Elizabeth Goudge : "Le Pays du Dauphin Vert" - pavé anglais

Une petite île d’enfance, puis, au bout du monde une deuxième grande île, celle de l’âge adulte. Deux fillettes, puis trois enfants que le fil de l’histoire voit s’épanouir en jeunes adultes puis vieillir jusqu’à l’âge installé. Deux, trois... une quatrième maison… et un couvent en nid d’aigle.
Un pavé : 792 pages rééditées par Phébus (encore, mais sans plus les érudites et passionnées préfaces de JPS – Jean-Pierre Sicre, et c’est dommage car que de questions cette lecture ne suscite-t-elle pas !).
Et un pays : les tribulations de William, de Marianne, d’Old Nick le perroquet, du tonitruant et bienveillant capitaine O’Hara, de Nat’, du fascinant Tai Hairuru (La Mer retentissante), vibrant et serein à la fois, trouvent leur unité dans le pays imaginaire né dans l’enfance de Marguerite, Marianne et William entre la rue du Dauphin Vert, sorte de rue-fée, « toujours joyeuse, car les gens qui y habitaient étaient toujours heureux, pas assez pauvres pour être privés de la joie de vivre, pas assez riches pour en être accablés », et le clipper du même nom, apparu à Marianne et William dans un matin étincelant, celui de leur rencontre avec le capitaine O’Hara.

Les coïncidences, les pressentiments, les emboîtements dus au destin d’un bout à l’autre des vies et du monde sont la règle de ce pays et de ce roman tissé de merveilles et d’émerveillement : jardins pleins de couleurs et de parfums, Baie des Petites fleurs tapissée de petits coquillages colorés, rochers et lieux habités de légendes païennes ou chrétiennes, forêts de hautes fougères et de pins Kauris, immensité du Pays des Verts pâturages : décors réels et pourtant pas tout à fait vrais (l’île anglo-normande du début n’est pas tout à fait Guernesey malgré sa capitale Saint Pierre, comme la Nouvelle-Zélande a été imaginée de l’aveu même de la romancière à partir d’un récit de voyage) ne sont que l’apparence extérieure de ce qui est en fait une géographie des âmes errant en elles-mêmes et dans le vaste monde jusqu’à se trouver.

La sombre et calculatrice Marianne et la radieuse Marguerite Le Patourel s’engouffrent un soir de tempête d’automne dans la vie de William Ozanne, jeune rouquin rayonnant tout frais revenu au pays avec son père. Coup de foudre commun des deux fillettes pour le garçon. Coup de foudre en retour de William pour Marguerite : le destin des trois enfants devenus hommes constitue la trame de ce roman lumineux, humaniste, mystique, tout pétillant de bonté : celle des êtres qu’il place au premier plan, celle de la romancière dont la tendresse amusée accompagne ses créatures jusqu’à la dernière exclamation goguenarde d’un Old Nick hors d'âge. Il y a donc des jurons : Saint Moïse ou Begorra, des plats mystérieux comme l’anglicé, des mots sonores et étranges : « le côtais bas », Tai Haruru, le pa, le pékérangi ou un malfaisant Kihunga, les mots de la Bible et ceux des poètes, les démons, les faïes, les sarregouzets, les saintes et les lutins.

Sans doute y a-t-il dans ce roman un écho de Peter Ibbetson, de Georges Du Maurier, à cause de l’éblouissant pays des amours enfantines, et du rêve comme essence même de la vie.

Je me suis plongée de longues heures dans cet univers féerique sans niaiserie, peuplé de personnages complexes et douloureux malgré leur fraîcheur, et tout ensemencé de beauté et de bonté. Une histoire vaste comme le vaste monde, minutieusement tissée, ornée, brodée, comme le canevas de Marianne, où passé et présent, rêve et réalité, monde païen et monde chrétien liés dans les rêves et le sang des personnages affirment la suprématie conjuguée de l'amour et de l'imaginaire pour donner forme et lumière à la vie.

Le roman est de 1944, adapté à l’écran en 1947 par Victor Saville avec Lana Turner et Donna Reed, un succès, semble-t-il. Quant à Elizabeth Goudge, dont j’ai dû lire dans mon adolescence L’Arche dans la tempête - j’en ai tout oublié, mais le nom et le titre me sont familiers - elle a eu semble-t-il une vie tourmentée et solitaire, et une grande notoriété de romancière, aujourd’hui retombée. J’espère que cette réédition lui vaudra un nouveau souffle de lecteurs « embarqués » et enflammés.

Commentaires

1. Le lundi, juin 23 2008, 15:21 par Caroline

Bonjour Agnès!

Oh, que c'est drôle de retrouver ce roman. Je l'avais déniché probablement dans la bibliothèque de ma grand-mère, il y a bien longtemps, ou peut-être la soeur de Brigitte me l'avait recommandé. Je l'avais oublié. À l'époque, il m'avait tellement plu que je l'avais utilisé comme sujet de dissertation libre qui m'avait valu une bonne note!

C'est un bon souvenir. Il faudra que je le relise.

Salut!

2. Le mercredi, août 6 2008, 22:04 par gao

J'ai lu ce livre il y a un an, intriguée par la couverture de l'édition Phébus. Un pavé mais aussi un livre qui tient en haleine jusqu'à la fin. Un peu comme si le pays des rêves s'imbrique dans la vie réelle et permet à celle-ci de devenir la vraie vie.

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