Il est bien difficile de commencer... Jørn Riel, ''Racontars arctiques''

Il est bien difficile de commencer. De choisir un livre ou un auteur, dans la masse de ceux qui me sont chers.
Alors je vous propose en ouverture une littérature charnue et savoureuse : je voudrais faire l’éloge enthousiaste d’un écrivain que j’ai lu presque par hasard, et qui m’a ravie : le danois Jørn Riel, auteur d’une série de « Racontars arctiques » dont je raffole. Il y a chez 10/18 huit volumes de petits recueils de « nouvelles » ?, « contes » ? qui mettent en scène les chasseurs de phoques, ours, renards…au nord-est du Groenland. Habitant à deux ou trois, parfois seuls, des cabanes isolées à des journées les uns des autres, ils se réunissent régulièrement pour être ensemble, boire, (beaucoup), manger, mettre en œuvre leur dernière marotte et se raconter leurs dernières histoires. 

Le narrateur principal est l’étudiant Anton, un intellectuel venu chercher là-bas son Groenland littéraire rêvé, et qui y a trouvé des compagnons, un mode de vie et à terme, sa vocation d’écrivain. La nouvelle « Une épopée littéraire », où il perd son unique bout de crayon je ne vous dirais pas comment en pleine crise de création est un délire d’inventivité burlesque. Évidemment tous ces hommes manquent de femmes, et il existe à leurs désirs, outre les visites à la ville pas voisine du tout, des exutoires imprévisibles. Ça c’est « La Vierge froide et autres racontars », et « Un Safari arctique ». D’ailleurs, je vous conseille de commencer par le second, qui maintient un suspense extraordinaire dans la nouvelle « Ce qu’il advint d’Emma par la suite ». C’est aussi dans celui-là qu’arrive l’étudiant Anton, et sa saison dans la même cabane que Valfred, un chasseur totalement lymphatique qui passe l’essentiel de son temps de cabane à dormir, comporte un quiproquo particulièrement divertissant. Il y a aussi le combat solitaire de Siverts contre un ours, et pêle-mêle, au fil des volumes, l’odyssée d’un cadavre, celle d’une puce, celle d’un rat, le Curé d’enfer, la visite du technocrate venu rationaliser les méthodes de chasse, un serpent boa !!!, des planteurs de vigne ET viticulteurs, un tricoteur, les visites bisannuelles du capitaine Olsen qui apporte le ravitaillement, récupère les peaux en truandant sur les prix et amène les nouveaux, ou nouvelles venu(e)s…

Sans vouloir jouer les bas-bleus, cela tient par la modestie des sujets et des personnages, de Tchékhov, par la dimension épique et l’admirable talent du conteur, d’Homère, et par la technique des personnages récurrents, parce qu’à la fin, tous, avec leurs manies, leurs vices, leurs passions et leurs tics, nous sont familiers, de Balzac, ma foi ! Pour autant, cela ravit lecteurs et non-lecteurs, intellectuels et chasseurs, (non, je n’ai pas dit que les chasseurs n’étaient pas intellectuels !!!!), jeunes et vieux, et peut-être même, qui sait, les idéologues ? Il y a là-dedans en tout cas une défense et illustration du RÉCIT comme ciment social, comme nécessité psychologique et artistique même chez les plus frustes, qui réchauffe l’âme.

Après, il y a d’autres Jørn Riel, y compris beaucoup plus graves (magnifique et bref « Le Jour avant le lendemain »). Mais commencez par les Racontars, ce sont des récits « qui donnent un beau visage », autre titre de Riel, car en eskimo, tel est l’effet du rire.

On trouve Jørn Riel chez Gaïa, l’éditeur de romans aux pages roses, et chez 10/18, qui a enchâssé les Racontars dans de très jolies couvertures, spirituelles et colorées, de Joëlle Jolivet.

Commentaires

1. Le dimanche, mai 13 2007, 17:30 par Eric

Il fallait absolument (au moins) un commentaire pour ces racontars ! J'ai pris un immense plaisir à les lire, je les relis souvent, et le plaisir reste intact. Le fait que je sois chasseur (chasseur, c'est sûr, intellectuel, je ne sais pas...) fait croustiller davantage encore les anecdotes, mais point n'est besoin de passer le permis de chasser avant de se lancer dans cette divertissante lecture....
Bravo et longue vie à ce blog.

2. Le lundi, mai 21 2007, 15:39 par Christelle

Effectivement, ce choix mérite quelques commentaires ! Jorn Riel sait nous faire rire et nous émouvoir. Certains passages des racontars sont dignes des dessins animés de Tex Avery (cette comparaison n'engage que moi). Je conseillerais également la trilogie intitulée "La maison de mes pères" qui est tout aussi savoureuse et attendrissante.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet