Si
le train, et le TGV en particulier, est un lieu favorable à la lecture, ça se
discute, entre allées et venues, baladeurs résonant à l’extérieur des oreilles
de leur possesseur, conversations plus ou moins clandestines sur potables, et
la porte du wagon qui beugue et soubresaute convulsivement en soufflant comme
une locomotive à chaque – fréquent – passage.... Pour ma part en tout cas, et
retards chroniques de la SNCF
aidant, j’y ai achevé deux romans. Le second Anne-Marie Garat de la semaine (Chambre Noire d’abord, avant le train,
puis István arrive par le train du soir), et au retour, un James Lee
Burke : La Descente
de Pégase. Garat d’abord. La
Chambre noire est celle des souvenirs qui
tournent autour d’une maison de famille, à Blois, de la fin du XIXe au temps de
l’écriture (1990). Autour des photos d’un jeune oncle tôt disparu de son mari,
Miléna /Mélanie, photographe, recompose à la fois sa mémoire propre de fille d’exilés
juifs estoniens et celle de la famille qu’elle a faite sienne. C’est prenant,
ça se lit bien, malgré un petit côté systématique dans la construction en
puzzle de lieux et de dates, un siècle, entre 1885 et 1986. Le roman donne
forme à une réflexion sur le temps qui passe, la transmission des douleurs et
des non-dits dans les familles, sur la lumière et l’obscurité, le négatif et le
positif, l’éblouissement, la quête et la révélation. C’est en quelque sorte la
mise en forme romanesque d’une réflexion sur la photo. Je n’ai pas lu La Chambre claire de
Barthes, mais l’essai date de 1980 et il n’est pas impossible que ce texte y
fasse écho, ou y réponde. Ce qui fait peut-être aussi que les personnages ont
quelque chose d’un peu mécanique, ou théorique ? avec aussi cette gêne - je
comprends bien la raison, la photo est l’art de l’instantané, fût-il composé
comme sur les photos de Romain Maréchal, et l’instantané, c’est le présent –
cette gêne donc qui m’est propre de lire tout un texte au seul présent. J’aime
sans réserve l’art plat, mais coloré, éblouissant de Matisse, pourquoi ai-je
tant de mal avec la littérature au présent strict ? Sans doute parce qu’à
la longue, elle en devient académique ? Il n’en reste pas moins que le
travail romanesque d’A.M. Garat est intéressant, sa langue et sa syntaxe riches
et complexes, je l’ai déjà écrit. Son goût des êtres et des gens noués entre
leurs histoires et l’Histoire, aussi. Mais peut-être suis-je aujourd’hui un peu
lasse de la présence en filigrane de l’Apocalypse, telle qu’on la retrouve
aussi dans István..., où le personnage central, Joseph – la conscience à
travers laquelle se construit et se filtre toute l’intrigue - connaît en ce
jour où il découvre que le tas de feuilles et de chiffons qu’il voyait depuis
huit jours de sa fenêtre était en réalité le cadavre de son voisin, une semaine
de déréliction où tout devient douteux, suspect. En particulier sa longue
relation d’amitié avec son ami István, spécialiste du nucléaire, brusquement
impliqué dans une mystérieuse filature nocturne suivie d’agression avec quasi
noyade dans la Seine,
si Joseph n’était pas intervenu. Du nouveau roman, A. M. Garat exploite le
filon du regard incertain qui confère au réel une sorte d’inconsistance, de
tremblé, et l’art de la construction au service d’icelui. Pour autant, les
personnages ne sont pas assez incarnés, en somme, pour que je n’aie paséprouvé, à la longue, un certain détachement
à l’égard même de malecture.
Après
quoi, j’ai avalé au retour un James Lee Burke récent. Mais j’en parlerai un
autre jour. Pour aujourd’hui, on va, abruptement, s’arrêter là.
Pense
à demain, c’est presque aussi bien que Splendeurs et Misères des Courtisanes !
Aussi démesuré dans la taille, et dans le projet. 711 pages pour ce dernier
volume d’une trilogie qui aurait pu, à la manière de Zola, s’intituler Les Bertin-Galay,
du nom de la famille racine en quelque sorte, dont au fil des épisodes grouillent
les ramifications. 711 pages grand format, chez Actes Sud, un authentique pavé
(LE pavé de l’été, je n’aurai pas le temps d’en lire un autre, tant pis pour
Marcel devant qui j’ai renâclé, et qui se prête tellement moins bien à la
lecture en train).
L’époque :
dujeudi 15 août au 29 novembre 1963, 3
mois et demi. Avec des flashes back qui renvoient jusqu’en 1910, époque des
origines de la saga, lorsque est tourné le film Pluie ardente qui a
déclenché, quelques milliers de pages plus tôt, le début de la quête de
Gabrielle Demachy, héroïne de Dans la main du diable. Et des flashes
forward jusqu’en septembre 2010, c’est hardi, c’est après la publication, dans
le long épilogue qui enseigne au lecteur le destin ultérieur des personnages,
principaux et annexes, et leur descendance.
Les
personnages donc : une bonne quarantaine pour ce volume, au moins une
petite centaine en tout, dirais-je. Outre la tribu Galay et assimilés, ily a les Armand de la ferme, et, entre autres,
des Hongrois, des Allemands, des Anglais – des Irlandais, aussi. Je m’aperçois
que je n’ai pas chroniqué ma lecture du tome deux : L’Enfant des
ténèbres, pourtant passionnant, dont Camille Galay, la « fille »
de Gabrielle et de Pierre, était l’héroïne sur fond de restructuration de
l’entreprise et de montée du nazisme.
Impossible de résumer les 1270 pages en ''Babel'' de ce PAVÉ, que j’ai lu d’une traite, au fond de mon lit de douleur en ponctuant ma lecture de quintes de toux, dans une histoire où il est question d’épidémies de typhus…. Il m’avait été recommandé ici-même par Bergamote, merci à elle, il est tombé à pic en une période où je n’avais guère de goût à lire… ou guère de livres à goût ?
Donc : c’est une histoire d’un romanesque échevelé, dont l’héroïne, ''Gabrielle'', jeune femme mi-hongroise mi-française, a été élevée à Paris dans un esprit d’indépendance par sa tante Agota et sa nourrice Renée, dite Ninette. Habitée depuis toujours par l’amour de son ténébreux cousin Endre, disparu 5 ans auparavant, elle se lance sur ses traces à l’instigation d’un mystérieux et machiavélique prétendu petit employé du ministère de la guerre, où sa tante et elle ont récupéré les misérables effets du jeune homme, avec l’annonce de sa mort. L’enquête de Gabrielle l’amène à se présenter comme institutrice au sein d’une riche famille bourgeoise, les Bertin-Galay (alliance de grande bourgeoisie biscuitière et d’aristocratie rurale et esthète), menée d’une main de fer par Mme Mathilde, la douairière. Gabrielle a été embauchée pour s’occuper, dans la maison familiale isolée aux alentours de Paris, de Camille dite Millie, pauvre petite chose orpheline de mère, méprisée par le reste de la famille, et fille du docteur Pierre Galay, un immunologiste réputé dont la route a dû, autrefois, croiser celle d’Endre en Birmanie, et qui semblerait en savoir long sur sa mort.