« Le froid resserra encore son emprise au fil de la soirée, renforcé par un vent glacial venu du pôle et de la mer, au nord, pour parcourir ce désert hivernal. Il s’élançait du haut de la montagne Skardsheidi, longeait les flancs de l’Esja et parcourait, la gueule béante, les basses terres où s’étendaient les habitations, cette scintillante cité de l’hiver, posée sur l’extrême rive nord du monde. Le vent s’avançait en hurlant à la mort et en sifflant entre les maisons ; il envahissait les rues désertées. La ville hibernait, comme dans l’attente immobile d’une épidémie. Les gens se cloîtraient à l’intérieur. Ils fermaient les portes, les fenêtres, tiraient les rideaux en espérant que, bientôt, la vague de froid prendrait fin. »
Lire Hiver Arctique d’Arnaldur Indridason en pleine tempête de neige a quelque chose de très rigoureusement cohérent. Mutatis mutandis, l’atmosphère extérieure offre à la lecture le décor qui convient. Et il ne cesse de neiger depuis hier soir, routes et rues impraticables, en ce début de mars, on s’y croirait !
Hiver arctique est un Indridason de 2005, traduit par Eric Boury avec son habituel talent et publié en 2009. Il précède donc La Rivière Noire que j’ai lu et chroniqué il y a deux ans, et laisse supposer en effet les raisons pour lesquelles Erlendur aurait disparu sur les traces de son passé depuis deux romans au moins. Si j’en crois Sylviane la libraire, le dernier opus tout récemment publié, Etranges Rivages, le voit justement réapparaître.
Le roman s’ouvre sur le cadavre d’un enfant, à plat ventre sur le sol glacé, un soir dans un quartier pauvre de Reikjavik. L’enfant a été poignardé, et aucune piste manifeste ne se propose aux investigations d’Erlendur, au demeurant en quête d’une femme disparue, ni à celles de ses adjoints Elinborg et Sigurdur Oli. Sur leurs pas le lecteur découvre les mœurs scolaires des Islandais – qui font de la menuiserie au collège -, ou la question de l’immigration en Islande, la mère du jeune garçon assassiné étant thaïlandaise. Si l’enquête ébranle profondément l’inspecteur, c’est que cet enfant mort le renvoie à son deuil fondateur, celui de son jeune frère perdu autrefois dans une tempête de neige. Présent et passé se mêlent dans la conscience d’Erlendur, dont la carapace de silence et de dépression est encore entamée par l’agonie de son mentor, une vieille femme solitaire, et un rêve obsédant de sa fille Eva Lind, peu à peu revenue d’entre les junkies vers elle-même et vers les siens.
Il y a dans la manière de mener l’intrigue de ce roman quelque chose d’un peu languissant, m’a-t-il semblé, et peut-être aussi une propension au dialogue oiseux. Mais le personnage d’Erlendur, comme ceux de ses adjoints, acquiert de l’épaisseur d’un roman à l’autre, et c’est sans doute plus l’enquête sur la psyché d’Erlendur que l’intrigue policière qui nourrit et anime l’intérêt du lecteur.