Les 700 et quelques pages des Tours de Barchester d’Anthony Trollope racontent en détail toutes les petites intrigues et manigances mises en œuvre autour de la nomination d’un nouvel évêque dans cette paisible cité épiscopale et néanmoins fictive du sud de l’Angleterre, puis, à la suite de la nomination de Mgr Proudie (ou plutôt de sa femme, car la digne dame porte la culotte dans le couple et son pouvoir d’agir sur les décisions de son mari est immense !) sur les menées et autres manœuvres souterraines pour l’attribution des postes de directeur de la maison de retraite et de doyen (le décanat ?). Pas grand-chose de très séduisant, si l’on s’en tient à un tel résumé. Mais c’est un Trollope, et Trollope sait donner à la vie la plus provinciale des couleurs et une vivacité incomparables.
C’est donc encore une très plaisante comédie qui se développe, pli après pli, sous les yeux du lecteur. L’intrigue s’organise autour de la figure pateline et cauteleuse de Mr Obadiah Slope, chapelain privé du nouvel évêque et éminence grise de madame, avant que leurs relations ne se dégradent jusqu’à la guerre ouverte. Comme le nouvel évêque, Mr Obadiah Slope est un évangéliste, variété d’ecclésiastiques de la Basse Eglise fort peu goûtée par Trollope, et brocardée à tout va au fil de ses différents romans. C’est, dans celui-ci, une incarnation explicite de Tartuffe, dont il partage, outre l’ambition sociale, les très charnels désirs. Or Mrs Eleanor Bold, jeune mère veuve d’un adorable Johnny, Mrs Eleanor Bold est si désirable lorsqu’on la surprend échevelée en plein « office d’adoration du bébé » que la nature tortueuse et calculatrice de Mr Slope se laisse malgré lui entraîner à des rêveries et à des projets imprévus. Et comment garder la tête froide quand le révérend Stanhope, quittant la douceur de l’Italie où il s’était installé, rejoint Barchester avec ses étranges enfants, parmi lesquels l’ensorcelante, quoique infirme, Mrs Madeline Vesey Neroni ? Voilà Slope en proie à deux intrigues sentimentales, et en butte à la haine déclarée de son ex-protectrice, la terrible Mrs Proudie. Mrs Bold est en outre la fille de Septimus Harding, le vieux musicien paisible autour duquel tournait l’intrigue du Directeur, le précédent volume de la série des Chroniques du Barsetshire, dont ce roman est le second épisode. C’était déjà, dans ce premier opus que je n’ai pas encore lu, le poste de directeur de la maison de retraite (douze pensionnaires) qui avait suscité toutes sortes d’intrigues, et la démission de Mr Harding. Comment ne pas embrouiller mon lecteur, ni lui en dire trop, sans avoir évoqué pourtant en son presbytère de Plumstead (Pruneraie ?) la famille Grantly, dominée par Mr, fils évincé du défunt évêque, et beau-frère fort offusqué de Mrs Bold qu’il soupçonne d’inavouables intrigues sentimentales ? ni la famille Quiverful (Trembleur ?) de Puddingdale (la puddinguerie ?) qui aspire si ardemment à la direction de la maison de retraite, pour pouvoir nourrir et vêtir décemment ses sept enfants ? ni enfin le docte et chaste Mr Arabin venu d’Oxford pour affronter Slope, et éphémère occupant de la cure d’Ullathorne sous la tutelle attentive de l’inénarrable vieille Miss Thorne, vierge et romanesque, et de son frère ? je n’ai plus le volume sous la main pour retrouver qui affirme dans la postface qu’il n’y a pas d’érotisme dans cette très victorienne littérature. Je suis bien sûre du contraire : la scène où Slope surprend Mrs Bold en pleine bêtification débridée avec son bébé est au contraire un moment intensément suggestif et particulièrement réussi. Quant aux moyens de pression… nocturnes de Mrs.sur Mr. Proudie, quels peuvent-ils bien être ? Ils sont en tout cas redoutables.