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dimanche, avril 25 2010

Pat Conroy - Beach Music

Vaste roman. Que j’ai bien failli ne pas lire tant le début m’a agacée : si l’on y retrouve des thèmes familiers au lecteur du Prince des Marées (la mère impossible et séduisante, le père violent, le Sud passionnément aimé pour sa nature et haï pour son conservatisme inébranlable, la jeunesse et le vieillissement, la cuisine….), il y a dans tout le début de ce roman un excès de pathos et de lyrisme, et une surabondance d’adjectifs qui frise l’indécence (et pourtant, je ne suis pas moi-même avare d’adjectifs : mais là… j’en soupirais d’agacement !). Et puis les dialogues : il y en a dix fois trop ! dix fois trop longs ! Les cinq frères McCall ont un esprit caustique assez étincelant, mais est-il bien utile d’en infliger au lecteur la lettre complète au lieu de la simple substance ? Pour autant, on se prend aux personnages hauts en couleurs (quoique certains soient moins convaincants que d'autres - le pianiste Georges Fox, par exemple) de cette histoire-fleuve entre Italie et Waterford, Caroline du Sud, avec en double fond l’histoire tragique des juifs d’Europe centrale et la Guerre du Viêt-Nam. Si bien que j’ai mené ma lecture à son terme. C’est un bon roman populaire, où les héros s’efforcent de conjurer les douleurs de L’Histoire et de leurs héritages intimes jusqu’à se risquer au bonheur. Mais la fin en est outrageusement consensuelle et l’inventivité romanesque, réelle, y pâtit d’une forme de logorrhée, d’une facilité de plume, et, en somme, d’un manque de (re)tenue.

mardi, avril 6 2010

Le Prince des Marées, suite : le film

J’ai regardé le film que Barbra Streisand a tiré du Prince des marées, sur un scénario auquel Pat Conroy lui-même a prêté la main.
C’est affreux.
À peine le squelette de l’histoire. Avec beaucoup trop de musique guimauve ; et Nick Nolte : trop vieux ! parfois charmant, mais lorsqu’il est gominé pour sortir le soir … terrible. Quant à Barbra Streisand, elle n’est PAS Loewenstein.
Trop de New York et pas assez de Colleton, de fleuve, de crevettes, de la liquide beauté de la nature. Quant à l’intrigue, elle est émasculée. Je n’aurais pas dû le regarder. Tant pis. J’en ai relu des passages pour me soigner, toujours touchée par le mélange de lyrisme, de lucidité noire, et la virtuosité des dialogues. C’est un signe, que la force du roman surmonte la médiocrité du film. (J’ai un souvenir épouvanté de la version 1939 - Clarence Brown, avec Georges Brent, ridicule dans le rôle de Ransome - de La Mousson de Louis Bromfield. Un des romans les plus chéris de mon adolescence défiguré au cinéma de minuit par un mélo débile. J’ai eu du mal m’en remettre. Éternel problème de l’adaptation de la littérature au cinéma, des images plaquées sur l’imaginaire.)

lundi, avril 5 2010

Pat Conroy - Le Prince des marées

« J’avais dix ans lorsque je vis pour la première fois le marsouin blanc, connu sous le nom de Snow de Caroline, suivre notre crevettier comme nous rentrions au port après une journée passée à ratisser les plages qui longeaient Spaulding Point.
(…) - Je ne l’avais jamais vu d’aussi près, dit Savannah. Il est d’un blanc immaculé, comme une nappe.
Pourtant, ce n’était pas un blanc immaculé que nous avions devant les yeux quand il refit surface à vingt mètres de nous. D’imperceptibles marbrures de couleur miroitaient sur son dos comme il surgissait de l’eau, un fugitif éclair d’argent des nageoires, une évanescence de couleur impossible à cerner. On savait que jamais deux fois de suite il n’aurait la même couleur.
Nous le regardâmes tourner autour du bateau, passer au-dessous, se fondre dans l’eau comme du lait. Bondissant, il demeurait en suspens, et il avait alors la couleur des pêches et des hautes lunes, avant de s’enfoncer, retrouvant sa teinte laiteuse.
Tels sont les instants fugitifs de mon enfance dont je ne puis tout à fait reconstituer le souvenir parfait. Irrésistibles, emblématiques, je ne retrouve d’eux que des fragments, des frémissements de cœur. Je revois le fleuve, la ville, mon grand-père pilotant un bateau sur le chenal, ma sœur figée dans cet instant d’absolue béatitude qu’elle traduirait plus tard dans ses poèmes les plus puissants, le parfum métallique des huîtres cueillies, les braillements d’enfants sur le rivage…. Quand vient le marsouin blanc, tous ces éléments sont présents, plus leur transfiguration. En rêve, le marsouin demeure dans les eaux de la mémoire, pâle divinité qui nourrit le jeu et le fond glacial de toutes les eaux noircies de mon histoire. » 

1070 pages chez Pocket. Un pavé indiscutablement. Cela faisait bien longtemps que mon amie Isabelle me le disait : « Il faut que tu lises Le Prince des Marées, Agnès ». Et voilà que Sylvain me l’a offert. Merci à tous deux. Une bonne douzaine d’heures de lecture – presque – continue. Il fallait que je le lise d’une traite, pour ne pas m’arracher à cet univers torrentiellement romanesque, à cette puissance lyrique et narrative, à cette démesure du verbe. Il fallait que je le lise, et je suis bien contente de l’avoir fait car voici encore un grand roman qui va habiter en moi.
C’est une histoire de famille, infiniment douloureuse malgré les moments d’émerveillement ou d’extase suscités par la nature, comme l’épisode du marsouin blanc.

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