Balzac, suite... Albert Savarus

Disons-le tout de suite, le plus gros défaut de ce roman est que la nouvelle enchâssée est trop longue ! on y perd, à lire par-dessus l’épaule de Rosalie les tribulations sentimentales de « L’Ambitieux par amour », l’atmosphère feutrée de mesquineries et de méchancetés provinciales qui fait tout le charme grinçant des premiers chapitres d’Albert Savarus, car les titres des chapitres figurent dans mon édition du « Furne corrigé », et c’est bien agréable. Il y a donc dans le très aristocratique et bisontin Hôtel de Rupt une mère, encore jeune et dévote, la blonde et sèche Mme de Watteville, son vieux mari décati et entiché de tournage sur bois, et leur fille Rosalie, dix-sept ans, visage de sainte allemande période archaïque, élevée dans une parfaite ignorance, ce qui ne l’empêchera nullement de cristalliser d’intenses aspirations romanesques sur la personne de leur voisin, l’avocat parisien Albert Savarus de Savaron, dès son succès dans le procès qui a opposé l’archevêché de Besançon à la municipalité libérale. Je m’aperçois à lire les Scènes de la Vie privée dans l’ordre de leur publication dans l’édition Furne que les premières œuvres de La Comédie Humaine présentent nombre de figures de jeunes filles « modernes », habitées par une sorte de violente liberté et le désir impérieux, qu’elles soient ou non dévoreuses de romans, de fonder leur vie d’épouses sur le grand amour, pour le meilleur et pour le pire.

Pour ce qui concerne ce roman-ci, c’est pour le malheur du pauvre Albert Savarus, qui ne l’a jamais rencontrée, que Rosalie de Watteville s’est mise à rêver sa vie avec lui, et qu’en fille de tête, elle met tout en œuvre, même les pires procédés, pour y parvenir. Au défaut près que j’ai évoqué en ouverture, qui est un défaut de construction, AS se lit avec plaisir : on y rencontre nombre de figures provinciales campées avec talent, en particulier celle de l’abbé de Grancey, le prêtre sagace et bienveillant qui sait adoucir les aspérités des caractères respectifs de la mère et de la fille tout en se montrant un directeur de consciences avisé, celle du lion local, Amédée de Soulas qui pour obtenir la fille fait sa cour à la mère, et de façon générale une atmosphère de salons provinciaux, avec dialogues, qui témoigne d’une longue pratique.

Albert Savarus, quant à lui, est une projection de Balzac, dont il a la taille, les traits, la puissance de travail nocturne, la passion. Le roman aurait été écrit au cours d’une période difficile entre lui-même et Mme Hanska récemment veuve, à des fins de reconquête. Pour une œuvre de circonstances, et à condition de passer en diagonale quelques longueurs, ce n’est pas mal du tout, et la rivalité implacable de la mère et de la fille, qui s’exacerbe au fil du roman, conduit à une fin particulièrement féroce et pourtant irriguée par une sorte d’allégresse mordante.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet