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mardi, décembre 27 2011

Trollope - les Tours de Barchester

Les 700 et quelques pages des Tours de Barchester d’Anthony Trollope racontent en détail toutes les petites intrigues et manigances mises en œuvre autour de la nomination d’un nouvel évêque dans cette paisible cité épiscopale et néanmoins fictive du sud de l’Angleterre, puis, à la suite de la nomination de Mgr Proudie (ou plutôt de sa femme, car la digne dame porte la culotte dans le couple et son pouvoir d’agir sur les décisions de son mari est immense !) sur les menées et autres manœuvres souterraines pour l’attribution des postes de directeur de la maison de retraite et de doyen (le décanat ?). Pas grand-chose de très séduisant, si l’on s’en tient à un tel résumé. Mais c’est un Trollope, et Trollope sait donner à la vie la plus provinciale des couleurs et une vivacité incomparables.

C’est donc encore une très plaisante comédie qui se développe, pli après pli, sous les yeux du lecteur. L’intrigue s’organise autour de la figure pateline et cauteleuse de Mr Obadiah Slope, chapelain privé du nouvel évêque et éminence grise de madame, avant que leurs relations ne se dégradent jusqu’à la guerre ouverte. Comme le nouvel évêque, Mr Obadiah Slope est un évangéliste, variété d’ecclésiastiques de la Basse Eglise fort peu goûtée par Trollope, et brocardée à tout va au fil de ses différents romans. C’est, dans celui-ci, une incarnation explicite de Tartuffe, dont il partage, outre l’ambition sociale, les très charnels désirs. Or Mrs Eleanor Bold, jeune mère veuve d’un adorable Johnny, Mrs Eleanor Bold est si désirable lorsqu’on la surprend échevelée en plein « office d’adoration du bébé » que la nature tortueuse et calculatrice de Mr Slope se laisse malgré lui entraîner à des rêveries et à des projets imprévus. Et comment garder la tête froide quand le révérend Stanhope, quittant la douceur de l’Italie où il s’était installé, rejoint Barchester avec ses étranges enfants, parmi lesquels l’ensorcelante, quoique infirme, Mrs Madeline Vesey Neroni ? Voilà Slope en proie à deux intrigues sentimentales, et en butte à la haine déclarée de son ex-protectrice, la terrible Mrs Proudie. Mrs Bold est en outre la fille de Septimus Harding, le vieux musicien paisible autour duquel tournait l’intrigue du Directeur, le précédent volume de la série des Chroniques du Barsetshire, dont ce roman est le second épisode. C’était déjà, dans ce premier opus que je n’ai pas encore lu, le poste de directeur de la maison de retraite (douze pensionnaires) qui avait suscité toutes sortes d’intrigues, et la démission de Mr Harding. Comment ne pas embrouiller mon lecteur, ni lui en dire trop, sans avoir évoqué pourtant en son presbytère de Plumstead (Pruneraie ?) la famille Grantly, dominée par Mr, fils évincé du défunt évêque, et beau-frère fort offusqué de Mrs Bold qu’il soupçonne d’inavouables intrigues sentimentales ? ni la famille Quiverful (Trembleur ?) de Puddingdale (la puddinguerie ?) qui aspire si ardemment à la direction de la maison de retraite, pour pouvoir nourrir et vêtir décemment ses sept enfants ? ni enfin le docte et chaste Mr Arabin venu d’Oxford pour affronter Slope, et éphémère occupant de la cure d’Ullathorne sous la tutelle attentive de l’inénarrable vieille Miss Thorne, vierge et romanesque, et de son frère ? je n’ai plus le volume sous la main pour retrouver qui affirme dans la postface qu’il n’y a pas d’érotisme dans cette très victorienne littérature. Je suis bien sûre du contraire : la scène où Slope surprend Mrs Bold en pleine bêtification débridée avec son bébé est au contraire un moment intensément suggestif et particulièrement réussi. Quant aux moyens de pression… nocturnes de Mrs.sur Mr. Proudie, quels peuvent-ils bien être ? Ils sont en tout cas  redoutables.

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lundi, août 2 2010

Jane Austen - Northanger Abbey, défense et illustration du genre romanesque

« Les progrès de l’amitié de Catherine et d’Isabelle furent aussi rapides que ses prémices avaient été chaleureuses, et elles brûlèrent si bien les étapes d’une affection croissante qu’elles n’eurent bientôt plus besoin d’en donner la moindre preuve à leurs amis ou à elles-mêmes. Elles s’appelaient par leurs prénoms, se tenaient toujours par le bras quand elles se promenaient ensemble, s’attachaient mutuellement la traîne de leur robe avant d’aller danser et refusaient de se séparer pendant le quadrille. Si une matinée pluvieuse les privait d’autres plaisirs, elles tenaient quand même à se voir au mépris de la pluie et de la boue, et s’enfermaient ensemble pour lire des romans.

Des romans, oui, car je refuse d’obéir à cette coutume mesquine et peu politique qu’adoptent si souvent les auteurs et qui consiste à déconsidérer, par une censure des plus méprisantes, le genre d’œuvres même dont ils sont en train d’accroître le nombre. Ils rejoignent là leurs pires ennemis pour octroyer à de tels ouvrages les épithètes les plus cruelles et n’autorisent jamais leur héroïne à lire des romans. Si elle tombe par accident sur l’un de ces livres, elle en tournera les pages avec dégoût. Hélas ! si l’héroïne d’un roman n’est point patronnée par l’héroïne d’un autre roman, de qui peut-elle attendre protection et considération ? Je ne saurais défendre une telle attitude. Laissons aux critiques le soin de dénigrer à loisir toute effusion d’imagination, laissons-leur le soin de parler, à propos de tout nouveau roman et en un style rebattu, de la camelote sur laquelle ahanent de nos jours les presses. Ne nous trahissons pas les uns les autres, nous sommes un corps insulté. Bien que nos productions aient offert aux lecteurs un plaisir plus grand, plus sincère que ceux d’aucune autre corporation littéraire en ce monde, aucun genre, jamais, ne fut plus décrié. Quelle qu’en soit la cause, la vanité, l’ignorance ou la mode, nous avons presque autant d’ennemis que de lecteurs (...) il semble presque correspondre à une volonté générale de décrier le talent et de mésestimer le travail du romancier, et de dédaigner des oeuvres qui n’ont pour les recommander que le génie, l’esprit et le bon goût. »

Qu’y a-t-il de plus charmant dans Northanger Abbey ? Le personnage de Catherine Morland, sa naïveté, sa grâce, sa bonne foi ? Ou l’allègre élan du roman, qui cueille la jeune fille dès son enfance ingrate et garçonnière, dans sa nombreuse et brouillonne famille, pour la conduire à l’orée de sa vie de femme, à travers une initiation au monde (une immersion dans la très élégante Bath en été) et à l’univers romanesque, au monde PAR l’univers romanesque ? Car tout autant qu’un roman d’apprentissage au féminin, Northanger Abbey est un amusant traité de l’éducation des filles par le roman. Et un éloge vibrant, jugez-en par le texte cité ci-dessus, de cet art original en cours de reconnaissance.

Catherine en pleine terreur romanesque (source Wikipédia)

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vendredi, juillet 9 2010

Ann Radcliffe – Les Mystères d’Udolphe

868 pages ! J’ai cru que je n’allais jamais arriver au bout. Et pourtant je lis vite. Mais malgré la traduction très réussie, très littéraire, de Madame Victorine de Chastenay – qui eut une vie passionnante, l’écrivit, discuta littérature avec Bonaparte et faillit épouser le fils du Marquis de Sade !!! – je me suis copieusement ennuyée (au moins dans les 400 premières pages, en attendant que ça démarre, et surtout, que ça se lie). Je ne dois pas avoir la fibre gothique : ce que j’ai aimé dans ce roman, ce sont les descriptions de paysages (de montagne, escarpés, sauvages, effrayants ; de côtes, mêlant plaines riantes et fertiles, et rochers déchiquetés où se brisent les vagues ; de vallées ombragées arrosées de rivières...) mais alors les châteaux gothiques avec remparts et tour du Nord, souterrains, passages dérobés, et terreur possible – mais souvent de courte durée – à chaque détour de couloir, ou de mur couvert d’un voile noir (et l’on n’aura la solution du mystère que 400 pages plus tard, en se disant que la jeune Émilie de Saint Aubert est bien inconséquente dans ses oublis), les papiers secrets que l’on trouve sous une lame de plancher et que l’on brûle mais en gardant le portrait qui leur était joint, lequel ne ressurgira que dans la quatrième partie, les itinéraires interminables intra et extra muros, et surtout ce mode de narration étrange (sans doute lié au fait qu’il s’agit des débuts d’un genre) qui fait que la solution des mystères apparaît presque toujours, et en particulier à la fin, sous forme d’un résumé rationnel et en quelque sorte plaqué, ou que les méchants sont expédiés sous forme de digression rétrospective, et pas du tout sous nos yeux avec révélations et de la sanglante manière qu’ils eussent méritée... et puis la jeune Émilie si raisonnable... ben j’ai eu du mal à comprendre l’engouement de Balzac, Gautier et consorts.

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