Jean-Michel Guenassia - Le Club des Incorrigibles Optimistes

Imré, Tibor, Léonid et Michel...

mais aussi Igor, Werner, Tomasz, Pavel, Gregorios, Virgil, Victor, Wladimir...  et encore Sacha, Jef, et Jean-Paul. Difficile de psalmodier leurs noms sur l’air d’Anton, Ivan, Boris et moi de Marie Laforêt, quand c’est sur Blue suede shoes, Jerry Lee Lewis ou les Beatles  que s’exprime la vitalité rageuse du jeune (des jeunes) héros de ce roman. Ça pourrait faire aussi Claude Sautet, n’eût été la coloration exotique de ces noms essentiellement enracinés à l’Est, mais expliquons-nous.

La plupart des personnages sus-nommés, parmi lesquels le lecteur perspicace n’aura pas manqué de noter l’absence complète de femmes, sont les membres du Club des Incorrigibles Optimistes sis dans une arrière-salle du Balto, brasserie auvergnate, au coin de Denfer-Rochereau et du boulevard Raspail. Rompu aux baby-foot avec Nicolas - tous deux y sont champions, imbattables, infatigables - le narrateur va lentement glisser aux échecs avec Pavel, Igor ou Léonid, à l’occasion d’une partie mémorable, car personne ne bat Léonid, même pas pour une partie truquée....

Dès ses douze ans, Michel Marini, dont la famille s’est distendue entre le père insouciant, jovial et bonimenteur, fils et frère de cheminot communiste, et la mère - rigide bourgeoisie catholique commerçante avec repas dominicaux rituels -, dès ses douze ans donc, Michel, scolarisé en pointillés au Lycée Henri IV (il est passé maître dans la subtilisation des billets d’absence) est presque un pilier de bar. Mais pour y jouer, y observer, y écouter : pour y apprendre la vie, en ses facettes diaprées et inassignables, et des aphorismes pour faire face à toutes les tribulations en toutes circonstances. Des blagues aussi, car  ce roman en regorge, et c’est l’une de ses originalités jubilatoires que d’être aussi un recueil de blagues, essentiellement issues des pays communistes d’ailleurs !

Le roman s’ouvre le jour de l’enterrement de Sartre, par la rencontre entre Michel adulte et Pavel Cibulka, ex-diplomate tchèque, auteur d’un ouvrage incontournable et impubliable sur la paix de Brest-Litovsk, ex-membre du Club, gardien de nuit désabusé. Sartre, c’est l’une des surprises du bouquin, fréquentait le Balto où il jouait aux échecs avec Kessel ( ! ). L’un et l’autre en quelque sorte les mécènes, les protecteurs, les renfloueurs de cette faune cosmopolite, joviale et désespérée, dans ses fréquents moments de dèche.

De douze à dix-sept ans, l’éducation de Michel et les destins bouleversés de ses amis joueurs d’échecs alternent, se tressent et se succèdent, en montage parallèle. Autour d’une arrière-salle de café, d’un quartier, d’un enfant, ressurgit toute une époque avec ses guerres passées et présentes, ses écrivains, ses habitudes quotidiennes, son école, ses livres, ses musiques, ses films, ses révoltes et ses compromissions. C’est bigrement réussi. Déchiré  par les tensions de ses parents, par les vicissitudes de la vie politique et sentimentale de son frère aîné Franck (c’est l’époque de la guerre d’Algérie), par la tendresse qui l’attache auprès de Cécile, l’amie orpheline et délaissée d'icelui, sorte de Jean Seberg brune et touchante, lecteur acharné, effréné, enragé (connivence de qui a lu, aussi, autrefois, en marchant....), photographe amateur et talentueux, Michel essaie de comprendre, assez attentif et passionné pour nouer finalement avec certains des exilés des liens bien plus profonds que ceux de simples rencontres de bar.

Oui, ce roman est un roman de l’année dernière. Oui, il a été salué unanimement ou presque, et consacré, ce n’est pas une mince reconnaissance, par le Goncourt des Lycéens. Oui je me réveille un peu tard, je devrais être occupée à ingérer le dernier Houellebecq et à encenser, avec les médias français, l’inventivité frelatée de sa composition et de sa langue. Mais voilà, je n’étais pas entrée au Club, Houellebecq, son nombril et sa cohorte d’adorants baratineurs m’exaspèrent, je lis au gré de mes tocades et des ouvrages que des lecteurs-par-goût me prêtent ou me recommandent, (Sylvain, pour celui-ci) et même s’il m’est arrivé d’être un peu perdue dans les noms et les sombres sagas slaves, au début du moins, même si la forme de ce roman est en somme assez classique, son usage du récit, du roman, de l’Histoire, du film ou de la blague enchâssés ne manquent pas de brio, de vigueur, de joie communicative. Et laissent au lecteur, qu’il ait ou non connu ces époques d’idées et d’idéologies fiévreuses, la saveur d’une combativité désenchantée et railleuse, très slave, en somme.

 

Commentaires

1. Le mardi, novembre 9 2010, 14:59 par Hélène

Comment, je ne t'avais pas parlé de mon enthousiasme pour ce roman l'an dernier ? Je suis très déçue d'avoir été doublée par Sylvain ;-) Je désespérais en pensant que les écrivains français avaient perdu le mode d'emploi des romans... Mention spéciale à l'ouverture du roman, que j'ai trouvée très forte.

2. Le mardi, novembre 9 2010, 15:07 par Agnès

Nous nous voyons si peu ! D'ailleurs, il va falloir y remédier d'urgence...
Bien contente que ce roman t'ait plu -la relève est assurée par le récent Goncourt :-(
et bien contente et de te voir passer par ici !

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