Romanesque, décidément

Il y a un roman dont je voudrais vous parler depuis un moment, sans jamais avoir pris le temps de le faire. Problème : il n'est naturellement pas à sa place, j'ai dû le prêter - à qui, je n'en ai plus la moindre idée - je vais donc devoir me fier strictement à ma mémoire.
C'est un pavé, et si j'ai hésité à en parler, c'est, absurdement, parce que c'est aussi une sorte de gigantesque conte de fées, d'un romanesque débridé, et que j'avais presque le sentiment de devoir m'excuser auprès des lecteurs *** avertis *** de leur recommander une histoire à ce point merveilleuse. Un produit parfaitement réussi de la pratique américaine des cours d'écriture : l'extrême et minutieuse documentation se fond dans la construction globale d'une intrigue rigoureusement construite et maîtrisée. Trêve de circonlocutions. Il n'y a pas à s'excuser : ce roman est une merveille, il se dévore, et se relit, avec un égal bonheur. On en sort "reconstitué". Il a quelque chose de puissamment tonique, dans la façon dont il construit, au fil de rencontres toutes providentielles, le destin de Claude Rawlings, musicien de génie né dans les sous-sols de New York, années 40.
C'est Corps et âme, traduction stricte de l'anglais Body and soul, de Frank Conroy, écrivain américain mort en 2005.

Le roman s'ouvre dans le sous-sol misérable et désordonné d'un minuscule appartement où un petit enfant attend des journées entières dans l'angoisse et l'incertitude le retour de sa mère, géante alcoolique, imprévisible et malgré tout tutélaire, habitée par une sorte de rage de la revendication militante contre toutes les injustices. Il y découvre un jour dans le fatras des tracts qui s'empilent un petit piano blanc de bastringue, sur lequel il apprend littéralement à déchiffrer les sons comme une initiation au déchiffrement du monde.
Le mystère du piano l'amènera, tout jeune, à quitter le sous-sol pour une boutique d'instruments de musique dans sa rue, où il fait sa première rencontre providentielle : le propriétaire du magasin, un musicien juif polonais, Monsieur Weisfeld (?), qui, découvrant le don du garçon devient en quelque sorte son parrain. C'est Weisfeld qui lui fait rencontrer son premier professeur, pianiste de génie qui lui lègue son piano et une rente, Weisfeld qui lui installe le studio souterrain qui devient la tanière, l'antre, le cœur battant de Claude au fur et à mesure de ses rencontres, de son apprentissage de la vie, de sa découverte de la musique, des êtres – déclassés et marginaux comme sa mère et le balayeur noir dont le nom m'échappe absolument, et qui pourtant offre à la mère et l'enfant sa bonté rayonnante et un équilibre, ou gratin New-Yorkais côtoyé à l'occasion de cours ou grâce à l'un de ses richissimes professeurs ou encore à l'université.
Le roman tisse ensemble un contexte réaliste, le New-York des années 40-50 avec ses quartiers, ses cinémas, ses taxis, son métro, ses flics, ses hôtels particuliers luxueux, ses snobs et ses excentriques, la formation musicale de Claude, dont le talent prend forme et force non sans épreuves, sa formation intellectuelle, sa vie affective et sentimentale, des amours d'enfance à son mariage avec une jeune et brillante aristocrate et petite fille de philanthrope. Ne croyez pas pour autant que tout soit rose dans ce destin, qui connaît ses gouffres et ses errances.
Je vais peut-être m'arrêter là, avant d'avoir tout raconté. C'est un conte de fées, peut-être, mais sans niaiserie aucune, où tous les personnages sonnent juste. Et l'on avance dans le roman, comme transportés par cette symphonie humaine et musicale.

Commentaires

1. Le mercredi, juillet 30 2008, 19:21 par mr-bark

je tenais à te faire un petit message pour te dire que ton blog est très sympathique :-)

2. Le mardi, septembre 2 2008, 21:31 par Agnès

Merci ! et bonnes lectures.

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