Auður Ava Ólafsdóttir - Rosa Candida, "Afleggjarinn"

C’est un plaisir de lire un bouquin d’une traite. Il suffit pour cela d’une tempête dehors, d’une insomnie, d’une bonne couette et d’un livre pas trop épais : condition réunies la nuit dernière avec un roman de chez Zulma, sa couverture à rabats décorée de motifs géométriques (très années 60, celle-là), son triangle de titre renversé (le triangle, pas le titre), le gracieux qui signe la marque de l’éditeur, avec l’épigraphe empruntée à Corbière : « À la mémoire de Zulma / vierge-folle hors barrière / et d’un louis ». Les pages sont crémeuses, au regard, au toucher. La reliure, solide, on peut tordre quelque peu le livre sans le casser. Autrement dit, un volume de chez Zulma donne physiquement le plaisir de lire, d’autant plus que le roman en question est charmant. Une seule réserve pourtant : je  viens de découvrir que les rabats (heureusement, c’est plus discret) portaient l’équivalent d’une « quatrième de couverture » tellement détaillée qu’on se demande après l’avoir lue - chose qu’heureusement je n’ai pas faite au préalable - pourquoi entamer le bouquin. Cette manie de tout révéler d’un livre avant même qu’on l’ait ouvert ! Ça ressemble à ces apéritifs tellement copieux voire bourratifs qu’on n’a plus faim au moment de se mettre à table. Je croyais qu’on requérait aujourd’hui des auteurs d’appâter l’éditeur avec un « pitch » incitatif. Pourquoi ne pas le répercuter tel que au lecteur ? En tout cas, si vous voulez lire Rosa Candida, ne jetez surtout pas un œil sur les rabats, ça briserait tout le charme.

Rosa candida, donc, traduit l’islandais Afleggjarinn, qui manifestement ne signifie pas la même chose. Je l’ai tellement cherché dans les dictionnaires en ligne, muets et perplexes, que je sais désormais l’écrire par cœur. J’ai la manie de vouloir connaître le titre original d’une œuvre (livre ou film) pour en interroger le sens. Eh bien après moult tentatives totalement avortées (qualificatif en l’occurrence très peu pertinent), j’ai fini par trouver en tapant direct le titre dans gougueule et en tombant sur une critique en anglais : « Affleggjarin » se traduit par « offspring », qui signifie « progéniture », mais « rejeton » aussi….  

Or le jeune héros du roman quitte son île natale (comme il y a de la  lave et quasi pas de végétation, on a tendance à penser que c’est l’Islande parce que l’autrice est islandaise, mais rien ne le dit formellement, tout le roman laisse le lecteur curieusement désorienté) emportant dans son sac à dos trois boutures d’une variété rarissime de rosa candida pourpre à huit pétales, variété léguée par sa mère et qu’il a l’intention d’acclimater dans le jardin médiéval à l’abandon d’un monastère du sud ( ?) de l’Europe où il se rend pour le restaurer. L’accompagnent aussi les photos de sa mère, jardinière de génie, et de sa fille, un bébé de sept mois, fruit d’une seule « demi-nuit » dans la serre maternelle avec une jeune femme de hasard à quoi rien d’autre que cette enfant – mais cette enfant qu’il a vu naître – ne le lie. Flóra Sól (fleur soleil ?) est le nom de l’enfant.

Grand échalas de vingt-deux ans, sorte de Perceval rouquin lui-même parfaitement désorienté par les nombreux et bouleversants rebondissements de sa vie récente, Lobbi (c’est le petit nom que lui donne son vieux père), qui est hanté par la mort et par les corps (le sien, ceux des jeunes femmes rencontrées), accomplit son voyage initiatique ponctué de bonnes fées et d’hôtes bienveillants, de forêts infinies et de repas plus ou moins excentriques, jusqu’au monastère perché (cistercien ? les frocs sont blancs) d’un village aux maisons crépies de couleurs vives (en Espagne ? la voisine lui apporte un plat qui évoque la paëlla) où il est accueilli par un abbé cinéphile et bienveillant, le frère Thomas. Le voilà installé, et occupé à rendre au jardin sa splendeur et son âme, quand les choses se compliquent.

L’illustration de couverture de la version islandaise du roman me fait regretter que Zulma ne l’ait pas transposée dans son motif, mais tant pis. Ce roman faussement naïf a en somme un petit air médiéval. Et s’il flaire bon la mystique avec sa rose représentée sur les vitraux de l’église et le nimbe qui auréole la mère et l’enfant du héros, la simplicité de la langue, du mode narratif, la simplesse apparente des personnages, sont au service d'un humour discret et d’une réflexion moins simplette qu’il n’y paraît sur la mort, l’amour, le désir, la transmission. Éros, en somme.

 

 

Commentaires

1. Le mercredi, janvier 4 2012, 16:42 par Pas à Pas

Je l'ai beaucoup aimé par sa simplicité, son naturel.

"Pas à Pas"

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?trackback/294

Fil des commentaires de ce billet