samedi, septembre 14 2013

Sarn - Webb, Santelli

Voilà, j’ai enfin regardé Sarn (1968), l’adaptation du roman par Claude Santelli, commandée il y a bien longtemps sur le site de l’INA.

Je l’ai regardée sans déplaisir. Mais avec distance. C’est une adaptation fidèle, mais il lui manque le souffle de passion, l’obscurité ardente et amère, la brume omniprésente, et le lyrisme, qui baignent le roman. Les acteurs sont bons – c’est la Raymone de Cendrars qui joue la plaintive mère Sarn, Anny Duperey (encore orthographiée avec deux ‘r’) y fait une jolie apparition en châtelaine arrogante, et Henri Virlojeux campe un Beguildy convaincant. Mais Dominique Labourier aux yeux de velours est une Prue trop enfantine, et ses cheveux manquent tant de  naturel ! Gédéon aussi, avec son corps délié et adolescent, n’a pas la passion rude, abrupte, que j’imagine à ce personnage tragique. Et puis la campagne  - les alentours de Paimpont - est trop propre, trop claire, et les scènes de foule trop policées… tout y manque de bruit et de fureur.  Bref, il faut que je relise Sarn, pour l’obscur et puissant mystère qui en émane, sans que, je l’espère, les images de Claude Santelli, cette fois, n’y interfèrent.

vendredi, octobre 30 2009

Mary Webb - Sept pour un secret

Les flâneries sur la toile sont pleines de surprises. J’ai cédé, je l’avoue, aux sirènes de la tentation, et suis allée me coucher hier avec un autre Mary Webb, Sept pour un secret. Roman séduisant, comme l’est le personnage de Robert Rideout, le berger-vacher (sheep-and-cow-boy ? comment peut-on dire cela en anglais ?) habité par le souffle de la création poétique, et auteur de ''pennillions'', poèmes gallois de tradition orale, et autres chansons rustiques dans lesquelles il célèbre solitairement la figure traîtresse de sa capricieuse bien-aimée Gillian Lovekin. Séduisant, captivant même, mais foutrement mal fichu, et même carrément bâclé à la fin, comme ne manque pas de le signaler la romancière elle-même dans le dernier chapitre : « Arrivé ici, le lecteur doit s’indigner. Quelle est l’explication du titre ? Pourquoi tout s’en va-t-il en morceaux comme cela ? Pourquoi Robert et Gillian sont-ils seuls dans le cottage de Robert, à sept heures et demie du matin ? Qu’est-il advenu de Johnson, de Fringal et d’Elmer ? Personne ne s’est-il aperçu de l’absence de Ruth ? Que fait la police ?
- cette dernière question m’a fait pouffer - . (…) Mais les choses se passèrent presque comme elles doivent le faire dans un roman bien composé. »
Tout est dans le « presque » en effet, parce que si cette fin n’est pas expédiée, au détriment du destin des personnages justement évoqués dans les questions prêtées au lecteur, et de tout ce que laissait attendre la construction antérieure du roman, je veux bien manger mon chapeau. Avec tout le respect que j’ai pour elle, Mary Webb semble là s’être carrément débarrassée de la plupart de ses personnages, pour ménager à l’arrache une fin heureuse qui aurait nécessité à mon avis quelques dizaines de pages supplémentaires. Roman séduisant donc, mais, sachez-le, raté quand même, et qui ne donne nullement le sentiment de plénitude que donne la lecture de Sarn. Il est dédié à Thomas Hardy, autre grand romancier de l’Angleterre ancestrale et rurale, pleine d’âpreté, de douleurs, de bible et de légendes, dont il faudra bien un jour que je chronique ici, sous la rubrique « Pavés » « Jude l’Obscur », ce sombre récit d’amour et de souffrance dont on retrouve quelques échos dans l’intrigue de Sept pour un secret.

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jeudi, octobre 29 2009

Sarn, de Mary Webb (1924)

Je l’avais lu adolescente, en livre de poche, une couverture à illustration  rustique, un peu genre Le Grand Meaulnes, avec étang et barque. Perdu, plusieurs fois sans doute. Puis racheté aux Cahiers Rouges, qui l’avaient réédité il y a une bonne dizaine d’années. Reperdu, et pas racheté car il était épuisé à nouveau. Alors je me suis laissée aller et après l’avoir désiré longtemps, je l’ai commandé sur « Livre Rare », dans une édition illustrée numérotée sur vélin, à un prix somme toute modique si l’on considère celui des livres neufs. Même si les lithographies d’Emilien Dufour sont un peu trop mièvres et bouclées pour mon goût, elles accompagnent joliment un texte qui m’est précieux depuis toujours, et que je prêterai désormais moins facilement, parce que c’est un beau livre, et parce qu’il fait partie des « démons » familiers de mon panthéon littéraire personnel.

Précieux.  Le titre anglais est « Precious Bane », non moins difficile à déchiffrer qu’à traduire. Cela doit signifier « précieux sortilège », ou « poison ». Mais il me semble avoir lu un jour que le mot désignait aussi une mauvaise herbe, souvenir vague, un peu inconsistant. Jacques de Lacretelle  - au demeurant correspondant et dédicataire de Proust – a choisi de le traduire par Sarn, titre bref, mystérieux, rude. C’est le nom qui incante le roman : celui de l’étang, « miroir obscur où les longues ombres des roseaux lancent leurs pointes contre les mouvantes étoiles », celui de la ferme et  de ses habitants : Prue et Gédéon Sarn, la douce jeune fille éblouie par la beauté du monde et son frère, sombre, splendide et habité par la rage de posséder toujours plus. Il y a aussi le père, brutal et dévot, mort au début du roman d’un accès de fureur, et dont Gédéon tout jeune homme se fait le « mangeur de péchés », et la mère, plaintive et tendre, qui ne cesse de répéter en regardant sa fille : « Est-ce ma faute si le lièvre a croisé mon chemin ? ». Et puis il y a, de l’autre côté de l’étang, le sorcier Beguildy, qui sait lire et en enseigne à Prue les secrets, bien qu’il soit, non pas méchant, mais « dépourvu de bonté », sa femme aimable et avenante, et leur fille, Jancis, petite et potelée, blanche « comme le lait et l’aubépine », blonde « comme une abeille dorée », et qui, pour son malheur, aime Gédéon.

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