Les Secrets de la Princesse de Cadignan - ou Diane et Daniel

La princesse de Cadignan, c’est l’incarnation ultime de Diane de Maufrigneuse, née d’Uxelles, l’une des plus aristocratiques « Don Juan femelles » de toute La Comédie Humaine. Mal mariée à l’amant de sa mère, formée par de Marsay, elle a collectionné les aventures, parmi lesquelles le jeune Victurnien d’Esgrignon du Cabinet des Antiques, et Lucien de Rubempré, auquel elle a écrit des lettres si compromettantes que l’un des enjeux de la fin de Splendeurs et Misères des Courtisanes est la négociation de ces lettres et de celles de deux autres grandes dames auprès de Jacques Collin alias Vautrin, alias l’abbé Carlos Herrera, qui les détient. Pas grand-chose d’une rosière, donc. Mais d’une classe infinie, enjouée et gracieuse - et aristocratique jusqu’au bout des ongles. C’est elle que l’on retrouve, après la Révolution de juillet, ruinée et rangée cependant que son mari a suivi la famille royale à l’étranger. Devenue « bonne mère » (son fils Georges de Maufrigneuse est en âge d’être marié), elle vit discrètement et modestement dans cinq pièces meublées des restes de sa splendeur, à l’ombre de son « amie » madame d’Espard, une autre sublime et aristocratiquissime garce. Âgées toutes deux de 36 ans, elles s’avouent mutuellement sur un banc du petit jardin de la princesse, n’avoir jamais, au fil de leurs conquêtes, connu l’amour, dont le regret les habite. Pourtant Diane de Cadignan a été adorée en silence par Michel Chrestien, l’un des membres du Cénacle d’artistes brièvement fréquenté par le jeune Lucien à son arrivée à Paris. Républicain, il a été tué lors des affrontements du quartier Saint-Merri, après avoir sauvé la vie du Prince de Cadignan. C’est l’occasion pour la marquise de présenter à son amie Daniel d’Arthez, l’écrivain ascétique et exigeant qui était l’âme du Cénacle, et l’ami et confident de Michel Chrestien. Le poisson est ferré en un tournemain, et devient le soupirant transi et généreux de la belle qui réussit à faire de lui, aux yeux du monde, son défenseur le plus ardent, tant elle a su le convaincre de son destin douloureux de femme abusée et calomniée. Le monde s’incline devant la très romanesque prouesse et Diane et Daniel s’éclipsent de La Comédie Humaine, partageant leurs amours quasi conjugales entre Genève et Paris.

Cette nouvelle est un petit chef d’œuvre de malice : celle de la princesse à l’égard de son « niais sublime » qu’elle s’est prise à aimer, celle de Balzac en cette nouvelle et sympathique « étude de femme » (« Pour la première fois de sa vie, cette femme souffrait dans son coeur et suait dans sa robe. Elle ne savait quel parti prendre au cas où d'Arthez croirait le monde qui dirait vrai, au lieu de la croire, elle qui mentait ».) où il accorde à d’Arthez de plaider non sans grandeur la cause des femmes légères :

« D'Arthez regarda de Trailles et d'Esgrignon d'un air railleur.
- Le plus grand tort de cette femme est d'aller sur les brisées des hommes, dit-il. Elle dissipe comme eux des biens paraphernaux, elle envoie ses amants chez les usuriers, elle dévore des dots, elle ruine des orphelins, elle fond de vieux châteaux, elle inspire et commet peut-être aussi des crimes, mais...
Jamais aucun des deux personnages auxquels répondait d'Arthez n'avait entendu rien de si fort. Sur ce mais, la table entière fut frappée, chacun resta la fourchette en l'air, les yeux fixés alternativement sur le courageux écrivain et sur les assassins de la princesse, en attendant la conclusion dans un horrible silence.
- Mais, dit d'Arthez avec une moqueuse légèreté, madame la princesse de Cadignan a sur les hommes un avantage : quand on s'est mis en danger pour elle, elle vous sauve, et ne dit de mal de personne. Pourquoi, dans le nombre, ne se trouverait-il pas une femme qui s'amusât des hommes, comme les hommes s'amusent des femmes ? Pourquoi le beau sexe ne prendrait-il pas de temps en temps une revanche ?...
- Le génie est plus fort que l'esprit, dit Blondet à Nathan.
Cette avalanche d'épigrammes fut en effet comme le feu d'une batterie de canons opposée à une fusillade. On s'empressa de changer de conversation. Ni le comte de Trailles, ni le marquis d'Esgrignon ne parurent disposés à quereller d'Arthez ».

Pas plus que nous ne le ferons nous-mêmes : saluons à notre tour la splendide et rayonnante jeune femme, qui a su avec brio et sentiment « faire une fin » digne de sa carrière.

Commentaires

1. Le lundi, janvier 11 2010, 11:35 par stephanie

Je suis tombée sur votre blog par hasard et en lisant vos commentaires sur vos lectures , cela me donne à nouveau l"envie de dévorer des livres ;chose que je ne fais plus que très rarement faute de conseil car de nombreux livres m'ont attirée mais bien vite déçue également mis à part ZWEIG mais qui apparemment ne vous plait guère. De plus à vous lire, je retrouve avec joie celle qui fut ma prof de français latin, il y a de cela une vingtaine d'années ;et qui a toujours le même enthousiasme. Merci de vos conseils .......Stéphanie

2. Le lundi, janvier 11 2010, 14:15 par Agnès O.
Stéphanie... Micaëla ??? Bonjour à vous ! et bonnes lectures !
3. Le lundi, janvier 11 2010, 17:21 par stephanie

bravo !! c'est bien moi.

4. Le jeudi, février 25 2010, 16:36 par Céline

Je garde un souvenir lumineux de cette nouvelle. Cette rencontre entre deux très beaux personnages, la Diane fière, indépendante, rayonnante, et l'obscur D'Arthez, que j'ai été si heureuse de retrouver ici a été un enchantement. Un de mes Balzac préférés, je crois !

5. Le jeudi, février 25 2010, 21:03 par Agnès

Une lectrice de Balzac, chic !
(et pas seulement de Balzac si j'en juge par mon petit tour rapide sur "Le Blog bleu"...).
Merci de votre passage,
Agnès

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