George Sanders - Mémoires d'une fripouille

Lu aussi Mémoires d’une fripouille, de George Sanders. Petite chronique autobiographique de la vie d’un fils de famille russe devenu comédien en Angleterre puis à Hollywood. Spécialiste des rôles de « cad », le titre anglais est Memoirs of a Professional Cad, ce que le traducteur a rendu par « fripouille », alors qu’il s’agirait plutôt d’un « mufle professionnel », rôles auxquels il fut, il s’est, cantonné. J’ai un vif souvenir de lui dans le Rebecca de Hitchcock, géniale adaptation – intrigue, esprit, atmosphère - du roman de Daphné du Maurier, avec Lawrence Olivier et Joan Fontaine. Il interprétait le cousin et amant de Rebecca, et complice de la terrifiante Mrs Danvers, Jack Favell. Un maître chanteur sensuel, insinuant, sardonique. Présence physique massive, charnelle, vulgaire. Détestable, et imposant.

Les premiers chapitres sont voués aux souvenirs de l’enfance russe et de la maison de vacances en Finlande, avec les bains de mer alternés des dames et des messieurs en tenue d’avant la chute, et les sujets d’observation subséquents offerts par la nudité des premières aux seconds armés de jumelles ; puis la fuite après la révolution, puis l’Angleterre et deux pensionnats aussi dissemblables que possible, le premier sorte d’éden du flirt et de l’indépendance, le second voué à l’ennui et aux coercitions en tout genre. Après quoi, débuts chaotiques dans le commerce international – scènes de bordel à Buenos Ayres, d’hospitalité chez les gauchos – puis le bouquin se voue essentiellement aux mœurs d’Hollywood.

Le récit est mordant, et quelques scènes sont irrésistiblement drôles. Mention particulière pour la séance chez l’hypnothérapeute, en un moment de dépression insurmontable, avec relaxation muscle par muscle, chevilles comprises, et la perplexité subséquente du novice en hypnose détourné dans son effort de détente, si je puis me permettre l’oxymore, par la tentative de repérage des muscles concernés. On y trouve ce qui fait tout le charme de ces souvenirs : la vivacité, le sens du dialogue et de la scène, et affleurant sous l’apparent détachement désinvolte, la sincérité et le désarroi.

Sanders a été le mari de Zsa Zsa Gabor, dont je lis encore le nom exotique sur une affiche à demi-arrachée dans une scène de La Soif du mal. Brève vie dans l’ombre d’une star à l’ego flamboyant avec laquelle il a gardé, après divorce, de cordiales relations. Elle nous vaut entre autres quelques tableaux savoureux de l’Hollywood mondain. Il y a aussi le tournage de Salomon et la reine de Saba, en Espagne, avec la mort soudaine de Tyrone Power, l’ami très cher, et son remplacement par un Yul Brynner hiératique et creux, flanqué de ses cinq satellites et serti dans ses costumes de cuir blancs ou noirs, tous identiques. Ou le tournage chaotique du Voyage en Italie de Rossellini, papillonnant, irresponsable, et obsédé par la plongée sous-marine - avec Ingrid Bergman.

Sous le scepticisme, le cynisme apparent et le goût de la formule, c’est un ouvrage empreint d’une mélancolie désabusée. Un livre de moraliste, brillant, sincère, sans illusions.

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