François Dupeyron - Le Grand soir
Par Agnès Orosco le dimanche, novembre 28 2010, 12:31 - Littératures française et francophones - Lien permanent
Jo, la belle Irlandaise (1866, MoMA)
« Courbet restait à distance. Vallès lui avait fait un petit signe, il allait le rejoindre... il était plus journaliste que politique, le virus l’avait pris, c’est-à-dire qu’il ne marchait pas comme tout le monde, les deux pieds sur la terre, il flottait, dérivait sur un monde en perpétuel mouvement, parce qu’il n’en finit pas de bouger le monde des hommes. Alors Vallès notait chaque hoquet, soubresaut, clin d’œil, il lui fallait être dans le secret des dieux... c’est qu’il en retirait un sentiment très fort d’être plus vivant, plus au cœur, il savait ce que les autres ne savaient pas encore... comme Courbet, c’est au centre qu’il se voulait. Un point cependant les séparait, Courbet se méfiait du pouvoir, il n’en voulait pas pour lui, il était trop artiste... »
Alors j’en ai sorti deux de la
bibliothèque et j’ai commencé celui-ci – Le
Grand soir – avec en couverture un gros plan en clair obscur sur le beau
visage de Courbet jeune, L’Homme blessé, on
voit la tache de sang sur la chemise blanche, à la place du cœur. Je l’ai
commencé et, va savoir, la fatigue des journées, les allées-venues, d’autres
livres, les cours, et le style aussi, haletant, jaillissant, célinien en
quelque sorte, la lecture n’avançait pas. Je l’ai repris enfin, et terminé, d'un trait.
La construction n’est pas le
meilleur du livre : un soir de beuverie, dans son exil de Genève, Courbet
vieilli, las, submergé par les emmerdes, croit reconnaître dans un bordel Jo l’Irlandaise,
sa maîtresse la plus chérie, sublimée par sa peinture, et perdue. Ce n’est qu’une illusion, une ressemblance
frappante, mais de Jo à Mona louée pour l’écouter - pas seulement - la nuit entière, le texte
est un long monologue, le bilan exalté, violent, dépressif, d’une vie vouée à
la fureur d’aimer et de peindre, de sublimer la fureur d’aimer par le peindre,
pour ainsi dire. Ce sont les passages consacrés aux réponses de Mona, en
particulier son contre-champ sur

Boursouflé, paillard, débraillé, débridé, rabelaisien.... je pourrais dérouler des kyrielles d’adjectifs pour évoquer à la suite du roman le peintre (avec ses amis, sa famille – le père réticent et aimant, la sœur Zoé âpre et déloyale – ses maîtresses, ses ennemis...) que François Dupeyron magnifie sans jamais le statufier, irréductible au plus vif de lui-même.
Grandes Ecuries de Versailles – Les fédérés, fusain sur papier gris. Une exécution, fusain et craie blanche, 1871, Louvre, Cabinet des dessins