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mardi, mars 12 2013

Indridason - Hiver Arctique

« Le froid resserra encore son emprise au fil de la soirée, renforcé par un vent glacial venu du pôle et de la mer, au nord, pour parcourir ce désert hivernal. Il s’élançait du haut de la montagne Skardsheidi, longeait les flancs de l’Esja et parcourait, la gueule béante, les basses terres où s’étendaient les habitations, cette scintillante cité de l’hiver, posée sur l’extrême rive nord du monde. Le vent s’avançait en hurlant à la mort et en sifflant entre les maisons ; il envahissait les rues désertées. La ville hibernait, comme dans l’attente immobile d’une épidémie. Les gens se cloîtraient à l’intérieur. Ils fermaient les portes, les fenêtres, tiraient les rideaux en espérant que, bientôt, la vague de froid prendrait fin. »

Lire Hiver Arctique d’Arnaldur Indridason en pleine tempête de neige a quelque chose de très rigoureusement cohérent. Mutatis mutandis, l’atmosphère extérieure offre à la lecture le décor qui convient. Et il ne cesse de neiger depuis hier soir, routes et rues impraticables, en ce début de mars, on s’y croirait !

Hiver arctique est un Indridason de 2005, traduit par Eric Boury avec son habituel talent et publié en 2009. Il précède donc La Rivière Noire que j’ai lu et chroniqué il y a deux ans, et laisse supposer en effet les raisons pour lesquelles Erlendur aurait disparu sur les traces de son passé depuis deux romans au moins. Si j’en crois Sylviane la libraire, le dernier opus tout récemment publié, Etranges Rivages, le voit justement réapparaître.

Le roman s’ouvre sur le cadavre d’un enfant, à plat ventre sur le sol glacé, un soir dans un quartier pauvre de Reikjavik. L’enfant a été poignardé, et aucune piste manifeste ne se propose aux investigations d’Erlendur, au demeurant en quête d’une femme disparue, ni à celles de ses adjoints Elinborg et Sigurdur Oli. Sur leurs pas le lecteur découvre les mœurs scolaires des Islandais – qui font de la menuiserie au collège -, ou la question de l’immigration en Islande, la mère du jeune garçon assassiné étant thaïlandaise. Si l’enquête ébranle profondément l’inspecteur, c’est que cet enfant mort le renvoie à son deuil fondateur, celui de son jeune frère perdu autrefois dans une tempête de neige. Présent et passé se mêlent dans la conscience d’Erlendur, dont la carapace de silence et de dépression est encore entamée par l’agonie de son mentor, une vieille femme solitaire, et un rêve obsédant de sa fille Eva Lind, peu à peu revenue d’entre les junkies vers elle-même et vers les siens.

Il y a dans la manière de mener l’intrigue de ce roman quelque chose d’un peu languissant, m’a-t-il semblé, et peut-être aussi une propension au dialogue oiseux. Mais le personnage d’Erlendur, comme ceux de ses adjoints, acquiert de l’épaisseur d’un roman à l’autre, et c’est sans doute plus l’enquête sur la psyché d’Erlendur que l’intrigue policière qui nourrit et anime l’intérêt du lecteur.

samedi, avril 30 2011

Indridason - La Rivière Noire

Enfreignant ma propre décision tacite de ne plus lire de thrillers – qui finissaient par entamer ma sérénité – j’ai avalé la nuit dernière La Rivière Noire d’Arnaldur Indridason, titre islandais Myrká (ce qui d’après Google traduction signifierait « sombre » ou  « obscurité »), traduction Eric Boury, ça fait beaucoup d’Islande ces derniers temps, mais seule celle d’Indridason est véritablement contemporaine.

Erlendur, le flic dépressif, est parti en « vacances », disparu sans donner signe de vie, sans doute sur les traces de son passé, et c’est son adjointe Erlinborg qui prend en charge l’enquête sur le meurtre d’un jeune homme sans histoires, égorgé chez lui, le pantalon sur les chevilles. Très féminine enquête sur fond d’intuitions, d’odorat et d’exotiques odeurs – d’où les petits piments entrecroisés sur le fond noir de la couverture, bien qu’il soit essentiellement question des épices du tandoori sur lequel j’ai appris pour l’occasion tout ce que j’en sais. Amatrice de cuisine exotique, Erlinborg a publié un livre de ses recettes, et l’enquête, filtrée à travers sa conscience, est ponctuée de ses réflexions sur la nourriture, et sur les relations avec les enfants.

C’est de viol – question humaine, question sociale - qu’il est question dans ce roman bien écrit, bien traduit, bien mené, d’où la pertinence du regard féminin. (J’y pense, il était aussi question de pantalon baissé sur les chevilles, celles du père Noël, dans le dernier Indridason que j’aie lu, La Voix, il y a quelque temps déjà. Curieux.). Le lecteur suit les pas d’Erlinborg entre Reykjavik, déracinée de son histoire par des destructions systématiques de toute trace du passé, et le village perdu dont est originaire la « victime », village peuplé de gens silencieux et secrets. De témoin en suspects, l’enquête semble s’égarer mais Erlinborg est fine, tenace et rationnelle, et ses sinueuses intuitions sauront guider le lecteur, captivé, au-delà des apparences, vers la rivière noire des sentiments obscurs qui habitent chacun.  

mardi, août 7 2007

Autres polars nordiques

Puisque la famille Irjud l'évoque dans un commentaire, et bien que je ne sois pas particulièrement spécialiste de littérature nordique... après les romans policiers d’Henning Mankell, mentionnés plus haut et vraiment palpitants, les polars d’un islandais, Arnaldur Indridason, traduit par Eric Boury chez Métailié, La cité des jarres, La Femme en vert, La Voix. La cité des jarres, c’est moins bien que Mankell, parce qu’il n’y a pas une atmosphère spécifiquement islandaise, je veux dire qu’à part les noms, et quelques affirmations sur les meurtres à l’islandaise, on ne voit pas la spécificité des paysages ni des modes de vie des gens (alors que chez Mankell, sans pittoresque excessif, on a l’impression de visiter la Suède). Les personnages sont moins bien campés et caractérisés, aussi. Le flic, Erlendur, un quinquagénaire très déprimé, encore un, a deux assistants un peu incolores et interchangeables quoique de sexes différents. Mais l’enquête sur le meurtre d’un retraité qui se révèle un très sale type est bien menée, et nous entraîne dans des péripéties imprévues, qui tiennent en haleine jusqu’à la fin. Brèfle, ça se lit bien.

La suite de La cité des jarres, La femme en vert, est assez réussie. Le commissaire Erlendur (dont on apprend que son nom signifie "étranger") toujours déprimé, mène cette fois l'enquête sur un squelette humain découvert dans une butte éventrée au moment de la construction d'un nouveau quartier résidentiel de Reykjavik. Non loin, un surprenant, vivace et fécond buisson de groseilliers. C'est un archéologue scrupuleux aux défenses de morse qui se charge de l'exhumation, personnage pittoresque assez bien campé. L'affaire n'est pas récente, elle remonte à peu près à la fin de la seconde guerre mondiale. Le récit mêle l'enquête menée par Erlendur, bouleversé par l'hospitalisation de sa fille junkie, qui ne sort pas du coma - la "famille" d'Erlendur, c'est du gratiné, dans le genre glauque! - et ses deux assistants, (lesquels prennent tournure depuis le précédent roman) et les fait plonger dans le passé de la ville, en même temps que le narrateur reconstitue la vie d'un couple : mari tortionnaire, épouse soumise, enfants terrifiés - dont on comprend qu'il a un lien étroit avec l'intrigue.
Je suis bien consciente que mon récit est un peu laborieux, et risque de donner le sentiment qu'il s'agit d'un roman glauque et plutôt pleurnichard. Ce n'est pas le cas. Le récit est bien mené, les personnages ont de l'épaisseur et le bouquin se lit d'une traite. (Pour ceux qui ne snobent pas les polars, naturlich!)

Quant à La Voix, je l'ai lu à Noël dernier, et je n'ai guère à en dire. Argument intéressant, mais mise en oeuvre laborieuse, dommage. Une histoire de meurtre du Père Noël dans un hôtel pour touristes étrangers, sur fond de collectionneurs de voix d'enfants. L'inspecteur Erlendur, toujours dans une forme olympique, s'installe à l'hôtel où ledit Père Noël exerçait les fonctions de portier et d'homme à tout faire, dans une chambre glacée où sa fille junkie à peine repentie vient lui faire quelques visites. Ça se lit bien, même si l'intrigue s'étire un peu, et si le tressage des voix et des fils du roman est un peu lâche. Une lecture possible, en somme, mais pas indispensable. Une Voix qui a manqué de souffle...