Fantaisie
Il est un air pour qui je
donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout
Weber,
Un air très-vieux, languissant et
funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes
secrets.
Or, chaque fois que je viens à
l'entendre,
De deux cents ans mon âme
rajeunit :
C'est sous Louis treize; et je
crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant
jaunit,
Puis un château de brique à coins
de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres
couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une
rivière
Baignant ses pieds, qui coule
entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute
fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses
habits anciens,
Que dans une autre existence
peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me
souviens !
Gérard de Nerval - Odelettes
in Petits Châteaux de Bohême (1853)
L’un naissait au moment où
l’autre touchait à la fin de sa vie douloureuse, troublée,
« illuminée ». L’un, c’est Guy
de Maupassant, né, cela semble confirmé, au château de Miromesnil en
Seine-Maritime, l’autre, c’est Nerval, dont la Fantaisie m’a trotté dans la tête alors que je me
promenais, dimanche passé, par une belle et fraîche journée de printemps, dans
les salles du rez-de-chaussée, le jardin potager, et le parc dudit château. En
fait de coteau, on est sur un plateau, et point de rivière dans les parages,
mais un saut-de-loup - ou haha, ( !), terme adopté par les Anglais -,
dont j’ai découvert ce jour-là le sens et la physionomie, entre le bois et le
parc, côté sud.
C’est un bien joli château, qui
m’a évoqué aussi un des films de la série télévisée « L’Ami Maupassant », de Claude Santelli, - dont tous les
épisodes que j’ai vus m’ont semblé parfaits (qu’attend-on pour la rééditer in extenso ? Je les préférais
infiniment aux quelques « Chez
Maupassant » honorables-sans-plus récemment produits par France 2).
C’était Madame Baptiste (1974), une très sombre et saisissante
histoire de fille de famille violée par un valet, qui m’avait beaucoup frappée,
avec Isabelle Huppert dans un de ses tout premiers rôles, et un Roger Van Hool
des plus séduisants. Il semblerait que là n’ait pas eu lieu le tournage, et
pourtant sa physionomie, ses dépendances, ont fait ressurgir en moi les
lointaines images du film.
Quelques images donc, en guise de promenade dominicale,
dont celle prise à travers la grille hérissée qui évoque à la fois un bouquet
de Saint Eloi, et, beaucoup plus rustique, l’arbre-aux-voyelles de Giuseppe Penone, au Luxembourg, autre
promenade récente, autre réminiscence de Nerval.