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mardi, juin 17 2014

Un haïku

Coccinelle trottant

Sur le doigt tendu

Vers ton absence


Vincent Delefosse - La Volière vide (ed. Liroli)

vendredi, février 28 2014

Le billet de février

Cap Frie

J'ai entendu cette nuit une voix d'enfant derrière ma porte
Douce
Modulée
Pure
ça m'a fait du bien

Coquilles

les fautes d'orthographe et les coquilles font mon bonheur
Il y a des jours où j'en ferais exprès
C'est tricher
J'aime beaucoup les fautes de prononciation les hésitations de la langue et l'accent de tous les terroirs

Rire

Je ris
Je ris
Nous rions
Plus rien ne compte
Sauf ce rire que nous aimons
Il faut savoir être bête et content


Blaise Cendrars - Feuilles de route, III (1927-28)

Il ne sera pas dit que, bouleversements divers ou pas, et appétit de lecture en berne, le mois de février puisse se passer sans apporter au moins un billet à Convolvulus. Alors ce seront trois de ces brefs poèmes instantanés dont abondent les "carnets de voyage" de Cendrars. Le premier avait été choisi par une de mes élèves pour lecture à voix haute. Il m'avait échappé, il m'a frappée, émue, évoqué Verlaine (Et ô ces voix d'enfants chantant sous la coupole, vers cité quelque part dans The Waste Land, s'il m'en souvient bien). Les deux autres étaient dans les parages du premier, et en tapant le troisième, j'ai tapé "azime", au lieu de "aime"...^^

Je reviendrai, bientôt, avec des lectures, adieu à Février et que Mars s'ouvre sous le signe de l'espoir.

mercredi, janvier 29 2014

Son nom, je me souviens qu'il est doux et sonore...

Tristan Klingsor. Quel beau nom, mélancolique, exotique et sonore, rencontré – quand ? - dès l'enfance. Retrouvé au détour d'une conversation amicale, puis d'un recueil, Humoresques, feuilleté sur Gallica.

Léautaud l'a ainsi évoqué, amicalement, dans son Journal, en 46 : « Rencontré Klingsor (que je n'avais pas vu depuis le début de la guerre) au carrefour Buci, à cinq heures, c'est à dire à l'heure des queues devant les étalages des commerçants. Combien de gens aujourd'hui savent le délicieux, charmant, pittoresque poète, qu'est Tristan Klingsor, parfait musicien des mots et des rythmes, plein d'une fantaisie aussi vive et colorée comme une suite de petits ballets, et nullement dénuée d'émotion pour cela, et de plus écrivain probe, sans étalage ni vanité. »
Merci  à Laurent, qui est ma source. Que dire de plus ?

Son nom est plein des brumes wagnériennes (Klingsor est le magicien de Parsifal), mais sa poésie est française, délicieusement, délicatement française : légère, chantante, dansante, cocasse, raffinée, populaire, gaillarde, paillarde, mélancolique. J'ai eu la surprise, au fil de ces humoresques, de croiser d'explicites hommages à Verlaine, qu'on en juge :
 

LES AUDACIEUX

Froissons les jupes!

Que le jet d'eau mélancolique jette
Au clair de lune ses volutes
Tant qu'il voudra;
Poussons la fenêtre
Et prenons la belle en nos bras:
C'est l'heure, messieurs,
C'est l'heure ou jamais d'être
Audacieux.

Plus n'est besoin des cordes aux lucarnes
Ni des airs langoureux de flûtes
Dans la bise des carrefours:
Voleurs d'amour
N'ont point peur du gendarme!
Voici les jolies roses dans le linge blanc;
Il ne faut plus de flûtes,
Ni de guitares, ni d'aveux tremblants,
Car où sont les galants cérémonieux
Que vous fûtes,
Messieurs ?...

Froissons les jupes !

 

Où j'entends un double écho. Celui des Ingénus, des Fêtes galantes, et celui d'En bateau, le plus plaisamment libertin, jusque dans sa métrique, des poèmes du recueil. Sans parler du clair de lune et du jet d'eau, sanglotant d'extase à l'orée du recueil.

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mercredi, novembre 20 2013

Magie d'Apollinaire - Signe

Signe

Je suis soumis au Chef du Signe de l’Automne
Partant j’aime les fruits je déteste les fleurs
Je regrette chacun des baisers que je donne
Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs

Mon Automne éternelle ô ma saison mentale
Les mains des amantes d’antan jonchent ton sol
Une épouse me suit c’est mon ombre fatale
Les colombes ce soir prennent leur dernier vol

Alcools


vendredi, août 30 2013

Hélène Picard citée par Colette.

A titre de curiosité, et pour accompagner cette étrange Femme au perroquet de Courbet dont on trouve ici une ébauche de commentaire, un poème d’Hélène Picard, cité par Colette en exergue de l’hommage qu’elle a rendu à son amie, morte en février 1945.

Poétesse originaire de Toulouse, assez sauvage, et passablement fêlée, Hélène Picard avait rencontré Colette lorsque celle-ci assumait au Matin le rôle de directrice littéraire des Contes des 1001 matins. Leur amitié a duré 22 ans, jusqu’à la mort d’Hélène Picard.

Colette, qui, dans Le Pur et l’impur, a reproché avec un sens meurtrier de la formule à Renée Vivien (née Pauline Tarn) d’avoir « exsudé son baudelairisme avec vingt ans de retard »,  - je cite de mémoire, le texte n’étant naturellement pas à sa place sur les rayonnages et donc sans doute prêté ou égaré – aurait bien pu l’appliquer aussi au poème ci-dessous, dans lequel on trouve, cependant, quelques beaux vers, en particulier les trois derniers, qu’elle citait volontiers.

 

Délivrance

 … O perroquets si lourds d’un si léger plumage,
J’aime à vous voir régner sur le trafic des ports,
Dans ces limpides bars couleur de paysage
Où l’on tache de gin les nobles passeports

Transpercé de couchant, qu’un phonographe saigne,
Qu’une fille s’enroue au brouillard de l’alcool,
Que l’excentrique mer brille comme une enseigne,
Qu’importe à l’arc-en-ciel captif de votre vol…

Qu’un jeu de dominos s’écroule sur la ruine
D’un frais marchand de fleurs, d’huîtres ou de corail,
Que la chanson des ports ait mal à la poitrine,
Qu’importe à la langueur de vos chauds éventails…

Qu’un triste matelot, sur son caban, épuise
Les ressources du soir et de l’accordéon,
Qu’importe à votre huppe orange, bleue et grise,
Pareille, vains oiseaux, au punch de l’horizon !

De toutes les couleurs, aux rires des fontaines,
Vous mangiez un biscuit quand Rimbaud s’embarquait,
Il ne vous atteint pas, l’affreux cri des sirènes,
Dans les bars de cristal, éclatants perroquets,
Frivoles favoris des sombres capitaines.

Colette est donc restée fidèle jusqu’à la mort à cette amie quelque peu égarée, à qui elle avait fait obtenir un prix de 3000 francs pour le recueil Pour un mauvais garçon (1927), recueil dont est issu le poème Délivrance. Picard était semble-t-il très amoureuse de Carco, lequel s’est toujours tenu soigneusement à distance.

Quelques éléments ici, sur le site des Amis de Colette.

Si l’œuvre d’Hélène Picard n’est donc pas impérissable, et l’on n’en trouve d’ailleurs quasi aucune trace sur la toile, la lecture de la correspondance entre les deux femmes, éditée par Claude Pichois chez Flammarion, ne manque pas d’intérêt. On y  trouve toutes sortes d’anecdotes privées – sur Colette, essentiellement -,  mais aussi des échanges d’ordre plus littéraire. J’adore lire les correspondances, regards à la fois obliques et intimes sur les auteurs, qui nous deviennent ainsi plus proches, plus familiers.

jeudi, juillet 4 2013

Corbière - Rondels pour après

                                       PETIT MORT POUR RIRE

Va vite, léger peigneur de comètes !
Les herbes au vent seront tes cheveux ;
De ton œil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes…

Les fleurs de tombeau qu’on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux…
Et les myosotis, ces fleurs d’oubliettes…

Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
Pour les croque-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux…
Ils te croiront mort — Les bourgeois sont bêtes —
Va vite, léger peigneur de comètes !

Tristan Corbière - Les Amours Jaunes, "Rondels pour après"

dimanche, juin 30 2013

Christine de Pizan, ballade


Seulette suis et seulette veux être,
Seulette m’a mon doux ami laissée,
Seulette suis, sans compagnon ni maître,
Seulette suis, dolente et courroucée,
Seulette suis en langueur mésaisée ,
Seulette suis plus que nulle égarée,
Seulette suis sans ami demeurée.

Seulette suis à huis ou à fenêtre,
Seulette suis en un anglet mussée ,
Seulette suis pour moi de pleurs repaître,
Seulette suis, dolente ou apaisée,
Seulette suis, rien n’est qui tant me siée ,
Seulette suis en ma chambre enserrée ,
Seulette suis sans ami demeurée.

Seulette suis partout en tout être,
Seulette suis, où je voise, où je siée ,
Seulette suis plus qu’autre rien terrestre ,
Seulette suis, de chacun délaissée,
Seulette suis, durement abaissée,
Seulette suis souvent tout épleurée ,
Seulette suis sans ami demeurée.

Princes, or est ma douleur commencée :
Seulette suis de tout deuil menacée,

 Seulette suis plus tainte que morée ,
Seulette suis sans ami demeurée.









lundi, mai 27 2013

Ronsard - Bel aubépin

Je profite de l'unique journée ensoleillée du printemps pour saluer de Ronsard le bel aubépin, croisé de l'autre côté de la rivière...


Bel aubépin, fleurissant,
     Verdissant
Le long de ce beau rivage,
Tu es vêtu jusqu'au bas
    Des longs bras
D'une lambruche sauvage.

Deux camps drillants[1] de fourmis
      Se sont mis
En garnison sous ta souche.
Dans les pertuis[2] de ton tronc
      Tout du long
Les avettes[3] ont leur couche.

Le chantre rossignolet
      Nouvelet,
Courtisant sa bien-aimée,
Pour ses amours alléger
      Vient loger
Tous les ans en ta ramée.

Sur ta cime il fait son nid
      Tout uni
De mousse et de fine soie,
Où ses petits écloront,
     Qui seront
De mes mains la douce proie.

Or vis gentil aubépin,
      Vis sans fin,
Vis sans que jamais tonnerre,
Ou la cognée, ou les vents,
      Ou les temps
Te puissent ruer par terre.

Ode IV, 22 in Nouvelle Continuation des Amours



1 Littré (1880) : Courir, aller vite et légèrement.
Je m'en vais tout de bon promptement t'étriller, / Si tu ne fuis bien vite et ne pense à driller (Hist. du théâtre français, t. X, p. 117, dans Lacurne)
vb tombé en désuétude.
Étymologie :
L'origine en paraît être le verbe anglais to drill, qui signifie percer, s'échapper.Driller avait aussi le sens de briller : Comme le feu dans la fournaise, /Enseveli dessous la braise, /Drille et flamboie étincelant(R. Belleau - Œuvres, t. I, p. 20, dans Lacurne)— On ne voit point au ciel tant d'étoiles flambantes/ Driller au firmament... (Ronsard) (on a confondu briller et driller).

[2]
Orifices
[3]
Abeilles

lundi, mai 20 2013

Quand la pluie étalant ses immenses traînées....


          Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Charles Baudelaire – Les Fleurs du Mal, Spleen et idéal, LXXVIII



Intarissablement, le ciel gris, au ras des toits, déverse une pluie froide, verticale, lourde, incessante. Dans le jardin reverdi, les poiriers, puis les pommiers n’ont pas eu le temps d’épanouir leurs belles fleurs blanches ou rosées aux rayons du soleil. Elles jonchent, tristement, la pelouse. Voici venu le tour de celles, délicates, du cognassier.  Les lilas courbent leurs grappes sous le poids des gouttes, toute la végétation, en écho à l’humeur des hommes, semble déprimée, et la promesse des fruits s’amenuise. Et pas d’asperges, samedi, au marché ! trop froid. Je pense, sans avoir pu le retrouver, à l’univers détrempé et inquiétant des Saisons, de Maurice Pons, où, avant le grand gel de l’hiver, il pleuvait ainsi, intarissablement.

dimanche, mai 5 2013

Balade normande

Fantaisie

Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !

Gérard de Nerval  - Odelettes in Petits Châteaux de Bohême (1853)

          L’un naissait au moment où l’autre touchait à la fin de sa vie douloureuse, troublée, « illuminée ».  L’un, c’est Guy de Maupassant, né, cela semble confirmé, au château de Miromesnil en Seine-Maritime, l’autre, c’est Nerval, dont la Fantaisie m’a trotté dans la tête alors que je me promenais, dimanche passé, par une belle et fraîche journée de printemps, dans les salles du rez-de-chaussée, le jardin potager, et le parc dudit château. En fait de coteau, on est sur un plateau, et point de rivière dans les parages, mais un saut-de-loup - ou haha, ( !), terme adopté par les Anglais -, dont j’ai découvert ce jour-là le sens et la physionomie, entre le bois et le parc, côté sud.

C’est un bien joli château, qui m’a évoqué aussi un des films de la série télévisée « L’Ami Maupassant », de Claude Santelli, - dont tous les épisodes que j’ai vus m’ont semblé parfaits (qu’attend-on pour la rééditer in extenso ? Je les préférais infiniment aux quelques « Chez Maupassant » honorables-sans-plus récemment produits par France 2). C’était Madame Baptiste (1974), une très sombre et saisissante histoire de fille de famille violée par un valet, qui m’avait beaucoup frappée, avec Isabelle Huppert dans un de ses tout premiers rôles, et un Roger Van Hool des plus séduisants. Il semblerait que là n’ait pas eu lieu le tournage, et pourtant sa physionomie, ses dépendances, ont fait ressurgir en moi les lointaines images du film.

Quelques images donc, en guise de promenade dominicale, dont celle prise à travers la grille hérissée qui évoque à la fois un bouquet de Saint Eloi, et, beaucoup plus rustique, l’arbre-aux-voyelles de Giuseppe Penone, au Luxembourg, autre promenade récente, autre réminiscence de Nerval.



















vendredi, avril 19 2013

Ronsard - Derniers vers

Je n'ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n'ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
 
Apollon et son fils deux grands maitres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m'a trompé,
Adieu plaisant soleil, mon œil est étoupé,
Mon corps s'en va descendre où tout se désassemble.
 
Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant la face,
 
En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu chers compagnons, adieu mes chers amis,
Je m'en vais le premier vous préparer la place.


                                                                                                                                                                                        Jan VERMEULEN, Livres et instruments de musique                                                                                                                                                                                  Huile sur bois. (XVIIe - Musée de Nantes)

dimanche, avril 7 2013

Khalil Gibran

Je vivrai par-delà la mort,
Je chanterai à vos oreilles
même après avoir été emporté
par la grande vague de la mer
jusqu’au plus profond de l’océan.
Je m’assiérai à votre table
bien que mon corps paraisse absent,
je vous accompagnerai dans vos chants
esprit invisible,
je m’installerai avec vous devant l’âtre,
hôte invisible.
La mort ne change que les masques
qui recouvrent nos visages.
Le forestier restera forestier,
le laboureur, laboureur,
et celui qui a lancé sa chanson au vent
continuera à la chanter aux sphères mouvantes, là-bas.

Le Jardin du prophète.

jeudi, mars 28 2013

Voix étouffées

En hommage à mes élèves, empêchés en cette journée vouée à la poésie de dire des textes dont ils auraient dû se faire la voix en mon absence, ce poème de Maram al Masri, que les voix des trois filles devaient faire entendre.

Les femmes comme moi
ignorent la parole,
le mot leur reste en travers de la gorge
comme une arête
qu'elles préfèrent avaler.
Les femmes comme moi
ne savent que pleurer
à larmes rétives
qui soudain
percent et s'écoulent
comme une veine coupée.

Les femmes comme moi
endurent des coups
et n'osent pas les rendre.
Elles tremblent de colère
réprimée.

             Lionnes en cage
             les femmes comme moi
             rêvent
             de liberté

              Maram al Masri - Les Âmes aux pieds nus

samedi, mars 9 2013

"De douceur me fera crever"...

 
J’ai lu récemment, pour un jury qui se tenait hier matin, une trentaine de nouvelles écrites par des lycéens, à partir de deux incipit proposés par l’écrivaine Carole Martinez. Si l’on passe sur l’extrême indigence de la langue employée dans la plus grande part de ces textes, il en ressort aussi que les histoires de couples qu’elles mettaient en scène (dans un décor imposé de bal masqué), étaient en général absolument désolantes. Trash, ou tartes. Hommes – masqués – systématiquement brutaux, débauchés, sadiques, violeurs, voire assassins. Femmes victimes, brutalisées et/ou extatiques, et finalement mortes, parfois. C’était hier la « Journée de la femme » (laquelle ? pas celle-là, j’espère), et il y avait entre les dizaines d’années de militantisme qui ont précédé et ces textes de jeunes filles un contraste très décourageant, non seulement en ce qui concerne les femmes, mais - et c’est bien pire - en ce qui concerne les relations entre hommes et femmes. Ça m’évoque le succès de la trilogie des 50 nuances de gris plus ou moins foncé ou clair dont les « défenseurs du féminisme » (parmi lesquels Arnaud Viviant) voient une réjouissante manifestation de l’émancipation d’icelles, qui iraient sans rougir chercher chez le libraire ces salades à l’eau de rose pimentées de cruauté. J’y vois plutôt la manifestation d’un goût littéraire navrant accompagné d’un penchant inquiétant – même si fantasmatique – au statut de victime d’un gros bras riche et pervers. Harlequin version anthracite.   Toutes réflexions qui m’ont conduite à me mettre en quête du poème qui suit. Certes, il s’agit d’un éloge du mariage – lequel est à la mode, par les temps qui courent... Mais c’est surtout, sous la plume de « la première femme de lettres » française, la première à vivre de sa plume en tout cas, une si délicate évocation, à la fois hardie et suggestive, d’une relation fondée sur une intense douceur !

Je tire ce poème de Christine de Pizan (1364 - 1430) d’une vieille anthologie qui a adapté les textes en français moderne – au plus près, pour les rendre lisibles – , je ne suis donc pas sûre de son exactitude, et la toile est dans ce domaine assez peu éclairante. Mais somme toute, ce n’est pas grave ! le voici, c’est une ballade.

 

Douce chose est  que mariage
– Je le pourrais par moi prouver –
Pour qui a mari bon et sage
Comme Dieu me l’a fait trouver.
Loué soit celui qui sauver
Me le veuille, car  son soutien,
Chaque jour je l’ai éprouvé,
Et certes, le doux m’aime bien.

La première nuit du mariage,
Dès ce moment, j’ai pu juger
Sa bonté, car aucun outrage
Ne tenta qui dût me blesser.
Et avant le temps du lever
Cent fois me baisa, m’en souviens,
Sans vilenie dérober,
Et certes le doux m’aime bien.

Il parlait cet exquis langage :
« Dieu m’a fait vers vous arriver,
Tendre amie, et pour votre usage,
Je crois, il voulut m’élever. »
Ainsi ne cessa de rêver
Toute la nuit en tel maintien,
Sans nullement en dévier,
Et certes, le doux m’aime bien.

Princes, d’amour peut m’affoler
Quand il me dit qu’il est tout mien ;
De douceur me fera crever,
Et certes, le doux m’aime bien.


Christine de Pizan à sa table de travail
Enluminure tirée du manuscrit des
Œuvres de Christine de Pizan (début XVe)
British Library BL Harley 4431, f. 4

Les variations de la taille des caractères des textes que je publie ici relèvent pour moi de la diablerie. Pourquoi si petits aujourd'hui ? Mystères et arcanes de la cybernétique...

jeudi, mars 7 2013

Art Poétique

J'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.

J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.

J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.

J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.

J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.

Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.

Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.

Moi, j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.

Eugène GUILLEVIC – Terre à bonheur (1952)


mardi, février 26 2013

Au gré du voyage

David van Reybrouck, Congo, une histoire
Max Gallo, Jésus, l’homme qui était Dieu
Barthes, Mythologies
Julia Deck, Viviane Elisabeth Fauville
Les Moissons du futur
de M. Monique Robin
Richard Ford, Une Saison ardente
Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil
Paul Eluard, Capitale de la douleur, L’amour, la poésie

Sur une vingtaine de sièges dans ce coin de wagon de seconde, pour une fois très chauffé, ça faisait pas mal de livres et de lecteurs-trices, de tous âges, plongés dans leur lecture, avec ou sans crayon. Quasi seulement des ouvrages à des titres divers d’un intérêt certain... que j’ai lorgnés, parce que je l’ai toujours fait, et que c’est une curiosité d’autrui que je m’autorise. Il y en a dont je suis allée vérifier le titre ou l’auteur sur gogole, à l’arrivée, faute de les connaître, et les voici. Petite « carotte » littéraire prélevée sur un voyage. Mukasonga, c’était moi, et je le chroniquerai lorsque je l’aurai terminé.

Et puis, pour continuer à célébrer les poètes et la poésie :

Ici

Ici, entre les débris des choses et le rien,
nous vivons dans les faubourgs de l’éternité.


Nous jouons parfois aux échecs,

insouciants du destin derrière la porte

nous sommes toujours là,

bâtissant des décombres, des colombiers lunaires.


Nous connaissons le passé sans disparaître
ni passer les nuits d’été

en quête des hauts faits d’un âge d’or.

Nous qui sommes qui nous sommes sans nous demander
qui nous sommes car nous sommes toujours là,

ravaudant la robe de l’éternité.


Nous sommes les enfants de l’air chaud et froid,
de l’eau, de la rosée, du feu, de la lumière

et de la terre des pulsions humaines.



Et nous possédons une moitié de vie,
une moitié de mort

des projets d’éternité... et d’identité



Patriotes comme les oliviers, mais nous sommes las de
l’image du narcisse

dans l’eau des chants patriotiques.

Sentimentaux involontaires,
lyriques par choix,
nous avons oublié
les paroles des chansons sentimentales.


Ici en compagnie du sens
nous nous sommes révoltés contre la forme

et nous avons modifié l’épilogue.



Dans le nouvel Acte,
nous sommes naturels, ordinaires

et ne confisquons ni dieu

ni les larmes de la victime.


Nous sommes toujours là
et possédons de grands rêves,

comme amener le loup à jouer

de la guitare dans un bal annuel.


Nous possédons aussi de petits rêves,

comme sortir du sommeil

guéris de la déception

et sans rêves impossibles.

Nous sommes vivants et présents....
et ce rêve se poursuit.

Mahmoud Darwich – Le lanceur de dés et autres poèmes, « Ici. Maintenant. Ici... et maintenant »
Photographies d’Ernest Pignon-Ernest (Actes Sud)
Traduction Elias Sanbar

 

C’est le poème liminaire. Les photographies de la silhouette grave et pleine d’élan du poète - au milieu d’un chaos de ruines, de pierres, de béton et de métaux arrachés, d’ordures, ou sur un beau mur de pierre tout illuminé de végétation et d’un rayonnant cactus en fleurs, dans l’intimité colorée d’un marché ou dans le mouvement d’une rue - photos prises par E. P-E font au texte un écho grave et recueilli. Seule réserve, le vilain papier trop blanc, trop brillant, trop épais, déplaisant au toucher, qui entrave le plaisir de la lecture. Mais la présence vivante de Mahmoud Darwich est sensible dans ce recueil, résonnant entre sa parole poétique humaniste et combattante et les images du peintre qui lui fait hommage.

dimanche, février 24 2013

Ah ! tombe neige...

La blanche neige

Les anges les anges dans le ciel
L'un est vêtu en officier
L'un est vêtu en cuisinier
Et les autres chantent

Bel officier couleur du ciel
Le doux printemps longtemps après Noël
Te médaillera d'un beau soleil
D'un beau soleil

Le cuisinier plume les oies
Ah ! tombe neige
Tombe et que n'ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras

 

Guillaume Apollinaire - Alcools

C'est le 500ème billet, aujourd'hui. Il se bornera à saluer la neige. Et mes lecteurs et lectrices dont la fidélité me réconforte, au détour parfois d'un commentaire. Il a neigé trop menu aujourd'hui pour que j'aie pu photographier la chute du duvet d'oie. Mais j'avais cet Apollinaire dans la tête, que voici.

samedi, février 16 2013

Comme on respire - Jeanne Benameur

   J’ai appris à habiter le souffle qui sortait de ma bouche.
   Cela s’appelle habiter une langue. C’est mon asile sûr. Celui où je me sens vêtue.
   J’entre dans un mot comme au creux d’une grotte creusée par d’autres, où je peux vivre, moi aussi.
   C’est cela une langue maternelle. C’est une maison qui accueille. Vous pouvez nicher tranquille. Et c’est immense.
   Ça n’a pas de frontière.
   Il suffit d’apprendre. Comprenez. Apprendre peut être une merveille.
   La langue ne vous demandera jamais votre carte d’identité. Elle est là, disponible dans la bouche de ceux qui vous parlent. Et chacun de nous peut.

 ***

   J’ai vu de vieilles femmes admiratives des mots qu’elles ne roulaient pas sous leur palais, habituées à d’autres sons. Intimidées. Puis avec un  petit rire, la main légèrement posée sur les lèvres, s’essayant à la nouveauté de la langue inconnue.
   C’est naissance.
   C’est joie.
   C’est grande joie.
   Les sons passent d’une bouche à une autre bouche.
   On sourit. On rit. On se trompe. On est heureux. On recommence.

   Celui qui sait trouver asile dans une langue a trouvé un pays où être chez soi. Il en est l’habitant. Personne ne vous expulsera jamais d’une langue.
   C’est comme ça.
   Et aucune loi n’y fera rien.
   J’en suis convaincue et heureuse.
   La liberté est là. Personne n’en tient de fichier.

 

Ce sont deux poèmes de Comme on respire, de Jeanne Benameur, un joli petit livre violet, chez Thierry Magnier. Il y a dans ce mince recueil, dense, généreux, une sorte d’âpre humanisme militant, que j’estime infiniment, même si je trouve que son expression explicite, jusque dans les deux poèmes cités, fêle l’intensité du propos. Mais il y a aussi cette réflexion sur les mots et la langue, sur la nécessité de dire, d’écrire envers et contre tout. Sur la liberté des mots, dans les mots. Alors, voici.

mercredi, février 13 2013

Jón Kalman Stefánsson - Le Coeur de l'Homme

Un antique traité de médecine arabe affirme que le cœur de l’homme se divise en deux parties. La première se nomme bonheur, et la seconde, désespoir. En laquelle nous faut-il croire ?

« Si la neige est la tristesse des anges, la neige fondue est le crachat du démon, tout est mouillé, alourdi, la neige devient une ignoble bouillie glacée. » Disparu au cœur d’une avalanche avec  Jens le postier, son massif et silencieux compagnon, et Hjalti, le journalier, ce géant « imposant et quelque peu mélancolique »,  alors qu’ils accompagnaient le cercueil où repose Ásta, la mère des quatre enfants de la Rive de l’Hiver, dont le corps avait été fumé en attendant que l’on puisse l’ensevelir, le Gamin revient au monde. Entre rêve et veille, dans un lit moelleux, au village de Sléttueyri, Islande, il rencontre, parmi d’autres, une jeune fille aux yeux verts, hardie, abrupte, aux cheveux d’un roux si flamboyant qu’il traverse les montagnes. C’est Álfeiður, dont le visage et les paroles vont l’accompagner le reste du roman. La jaquette du volume, qui célèbre cette rousseur éclatante par la photo d’une chevelure fauve relevée en gerbe au-dessus d’une nuque blanche, sur un fond vert pomme, est, disons-le, très laide. C’est assez systématique, dans cette collection. Tant pis. C’est le livre au cœur battant dessous qui importe.

Si le gamin rallie par mer dans ce troisième volet de ses aventures initiatiques son nouveau foyer, la maison de GeirÞruður, où il retrouve Helga et le silencieux capitaine aveugle Kolbeinn, s’il y poursuit avec Gísli son apprentissage des mots, des langues, des mondes, c’est cette fois solitaire, sans la carrure protectrice de Barður (Volume 1) ou de Jens (volume 2). Le gamin devient un homme. Tiraillé de désir entre deux jeunes femmes, Ragnheiður la fille du riche Friðrik, le potentat local, et le souvenir d’Alfeiður, le gamin court, « il court comme un cri », pour donner élan et rythme à sa détresse, pour au moins trouver un accord avec les éléments, l’air, l’eau, la terre. Avec le retour de l’été, les habitants sortent des maisons, couples unis ou désunis, hommes et femmes seuls que le désir attire les uns vers les autres. Les marins débarquent, tels le grand et robuste capitaine John Andersen appelé par la beauté et la liberté de GeirÞruður, ses orteils de reine, ses cheveux de nuit, ses yeux noirs.

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lundi, février 11 2013

Découverte matinale

En ce petit matin enneigé, puisque de Walt Whitman il a été question hier, puisque le gamin a découvert avec passion "l’énergie pure et indomptée" de cette poésie neuve, un distique dédicatoire, traduit par Jules Laforgue.

THOU reader throbbest life and pride and love the same as I,
Therefore for thee the following chants.

TOI LECTEUR

Toi lecteur, palpitante vie et fierté et amour, tout comme moi,
Pour toi donc les chants que voici.

Je ne connaissais de Whitman que la mention du récit totalement fantaisiste – canularesque – que Cendrars aurait fait de ses funérailles à Apollinaire, il en est question dans la bio de Myriam, laquelle est restée dans ma voiture, et je renâcle à la perspective de traverser la cour tout enneigée. Later on. En tout cas, je le situais de façon tout à fait erronée au début du XXe siècle... 1819 – 1892 !

dimanche, février 10 2013

La voix de Jón Kalman Stefánsson

En attendant que j'aie le temps de chroniquer Le Cœur des hommes, le dernier volume des aventures du 'gamin' qui restera jusqu'à la fin anonyme, ces quelques mots pour accompagner ma furia poétique de ce début d'année. Magnifique roman, déjà lu et relu, avec sa syntaxe si particulière, ce flux mi-narratif, mi-vocal, comme si l'on entrait de plein pied dans le mouvement du dialogue ou du monologue intérieur des personnages. En ce moment même, on entend sur France Culture la voix de Stefánsson parlant avec Colette Fellous, et celle de Colette Fellous lisant Stefánsson. C'est l'émission Villes-Mondes, aujourd'hui consacrée à Reykjavik. Stefánsson y fait un passage fugitif*, mais dense, quelques minutes, écoutez-le.

Il se souvint alors de ces quelques vers, ou disons plutôt que les lignes se déversèrent dans ses veines, telles une énergie pure, les vers d’un poème qu’il avait lu dans une revue que Gísli lui avait prêtée, un étrange poème, composé par un auteur américain. Je suis le poète de la chair, je suis le poète de l’âme. Le gamin était hypnotisé mais cela ne valait pas pour Gísli, trop de bruit avait-il dit, trop de dispersion, trop lâche, le texte  se réduit de lui-même en morceaux qui ne sauraient servir à personne, ne va pas perdre ton temps avec ça. C’est pourtant ce que le gamin fit précisément, il passa son temps à recopier le poème extrait de Feuilles d’herbe de l’Américain Walt Whitman, dans la traduction d’Einar Benediktsson. Aucune rime, pas le moindre soupçon de rime et d’allitération, des phrases compactes portées par une énergie pure et indomptée, et quelque chose d’immense, comme la promesse d’un monde plus large, d’une terre plus vaste. Adossé à la clôture, avec derrière lui les deux sorbiers qui s’efforçaient de tendre leurs branches vers la lumière, il baissait les yeux tandis que le poème lui emplissait le sang.

Vous trouverez, ici, les premières pages du roman, et la table des matières.
* L'interview de Stefánsson, traduite par Éric Boury, se trouve vers 18'20''.

dimanche, février 3 2013

C'est la Saint Blaise, me dit "orange"

Célébrons-la, en couleurs.

13. Aux 5 Coins

Oser et faire du bruit
Tout est couleur mouvement explosion lumière
La vie fleurit aux fenêtres du soleil
Qui se fond dans ma bouche
Je suis mûr
Et je tombe translucide dans la rue

Tu parles, mon vieux

Je ne sais pas ouvrir les yeux ?
Bouche d'or
La poésie est en jeu

                                                                     Février 1914

Blaise Cendrars - Dix-neuf poèmes élastiques

Chagall - Esquisse pour Commedia dell'arte (1957-58) Collage avec encre de chine, huile, pastel et papiers collés.

Deux poèmes saisis au vol

Je retranscris le texte qui suit à l’écoute, différée, d’une émission  de Sophie Nauleau, sur France Culture, « Ça rime à quoi ». La poétesse invitée est Michèle Finck, que je ne connaissais pas. Qu’elle veuille excuser, si elles sont erronées, la disposition et la ponctuation très classiques du texte de prose-poème qui suit. A lire en respectant les blancs, les souffles, les silences entre les mots, tels que les revendique cette poétesse à la douce voix concentrée, fervente, violemment retenue dans ce qu’elle appelle « la scansion du noir », « conversion de la perte, conversion de la violence en quelque chose qui est de l’ordre du rythme », « comme si rythmer le noir rendait le noir plus supportable » - et partageable avec le lecteur.

          Mademoiselle Albatros

 Je suis dans le pavillon un peu délabré de l’hôpital psychiatrique de la ville de S*, en France, près de la frontière allemande. Je marche en suivant les spirales aseptisées des couloirs à côté du psychiatre, le docteur H., d’origine germanique. Soudain, nous longeons une chambre d’où s’échappent quelque chose comme des cris ou des couinements d’oiseau blessé. Sur la porte de la chambre, il y a un nom, mademoiselle Albatros. Comme je regarde le psychiatre d’un air interrogatif, il me dit :

-          « C’est une femme à qui la poésie est montée au cerveau. Elle se prend pour l’oiseau d’un poète de votre langue, un certain Bidenler. Elle murmure sans cesse les mêmes mots : ‘Ses ailes de géant l’empêchent de marcher’, et en effet, elle ne peut presque plus marcher, sauf à tous petits pas, dans sa chambre, en trébuchant. Parfois, elle agite les bras, de façon gauche, comme pour s’envoler. L’hiver, elle mange un peu de neige, sur le rebord de sa fenêtre grillagée.

-          Baudelaire ! » dis-je en portant la main à mon cœur, comme si la façon dont ce médecin germanique avait écorché ce nom m’avait atteinte au centre de mon être. Puis tout à coup, brûlant tous mes vaisseaux, presque malgré moi, je crie : « Cette femme, mademoiselle Albatros, c’est moi ! cette chambre, c’est la vie ! ouvrez la porte, les fenêtres, crevez le plafond, éventrez les murs, laissez-la s’envoler, elle a le crâne tatoué d’étoiles filantes...

-          Ne vous emportez pas, dit le psychiatre, j’ai des cas beaucoup plus intéressants à vous montrer. Celui-ci est un peu passé de mode, ne trouvez-vous pas ? mais peut-être est-ce assez pour aujourd’hui ? ».

Et puis celui-ci, encore, avec ses silences tels que je les ai entendus.

De givre et de feu

 

Père et fille touchent du doigt le givre
de la musique
sur les mots et les ronces
ils écoutent les sons s’ouvrir devant eux
comme des livres
aux enluminures invisibles mais audibles

 

la fiancée du vent
neige

père dure peu
fille l’épèle
dans le noir et prend feu
fait pousser des étoiles dans la poussière
parle avec les lèvres suturées du père
à l’intérieur d’elle
écrit à deux bouches
mots brûlés vifs dans le haut-fourneau du cri

fille fera neige avec un peu de feu

 

Voilà pourquoi je me suis risquée à transcrire ces deux très beaux poèmes, extraits du recueil Balbuciendo.

dimanche, janvier 27 2013

La neige incertaine ...


Tout a fondu aujourd’hui, et le paysage a perdu cette beauté que lui donnait la blancheur continue de la neige, qui unifie jusqu’aux laideurs. Désormais « la couche de neige ... fond et se transforme en une insupportable soupe pendant quelques jours »  - c'est ce que se dit le gamin, réveillé dans la maison du médecin, à Sléttueyri, de son interminable chute. Quant à moi, je me suis laissée dépasser par le temps, mais depuis les premiers et abondants flocons m’accompagne le poème de Verlaine qui suit (appris il y a si longtemps, au CM1, école de la Figone, à Marseille, dans la classe de Mme Margat), lequel accompagne a punto « La Neige », le tableau de Daubigny dont j’emprunte au Musée d’Orsay la reproduction d’ensemble et de détail, avec ici le commentaire 

Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme les nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune.

Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive?

Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable

Paul Verlaine – Romances sans paroles (1874)

 

samedi, janvier 26 2013

Un poème


Arbre

Je suis un arbre voyageur
mes racines sont des amarres

Si le monde est mon océan
en ma terre je fais relâche

Ma tête épanouit ses branches
à mes pieds poussent des ancres

Loin je suis près des origines
quand je pars je ne laisse rien
que je ne retrouve au retour

Frédéric-Jacques Temple

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