Le Cabinet des Antiques

Le Cabinet des Antiques, c’est un titre incisif, accordé à une noblesse fossilisée dans des principes et des idées d’un autre âge. C’est Diane de Maufrigneuse à vingt-six ans, vaporeuse et lunaire figure d’« ange », dangereuse croqueuse de millions, en sa liaison avec le produit splendide et veule de ce cabinet provincial, Victurnien d’Esgrignon. C’est un court roman, de ces romans d’idées où Balzac interdit dès l’ouverture au lecteur toute aspiration au « romanesque » : une dizaine de pages de considérations historico-généalogico-sociologiques pour brosser avec précision le contexte dans lequel se consommera la ruine domestique et morale d’une des plus anciennes, des plus aristocratiques, des plus légitimistes - et des plus aveugles familles de France. Le contraire du Comte de Fontaine.

Il y a donc trois vieillards : le Comte et sa sœur, la noble et poétique mademoiselle Armande, tante-mère de l’orphelin Victurnien, et le vieux notaire Chesnel, dont le patronyme dit la fidélité inébranlable à ceux qui furent ses maîtres et ne seront jamais ses clients. C’est la province, les luttes de position et les haines sociales s’y enracinent dans un riche terreau. On a envoyé le jeune héritier jeter sa gourme à Paris, et c’est entre Paris et la province que se jouera le destin du personnage auquel ni sa beauté, ni sa vanité, ni ses aventures ne confèrent véritablement de chair. Victurnien est un type, un avatar de tous les jeunes gens de province jetés dans le monde parisien, une sorte de sous-Lucien-de-Rubempré sans la faille roturière, un dandy et même un lion, un homme spirituel et séduisant, mais trop cristallisé dans un nom et une origine pour que l’on puisse en quelque manière s’y attacher.

L'emprisonnement de Victurnien pour un faux monté en épingle par la haine du libéral local vaut au lecteur le meilleur moment du roman : les intrigues menées tambour battant sous la houlette de Chesnel par quelques notables locaux au milieu desquels domine la figure pointue et spirituelle de madame Camusot, l’épouse du juge, que l’on retrouvera dans le même genre de situation et d’activité, mais à Paris (signe de son intelligence politique), au moment de l’emprisonnement de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et Misères. C’est d’ailleurs pour Diane de Maufrigneuse qu’elle s’emploiera alors, comme elle le fait ici, pour Diane tombée en province en son charmant travestissement de petit page coiffée à la Titus et venue sauver puis abandonner à son médiocre sort son amant. Ange spirituel et garçonnier, elle tourne le drame en comédie légère quoique fort doctement juridique, car ce bref ouvrage ne recule ma foi jamais devant les « tartines ».

La voix d’Émile Blondet, natif de la ville, se tresse à l’occasion, et pour notre plaisir, à celle du narrateur.
Il reste pour moi quelques mystères : pourquoi l’intrigant Du Croisier « n’aura(t-il) jamais d’enfants » ? « Tout le monde sait pourquoi », dit l’un des personnages. Moi pas, ou quelque chose m’a échappé.

Autre mystère : quel calembour, étymologique ou non, la saillie suivante dissimule-t-elle ?

« - D'Esgrignon et Maufrigneuse sont deux noms qui devaient s'accrocher, répondit madame de Sérisy qui avait la prétention de dire des mots. » La consultation de dictionnaires non moins antiques que le cabinet sur le site de l’Université de Chicago m’a laissée bredouille. Ils ont bien en commun la syllabe « rigne » mais qu’en faire ? ce n’est pas la moindre des séductions de la belle Diane que de porter avec tant d’élégance ce nom au préfixe péjoratif et à la finale musicale, qui résiste aux interprétations étymologiques que l’on peut si aisément appliquer à son amie Claire de Bourgogne, madame de Beauséant… Appel aux connaisseurs !

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