rapidement. Et puis, ce n’est certes pas un chef-d’œuvre, comme le reconnaît avec esprit son auteur dans son Autobiographie :

« L'histoire est certainement inférieure à celles qui ont été publiées auparavant [les Macdermots de Ballycloran (1847) et Les Kellys et les O'Kellys (1848)] - principalement parce que je ne connaissais... en vérité, rien de la vie en pays vendéen et aussi parce que mes talents de conteur sont plus accordés avec les faits du présent qu’avec ceux du passé .... La  conception des sentiments des gens est, me semble-t-il, juste. Les personnages sont bien individualisés. Et l’histoire n’est pas ennuyeuse. Pour autant que je me souvienne, ce morceau de critique est le seul qui ait jamais été écrit sur ce livre. »

L’action commence en 1793. Il s’agit, sur fond de mort de Louis XVI, de l’évocation des premières guerres de Vendée, autour des personnages tout à fait historiques d’Henri de la Rochejacquelein, de Charles (en réalité Louis-Marie) de Lescure, et de Cathelineau, tous trois généraux en chef de l’armée vendéenne. Les deux premiers étaient cousins, et aristocrates, le troisième un jeune roturier au charisme puissant. Surnommé le Saint de l’Anjou à cause de sa grande piété, il fait pendant au Saint du Poitou, Charles de Lescure. Dans une brève préface, Trollope cite la source de son inspiration : les « délicieux Mémoires de Mme de la Rochejacquelein », épouse dans le roman – comme dans l’Histoire – de Charles de Lescure.

C’est un drôle de bouquin. Plein d’aventures, de batailles, d’héroïsme et de piété, dont les aristocratiques protagonistes sont tout auréolés de perfections diverses, physiques et morales. Malgré la multitude des morts et des blessés, on y respire souvent un air un peu trop pur, en particulier dans le voisinage d’Agathe de La Rochejacquelein, sœur fictive du jeune et héroïque Henri (qui fut en effet généralissime des armées vendéennes, stratège génial, et mourut à 21 ans !), jeune fille au teint d’albâtre dont la douceur, la piété et la fermeté ont parfois quelque chose d’un peu minéral…

Henri de La Rochejacquelein par le baron Guérin sur Wikipedia

Et pourtant, je suis injuste. Si ce roman est mal fichu, si l’économie narrative n’y est pas parfaite, voire parfois languissante, on y prend beaucoup de plaisir, non seulement à cause de l’héroïsme ambiant, mais surtout à cause des personnages populaires imaginés par l’auteur. Le plus savoureux est Jacques Chapeau, qui de valet deviendra lieutenant, et bon lieutenant, de Monsieur Henri. Personnage plein de verve, il est l’amoureux de mademoiselle Annot Stein (voilà un nom qui ne sonne guère vendéen…), fille du forgeron d’Echanbroignes, une jolie fille, coquette, la tête près du bonnet. D’un bout à l’autre de l’intrigue, il ne cesse de se dépenser, physiquement et tactiquement, au service de ses maîtres et de sa cause. Il y a aussi l’irrésistible capitaine Auguste Emile Septime Plume, ex-boulanger, devenu le lieutenant de l’inquiétant « capitaine fou » de l’armée dite « La Petite Vendée », et bien d’autres, tous en effet individualisés, et en proie à de fort terriennes et humaines passions comme la vanité, la jalousie ou l’ambition. En vérité, même si l’on soupire parfois, on cesse rarement de sourire devant la justesse des observations et des caractères. Les chapitres XXIII et XXIV sont aussi l’occasion d’un portrait, intéressant, de Robespierre. On y devine l’interrogation du moraliste anglais Trollope devant l’homme assoiffé de vertu au point de devenir, par amour pour celle-ci, sanguinaire. Passent aussi Westermann, Barère et Santerre, envoyés par le Comité de Salut Public pour réprimer et écraser la révolte. Et puis il y a Adolphe Denot, que les réserves de l’auteur dès son premier portrait désignent comme « le méchant ». Personnage trop schématique pour être vraiment intéressant, même s’il joue dans l’action un rôle somme toute assez complexe. Et puis, c’est un vrai fou !

Ce qui m’a attirée vers ce roman, qui je le répète, n’est certes pas le meilleur des Trollope, c’est son titre, sa date, son sujet. J’avais subodoré, en particulier dans ma lecture de Quelle Epoque, une forme d’allégeance de Trollope à Balzac, jusque dans le nom de son financier Melmotte. Que l’un de ses tout premiers ouvrages, publié en 1850, l’année de la mort de Balzac, porte le titre de La Vendée évoque irrésistiblement l’un des premiers romans de ce qui allait devenir La Comédie Humaine : Les Chouans. L’intrigue en est beaucoup plus noire, complexe, labyrinthique, que celle de La Vendée. Mais je ne crois pas me tromper en voyant dans la saga vendéenne un hommage au grand aîné. L’affirmation d’un désir de s’inscrire dans un lignage esthétique, le réalisme, auquel se rattachent les figures populaires, leurs parlers, leurs passions. Et ce, même si Trollope est beaucoup plus royaliste que Balzac, et sa vision de l’histoire, plus manichéenne ? hagiographique ? encore que... en tout cas, c’est une Histoire à la Balzac qu’il ambitionne, alors même que Balzac admirait Walter Scott. La maladresse naît sans doute de la juxtaposition des figures idéales et des figures réalistes, en particulier dans l’ébauche d’intrigue qui lie Agathe (la toute bonne) avec Cathelineau, ennobli par sa ferveur religieuse et son héroïsme militaire. Mais l’ensemble se tient, et cette solide tranche de lecture mérite, au moins, la curiosité.

Commentaires

1. Le samedi, janvier 21 2012, 11:17 par Céline

Je me suis longtemps intéressée à la Révolution française - et particulièrement à l'"énigme Robespierre". Alors que les premiers paragraphes de ton billet ne me donnaient pas trop envie de lire ce livre, la fin me fait hésiter...

2. Le samedi, janvier 21 2012, 14:25 par Agnès

Tu as les références des chapitres.... ça peut se lire détaché du reste. Lequel reste n'est malgré tout pas indigeste, quoique ... débutant! ;-)

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