Mot-clé - Mme de La Fayette

Fil des billets - Fil des commentaires

samedi, mai 7 2011

Nous, Princesses de Clèves, est un film que j’ai eu d’emblée le désir d’aller voir,

après une émission sur France Culture à laquelle participaient le réalisateur et deux des jeunes gens qui avaient joué dans le film, le documentaire plutôt. J’y suis allée hier. Séance en présence du réalisateur, Régis Sauder, venu en TGV de Marseille, au Studio Orson Welles de la Maison de la Culture d’Amiens.

C’est un film bouleversant, qui m’a touchée au cœur de multiples manières. Avant tout, pour la beauté du texte dit sobrement, intensément, par les jolies voix de ces jeunes filles et jeunes gens, dont les visages sont filmés au plus près. Rien n’est déguisé ou gommé des imperfections de l’adolescence, du grain des peaux, et pourtant dès l’ouverture les visages sont éclairés par la ferveur, la justesse avec laquelle sont dits (et non lus, seulement) les mots austères et subtils de madame de La Fayette. Il y a des dizaines et des dizaines d’heures de travail là derrière, pour que les voix sonnent juste, que la diction soit claire, que les accents ne se fassent pas entendre de façon caricaturale, que le texte soit « incarné », - et il l’est, ô combien ! - et je salue la qualité du travail de leur jeune professeur, Anne Tesson, et épouse du réalisateur, si discrète qu’on ne la voit qu’à deux ou trois reprises, et dont l’énergie et la générosité, la passion de transmettre portent évidemment le projet. Quoi qu’on pense du roman de madame de La Fayette, il est extrêmement touchant, troublant, de voir des adolescents, de jeunes adultes, s’approprier un texte qui leur est aussi lointain, au point de le mêler à la substance de leurs vies, d’en nourrir leur réflexion, non seulement sur l’amour dans le couple, mais aussi sur l’amour filial. L’une des plus belles scènes du film, l’une des plus profondes, est sans doute celle qui est tournée dans le petit appartement de l’une des jeunes élèves, de parents musulmans. Sous le regard muet et expressif de la mère – yeux fardés de kohol, beau visage encadré d’un voile blanc élégant – le père lit et commente les propos de madame de Chartres, la très pieuse, très rigoureuse mère de la princesse, sur les dangers du monde. Un père musulman, lisant avec aisance un texte écrit au XVIIe par une femme, et mis dans la bouche d’une femme, et s’y retrouvant avec une telle sincérité que l’on ne peut pas le juger, même si l’on s’interroge sur le silence de son épouse, et si l’on comprend le sentiment d’étouffement éprouvé par leur fille. Cette scène dit sans aucun commentaire la complexité des choses et la façon dont le roman la filtre et y fait écho, et combien il est inutile et néfaste d’être manichéen. Combien est lourd l’amour des parents aussi, parfois. Autre scène de famille, exactement symétrique, celle des parents d’Abou, qui a écrit un texte pour les présenter, père maigre, digne et silencieux sous son fez, mère ronde et enjouée, en tailleur sur son divan (elle a perdu un pied, apprend-on), mais tendrement vouée à aider ses fils à trouver leur place dans la société. Abou qui parle avec passion de monsieur de Clèves, et veut perpétuer son idéal d’honnête homme.

 

Lire la suite...