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dimanche, décembre 30 2012

Et j'ai flambé comme un genièvre / A la Noël .....

Je ne vais quand même pas terminer l'année, en plus du TGV (glacé, comme d'hab', je me prépare), sur une râlerie.
Alors, comme on vient de faire flamber quelques branches du "genièvre de Noël " (où on peut cueillir direct les baies pour la marinade du sanglier) dans le feu, un petit coup d'Aragon pour finir dans une gerbe d'étincelles, avec dans l'oreille la merveilleuse voix virile de Jean Ferrat.
Oups ! Mais non, c'est Léo Ferré. Ah ! Altaïr, de Cantalauze....

Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse.


Eau forte et douce comme un vin,
Pareille au soleil des fenêtres,
Tu me rends la caresse d'être,
Tu me rends la soif et la faim
de vivre encore et de connaître
Notre histoire jusqu'à la fin.


C'est miracle que d'être ensemble,
Que la lumière sur ta joue,
Qu'autour de toi le vent se joue,
Toujours si je te vois, je tremble,
Comme à son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble.


M'habituer m'habituer,
Si je ne le puis qu'on me blâme,
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué,
Ah ! crevez les yeux de l'âme
S'ils s'habituaient aux nuées


Pour la première fois ta bouche,
Pour la première fois ta voix,
D'une aile à la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche,
C'est toujours la première fois
Quand ta robe en passant me touche.


Prends ce fruit lourd et palpitant,
Jettes-en la moitié véreuse,
Tu peux mordre la part heureuse,
Trente ans perdus et puis trente ans
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la rends.


Ma vie en vérité commence
Le jour où je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'a montré la contrée
Que la bonté seule ensemence


Tu vins au cœur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fièvres
Et j'ai flambé comme un genièvre
À la Noël entre tes doigts.
Je suis né vraiment de ta lèvre,
Ma vie est à partir de toi.

vendredi, mai 4 2012

Un petit La F', pour la route : Le cochet, le chat et le souriceau

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
« J'avais franchi les monts qui bornent cet État
Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, bénin et gracieux,
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude ;
Il a la voix perçante et rude,
Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée;»
Or c'était un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau,
Comme d'un animal venu de l'Amérique.
« Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,
Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance
Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les rats; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.
Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.
- Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté
D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,
Bien éloigné de nous mal faire,
Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.

Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.»

samedi, avril 28 2012

Beaux livres

Une balade au L.A.M de Villeneuve d’Ascq nous a permis entre autres de découvrir à la bibliothèque de ces beaux livres – d’artistes, ou de dialogue, selon le terme d’Yves Peyré -. Moment de merveilles, devant ces livres qui sont comme les manuscrits enluminés des XIXe et XXe siècles.

« Le livre est si bien fait pour être orné ; il porte avec tant de bonheur toutes les élégances ! Eh ! quelle merveille, après tout, un bel exemplaire d'une bonne édition qui représente un chef-d’œuvre de l'esprit humain ! Quelle joie et quelle fête à le tenir dans ses mains, tremblantes d'une émotion ineffable ! On le regarde, on le contemple, on le retourne, on l'ouvre enfin, et voilà que soudain le véritable amateur, grâce au livre, entre en des ravissements infinis. »


Comme Verlaine, illustré par Bonnard. Des lithographies sépia, qui donnent le sentiment d'avoir été tracées par le peintre sur les pages mêmes du livre.


Ou encore l'inventivité graphique et typographique étourdissante de La Fin du monde filmée par l'ange de Notre-Dame de Cendrars (auteur et éditeur, à La Sirène) et Léger.


lundi, janvier 30 2012

« 'Les Coquillages' ! Quel bijou que le dernier vers ! »

Les Coquillages

Chaque coquillage incrusté
Dans la grotte où nous nous aimâmes
A sa particularité.

L'un a la pourpre de nos âmes
Dérobée au sang de nos cœurs
Quand je brûle et que tu t'enflammes ;

Cet autre affecte tes langueurs
Et tes pâleurs alors que, lasse,
Tu m'en veux de mes yeux moqueurs ;

Celui -ci contrefait la grâce
De ton oreille, et celui-là
Ta nuque rose, courte et grasse ;

Mais un, entre autres, me troubla.

Verlaine – Les Fêtes galantes, 9

Petite merveille de poème érotique, avec une ellipse à peine suggérée en son centre. Savourer  la construction en guirlande des rimes, et la chute. Le commentaire qui me sert de titre est un hommage du grand Victor soi-même, et l’illustration, Nature morte à la baigneuse, un dessin de Louis Thibaudet (XXe), conservé au Musée des Ursulines de Mâcon.

samedi, janvier 28 2012

Verlaine encor...

                        
                            Clair de lune

      Votre âme est un paysage choisi
                  Que vont charmant masques et bergamasques
                  Jouant du luth et dansant et quasi
                  Tristes sous leurs déguisements fantasques.

       Tout en chantant sur le mode mineur
                  
L’amour vainqueur et la vie opportune,
                  
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
                  
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

       Au calme clair de lune triste et beau,
                  
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
                  
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
                  
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.

 (Les Fêtes Galantes, 1)

Verlaine et Rimbaud ont tous les deux cherché de nouvelles voies pour la poésie, mais pas du tout dans la même direction. Rimbaud a brisé ou étiré, il a « dérythmé » le vers, en particulier l'alexandrin, jusqu'à lui donner l'air de la prose (il n’y a qu’à voir pour cela Ma Bohême, qui est beaucoup plus qu’un petit poème d’école primaire, et qui, dit à voix haute, est un très prosaïque poème aux allures de prose - et la prose, selon Valéry, c’est la marche) et puis il est passé au poème en prose. Il a aussi exploré la route des images obscures, riche en virtualités futures, en particulier chez les surréalistes, mais dont on trouvait les germes chez Hugo et Baudelaire.

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vendredi, janvier 27 2012

Rien qu'une voix, ... qui appelait Verlaine ! dans la brume

Ce n'est pas que j'aie une passion pour Claudel, je le connais mal.
Mais ce poème des Feuilles de Saints, recueil que d'ailleurs je n'ai jamais eu l'occasion de feuilleter, est une évocation saisissante de Verlaine, poète que j'aime tant. Je l'ai rencontré il y a bien longtemps, dans l'anthologie de Seghers, Le Livre d'or de la poésie française, chez Marabout (le Claudel, parce que Verlaine, c'était au CM1, dans la classe de Mme Margat, école de la Figone, à Marseille. Dans l'interminable / Ennui de la plaine / La neige incertaine/ Luit comme du sable....). Pour moi la porte ouverte à toute la poésie. J'avais quinze ou seize ans.



             
VERLAINE

I.             Le faible Verlaine

L'enfant trop grand, l'enfant mal décidé à l'homme, plein de secrets et plein de menaces,
Le vagabond à longues enjambées qui commence, Rimbaud, et qui s'en va de place en place,
Avant qu'il ait trouvé là-bas son enfer aussi définitif que cette terre le lui permet,
Le soleil en face de lui pour toujours et le silence le plus complet
Le voici pour la première fois qui débarque et c'est parmi ces horribles hommes de lettres et dans les cafés,
N'ayant rien autre chose à révéler sinon qu'il a retrouvé l'Éternité.
N'ayant rien autre chose à révéler sinon que nous ne sommes pas au monde !
Un seul homme dans le rire et la fumée et les bocks, tous ces lorgnons et toutes ces barbes immondes,
Un seul a regardé cet enfant et a compris qui c'était,
Il a regardé Rimbaud et c'est fini pour lui désormais
Du Parnasse Contemporain et de l'échoppe où l'on fabrique des sonnets qui partent tout seuls comme des tabatières à musique !
Rien ne lui est plus de rien, tout cassé ! ni sa jeune femme qu'il aime
Pourvu qu'il suive cet enfant et qu'est-ce qu'il dit au milieu des rêves et  blasphèmes ?
Comprenant ce qu'il dit à moitié mais cette moitié suffit.
L'autre regarde ailleurs d'un œil bleu innocent de tout ce qu'il entraîne après lui.
Faible Verlaine ! maintenant reste seul car  tu ne peux aller plus loin
Rimbaud part, tu ne le verras plus, et ce qui reste dans un coin,
Écumant, à demi-fou et compromettant pour la sécurité publique,
Les Belges l'ont soigneusement ramassé et placé dans une prison en briques.
Il est seul. Il est en parfait état d'abaissement et de dépossession.
Sa femme lui notifie un jugement de séparation.
La Bonne Chanson est chantée, le modeste bonheur n'est plus
A un mètre de ses yeux, il n'y a plus que le mur qui est nu.
Dehors le monde qui l'exclut, et, au-dedans, Paul Verlaine,
La blessure, et le goût en lui des choses qui sont autres qu'humaines.
La fenêtre est si petite là-haut qu'elle ne permet de voir que l'azur
Il est assis du matin jusqu'au soir et regarde le mur :
L'intérieur où il est de ce lieu qui le préserve du danger,
De ce château par qui toute misère humaine est épongée.
[....]

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jeudi, décembre 22 2011

Une bouffée de Milosz triste

Un lecteur qui signe Zébulon me fait découvrir ce beau et sombre poème de Milosz, dédié à Laurent Terzieff, disparu l'an dernier. Le voici offert à tous:

L'étrangère

(En hommage à Laurent Terzieff)

Tu ne sais rien de ton passé. Tu l'as rêvé,
- Oui, sûrement tu l'as rêvé.
Je vois ton visage dans la lumière grise de la pluie.
Novembre ensevelit le paysage et ma vie.
Je ne sais rien, je ne veux rien savoir de ton passé.
Tes yeux me parlent de brumeuses villes lointaines
Que je ne verrai jamais
Et dont jamais je n'entendrai le son dans ta voix.
Novembre est sur toute mon âme,
Novembre est sur toute la plaine.
Je te vois inconnue à travers Autrefois.
Ce sont des choses depuis longtemps mortes,
- Mortes irrémédiablement -
Des musiques étouffées, des luxures flétries.
Je suis sûr que novembre est derrière la porte.
Je vois vivre en ton cœur ce que ton cœur oublie.
Ton âme est loin, bien loin d'ici. Ton âme étrangère
Est une nuit de brume,
De brume et de bruine sale sur les faubourgs
Où la vie a la couleur froide de la terre,
Où des hommes mourront, sans avoir connu l'amour.

Oscar Vladislas  de Lubicz Milosz (1877-1939) - Les Sept Solitudes (1906).

vendredi, décembre 16 2011

Autre monomanie: Cendrars, la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France

Un samedi matin que je passais, comme il se doit, à la librairie, car il n’est pas de marché sans visite chez le libraire, Stéphane me dit : « A propos, il y a un livre de Cendrars qui vient de sortir » ; et de brandir un boitier coloré, récupéré sur une pile.
La Prose
, en fac simile. L’idée dont je rêvais depuis des lustres (au moins 6, déjà !). Le livre dont j’avais parlé, le matin-même à deux reprises, avec émotion.
« – Mais Stéphane, ce n’est pas un livre de Cendrars, c’est LE livre de Cendrars ! » Aussitôt acheté, et il valait mieux, car, las !  il semblerait que l’édition (1800 exemplaires) soit déjà épuisée. Collection Sources, au PUF, avec la Fondation Martin Bodmer, - et une préface de Miriam Cendrars, que je n’ai pas encore lue.

Voici quelques images.

Le vaste dépliant du fac simile, accroché le long d’un rayonnage avec des pinces à linge l’autre soir pour une lecture Cendrars avec Charlène, viendra plus tard. Je me réjouis de posséder ce beau livre, et de pouvoir le montrer, aussi souvent que possible, à qui voudra le découvrir.

Bizarre, pas moyen d'insérer d'autres images. Ce sera pour demain...

mercredi, novembre 30 2011

Jeux poétiques et potacheries littéraires

Histoire d'affronter le cœur léger "l'hiver qui vient"....

                      Un homme

                           Justum et tenacem propositi virum
                            Horace

                            Gémir, pleurer, prier est également lâche.
                            Alfred de Vigny

Quand le docteur lui dit : "Monsieur, c'est la vérole
Indiscutablement !", quand il fut convaincu
Sans pouvoir en douter qu'il était bien cocu,
L’Homme n'articula pas la moindre parole.

Quand il réalisa que sa chemise ultime
Et son pantalon bleu par un trou laissaient voir
Sa fesse gauche et quand il sut que vingt centimes
(Oh ! pas même cinq sous !) faisaient tout son avoir,

Il ne s'arracha point les cheveux, étant chauve,
Il ne murmura point : "Que le bon Dieu me sauve !"
Ne se poignarda pas comme eût fait un Romain,

Sans pleurer, sans gémir, sans donner aucun signe
D’un veule désespoir, calme, simple, très-digne,
Il prononça le nom de l'excrément humain.

Georges Fourest (1867-1945) - La Négresse Blonde

;-D

dimanche, novembre 27 2011

Brumes


Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneux
Et son bœuf lentement dans le brouillard d'automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux

Et s'en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d'amour et d'infidélité
Qui parle d'une bague et d'un cœur que l'on brise

Oh ! l'automne l'automne a fait mourir l'été
Dans le brouillard s'en vont deux silhouettes grises

Guillaume Apollinaire - Alcools


samedi, novembre 5 2011

Plaisir poétique et bibliophilique

Feuilleté hier – et photographié par faveur amicale – une petite merveille bibliophilique : Les Ludions de Léon-Paul Fargue, petits poèmes magnifiquement illustrés, ou plutôt exaltés, par Marie Monnier – sur très beau papier. Je n’en connaissais que le poème liminaire, que voici,

mais je ne résiste pas au plaisir d’offrir à la curiosité des lecteurs en visite le quatrain qui suit, potacherie de haute saveur à qui ne boude ni la forgerie verbale ni la facétie un peu lourdingue…

lundi, octobre 31 2011

Déclaration d'amour ferroviaire



Le paysage dans le cadre des portières

Court furieusement, et des plaines entières

Avec de l'eau, des blés, des arbres et du ciel

Vont s'engouffrant parmi le tourbillon cruel

 

Où tombent les poteaux minces du télégraphe

Dont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe.

Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout,

Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout

 

Desquelles hurleraient mille géants qu'on fouette ;

Et tout à coup des cris prolongés de chouette.

- Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux

La blanche vision qui fait mon cœur joyeux,

 

Puisque la douce voix pour moi murmure encore,

Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore

Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,

Au rythme du wagon brutal, suavement.

Verlaine - La Bonne chanson, 1870

mardi, octobre 25 2011

Chant d'Automne

                                 I

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.

J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? - C'était hier l'été ; voici l'automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

                              II

J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.

Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l'été blanc et torride,
De l'arrière-saison le rayon jaune et doux !

Charles Baudelaire - Les Fleurs du Mal, "Spleen et idéal"

mardi, septembre 27 2011

Les fruits tombant....

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aimé

Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé

Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu'on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'écoule

Guillaume Apollinaire - Alcools



dimanche, septembre 25 2011

Gourmandise

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Alors que le liseron blanc éclaire de ses corolles les friches et les haies envahies par ses vrilles exubérantes, mon convolvulus se dessèche, faute, tout simplement, de lectures, hélas ! Alors, pour accueillir l’automne en ce bel été indien, non pas Jo Dassin – que j’adore, eh oui ! – mais un petit air de Trénet, avec la voix de Jacques Douai.

Une noix
Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix?
Qu'est-ce qu'on y voit?
Quand elle est fermée
On y voit la nuit en rond
Et les plaines et les monts
Les rivières et les vallons
On y voit
Toute une armée
De soldats bardés de fer
Qui joyeux partent pour la guerre
Et fuyant l'orage des bois
On voit les chevaux du roi
Près de la rivière

Une noix
Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix?
Qu'est-ce qu'on y voit?
Quand elle est fermée
On y voit mille soleils
Tous à tes yeux bleus pareils
On y voit briller la mer
Et dans l'espace d'un éclair
Un voilier noir
Qui chavire
On y voit les écoliers
Qui dévorent leurs tabliers
Des abbés à bicyclette
Le Quatorze Juillet en fête
Et ta robe au vent du soir
On y voit des reposoirs
Qui s'apprêtent

Une noix
Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix?
Qu'est-ce qu'on y voit?
Quand elle est ouverte
On n'a pas le temps d'y voir
On la croque et puis bonsoir
On n'a pas le temps d'y voir
On la croque et puis bonsoir
Les découvertes.

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dimanche, septembre 11 2011

Jón Kalman Stefánsson - La Tristesse des Anges

La Tristesse des Anges de Jón Kalman Stefánsson, c’est le premier livre que je me sois acheté, depuis plus d’un mois. C’est le premier livre que j’aie lu, depuis plus d’un mois, et que j’aie eu envie de lire, après cette longue pause, et depuis que je l’attendais. Je l’ai avalé, entre hier soir et ce matin, amarrée sans rémission ni répit à l’odyssée terrestre de Jens et du gamin, du gamin sur les talons de Jens, dans la neige omniprésente, le blizzard, la glace et la douleur. C’est aussi beau que l’Iliade et l’Odyssée. Car ce que trouve - magnifiquement, magiquement, magistralement - Stefánsson, c’est une forme romanesque, moderne, en prose, aussi saisissante, aussi rythmée, aussi lancinante et envoûtante qu’un poème épique. Et, hiératiques, silencieux, taillés à coups d’embruns, de tempêtes, d’obscurité, de solitude, ses personnages sont aussi stylisés et primordiaux que des héros épiques, quoique plus fragiles, puisque le héros est un gamin, depuis deux volumes accroché derrière la carrure d’hommes plus âgés et la tête bruissante de questions et de paroles, les siennes, celles des poètes, celles des morts, comme une chambre d’échos.

mardi, mai 31 2011

Steven Saylor - Un Egyptien dans la ville

Un Égyptien dans la ville, de Steven Saylor, est un livre brillant. Le titre anglais est The Venus Throw, Le Coup de Vénus, aux dés, lorsque ceux-ci étaient des astragales de moutons, et ne portaient que quatre chiffres I, II, IV et VI. C’est précisément cela, le coup de Vénus, obtenir la suite des quatre chiffres, et c’est un signe de chance ; quatre, comme il y  a quatre parties brillamment paronomastiques à ce roman policier romain de la collection «  Grands détectives »  chez 10/18. Nex, Noxia, Nox, Nexus : «  meurtre, crime, ténèbres, nœud[1] » . C’est le quatrième de la série des aventures de Gordien, le «  privé »  romain, chacune organisée autour d’un épisode majeur de l’histoire politique et littéraire de la Rome républicaine : Du Sang sur Rome tourne autour du procès de Roscius d’Amérie, plaidé par le tout jeune Cicéron en 80 avant J.C., à la toute fin de la dictature de Sylla, L’Etreinte de Némésis (en fait, Le Bras de Némésis), se déroule pendant la révolte de Spartacus, autour de la figure de Crassus, L’Enigme de Catilina évidemment autour de la conjuration du même, avec Cicéron encore au cœur de l’intrigue, et enfin celui-ci, que j’admire tout particulièrement. Je viens de le relire, pour cause de cours, et j’en ai éprouvé un extrême plaisir. Sans doute parce qu’il ressuscite avec brio des personnages et des textes qui me sont particulièrement chers : Clodia, la sulfureuse amante du jeune poète Catulle, pour laquelle il atteint dans son œuvre si brève des sommets d’intensité dans la passion amoureuse et l’invective, Catulle lui-même, ombre désemparée et sardonique, traînant sa souffrance d’amant délaissé, Clodius, le mari, euh… le frère de Clodia (le lapsus épigrammatique est de Cicéron), l’agitateur politique et démagogue féroce, Caelius enfin, le jeune et brillant orateur, dépravé, velléitaire, accusé par Clodia d’avoir voulu l’empoisonner. Le tout sur fond d’« Affaire égyptienne », au moment se joue l’indépendance de ce grand et vénérable pays, et où une délégation d’émissaires vient d’être méthodiquement éliminée, parmi lesquels le philosophe académicien Dion d’Alexandrie - et Caelius est impliqué aussi dans cette affaire.

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mardi, mai 24 2011

Guillevic

Roses,
Presque lèvres,
Presque corps,

Roses,
Plus que fleurs,
Presque portes à l’entrée
Du corps qu’on touchera,

Près de vous je sais mieux
Ce que c’est que des lèvres
Et ce qu’apporte un corps.

(Terre à bonheur, 1951

J’aime Guillevic. Et ce poème tinte à ma mémoire à la saison des roses, toujours.
Alors, le voici, avec une rose.            

Et puis l’odeur exquise
Du seringa et des pivoines.

dimanche, janvier 23 2011

Mon livre est plus trempé de lumière que ma vie

Je ne suis pas poète. Je suis libertin. Je n’ai aucune méthode de travail. J’ai  un sexe. Je suis par trop sensible… C’est peut-être aussi  pour m’entraîner, pour m’exciter – pour m’exciter à vivre, mieux, tant et plus !

La littérature fait partie de la vie. Ce n’est pas quelque chose « à part ». Je n’écris pas par métier.

Toute vie n’est qu’un poème, un mouvement. Je ne suis qu’un mot, une profondeur, dans le sens le plus sauvage, le plus mystique, le plus vivant.

La Prose du Transsibérien est donc bien un poème, puisque c’est l’œuvre d’un libertin. Mettons que c’est son amour, sa passion, son vice, sa grandeur, son vomissement. C’est une partie de lui-même. Son Ève, la côte qu’il s’est arrachée. Une œuvre mortelle, blessée d’amour, enceinte.

… Voilà ce que je tenais à dire : j’ai de la fièvre. Et c’est pourquoi j’aime la peinture des Delaunay, pleine de soleils, de ruts, de violences. Madame Delaunay a fait un si beau livre de couleurs, que mon livre est plus trempé de lumières que ma vie. Voilà ce qui me rend heureux. Puis encore, que ce livre ait deux mètres de long ! – et encore, que l’édition atteigne la hauteur de la Tour Eiffel !

… Maintenant, il y aura bien quelques grincheux pour dire que le soleil a des fenêtres et que je n’ai jamais fait mon voyage…

Blaise Cendrars, Paris, septembre 1913

(Extrait d’un article paru dans Der Sturm (Septembre 1913), cité par Miriam Cendrars in Blaise Cendrars – 1994)

 

jeudi, janvier 20 2011

Biaux chires leups....

La lecture de La Fontaine, c'est un bonheur de tous les instants. Cette vivacité du récit, cette fluidité du vers libre (classique !) qui coule parfois comme de la prose, le naturel d'un propos tellement élaboré, les dialogues de cette « ample comédie », ça réjouit l'âme et l'intelligence.

Il y a une fable, que je découvris un jour avec stupeur, à ma première lecture intégrale du recueil, la seule qui use du patois... picard !
La voici

Ce loup me remet en mémoire
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris:
            Il y périt. Voici l'histoire:
Un villageois avait à l'écart son logis.
Messer Loup attendait chape-chute à la porte;
Il avait vu sortir gibier de toute sorte,
        Veaux de lait, agneaux et brebis
Régiments de dindons, enfin bonne provende.
Le larron commençait pourtant à s'ennuyer.
            Il entend un enfant crier:
            La mère aussitôt le gourmande,
            Le menace, s'il ne se tait,
De le donner au loup. L'animal se tient prêt,
Remerciant les dieux d'une telle aventure,
Quand la mère, apaisant sa chère géniture,
Lui dit: « Ne criez point, s'il vient, nous le tuerons.
- Qu'est ceci? s'écria le mangeur de moutons:
Dire d'un, puis d'un autre! Est-ce ainsi que l'on traite
Les gens faits comme moi? me prend-on pour un sot ?
            Que quelque jour ce beau marmot
            Vienne au bois cueillir la noisette! »
Comme il disait ces mots, on sort de la maison :
Un chien de cour l'arrête; épieux et fourche-fières
            L'ajustent de toutes manières.
« Que veniez-vous chercher en ce lieu? » lui dit-on.
            Aussitôt il conta l'affaire.
            « Merci de moi! lui dit la mère ;
Tu mangeras mon fils! l'ai-je fait à dessein
            Qu'il assouvisse un jour ta faim? »
            On assomma la pauvre bête.
Un manant lui coupa le pied  droit et la tête :
Le seigneur du village à sa porte les mit ;
Et ce dicton picard à l'entour fut écrit:

       « Biaux chires leups, n'écoutez mie
         Mère tenchent chen fieux qui crie. »

C'est délicieusement cruel et immoral ^^.

La gravure est de Gustave Doré.

mercredi, septembre 22 2010

Fable fraîche de bon matin

Un autre petit Bettencourt pour la route. Amusant, avec un petit air de Max Aub....

              La victime

Tu t’es conduite avec moi indignement. Mais enfin, c’est une candeur inénarrable de ne pas t’en apercevoir.

Qu’ai-je fait ? dit-elle.

-  Comment ? c’est à moi que tu as le toupet de demander des explications ! moi le refait, moi le volé, moi la victime ?

Que faire ? dit-elle.

-  Tu avoues enfin. Ah ! je m’en doutais que c’était toi. Misérable ! me le rendras-tu ?

Que faites-vous ? dit-elle.

Je serrai, je serrai plus fort, j’étais furieux. Elle tomba, elle était morte, non, elle dit encore :

Qu’avez-vous fait ?

 (Fables Fraîches pour lire à jeun)

jeudi, août 12 2010

Invisible habitant l'invisible...


Claude Monet - Nymphéas
(Musée Marmottan)

Toi cependant,

 ou tout à fait effacé,
et nous laissant moins de cendres
que feu d'hiver au coin d'un foyer,

 Ou invisible habitant l'invisible,

 ou graine dans la loge de nos cœurs,

quoi qu'il en soit,

demeure en modèle de patience et de sourire
tel le soleil dans notre dos encore
qui éclaire la table, et la page, et les raisins.

Philippe Jaccottet – Leçons

dimanche, février 28 2010

Grain, bourrasques et rafales

Non que j'aie l'habitude de pratiquer le commentaire météorologique.
Mais pour saluer le souffle puissant qui tout à coup a transformé la cour en champ de bataille, presque silencieusement malgré tout, un peu de Saint-John Perse, qui me trottait alors dans la tête :
C'étaient de très grands vents, sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient d'aire ni de gîte,
Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l'an de paille sur leur erre... Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
(C'est le début de Vents, justement).
A présent, c'est plutôt
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux...
A propos, je fais une pause dans Balzac (même pas fini UN tome, pffff....). J'ai remis le nez dans Kawabata, histoire de me dépayser total. Kyoto. Si tout va bien ce sera la prochaine note.

dimanche, novembre 22 2009

Oscar Vladislas de Lubicz Milosz - Karomama

Lorsque j'étais élève de 4ème 3, au lycée Montgrand à Marseille, blouses greiges et noms brodés sur le plastron, dans la classe d'Andrée Ferrier à qui je dédie avec affection ce souvenir, nous avions pour manuel de français Plaisir de Lire, par Jean Géhenno. Couverture de toile grise, je crois, et une moisson de textes qui faisaient surgir des mondes. Pêle-mêle, la Tête de faune, de Rimbaud, l'évocation par Antonio du bain dans le fleuve qu'il rêve de faire prendre à l'aveugle Clara, c'est Le Chant du monde de Giono, la scène où Catherine bat du tambour dans Mère Courage, scène lue avec passion, et je le crains, guère de distanciation - à laquelle par sa puissance dramatique elle échappe me semble-t-il encore aujourd'hui. Il y avait les images aussi, Catherine en noir et blanc sur le toit de sa roulotte (mise en scène Jean Vilar ? Photo d'Agnès Varda ?), une tête de faune, et les bras tendus à angle droit de la Petite reine Karomama qui me revient comme une bouffée de beauté mélancolique, et que voici.
C'est un poème d'Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, poète lithuanien d'expression française, dont le nom, un décasyllabe, est une bouffée d'exotisme sonore.
Je l'ai peu lu, mais ce poème chante encore en moi, et je ne sais où j'ai perdu dans la maison, ou prêté, le délice que furent les Contes Lithuaniens, aux éditions André Sylvaire, avec cette délectable histoire du hérisson qui devint roi des sangliers sous le nom de Qui s'y frotte s'y pique 1er !:D
 En attendant, voici le poème, issu du recueil Les Sept solitudes :

 

 

Mes pensées sont à toi, reine Karomama du très vieux temps,
Enfant dolente aux jambes trop longues, aux mains si faibles
Karomama, fille de Thèbes
Qui buvais du blé rouge et mangeais du blé blanc
Comme les justes, dans le soir des tamaris
Petite reine Karomama du temps jadis.

 

 

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mercredi, avril 8 2009

Les Énigmes Licencieuses de Marc Papillon de Lasphrise

Madame le void rouge estant en grand’ chaleur,
Le prend à pleine main pour le mettre en sa fente,
Puis ayant d’un bon coup reçu ceste liqueur,
Soufflant souspire d’aise, & n’est plus si ardente.

C’est la vingt-deuxième et dernière énigme du recueil des Énigmes Licencieuses de Marc Papillon de Lasphrise, publiées chez Finitude (!), 14 cours Marc-Nouaux à Bordeaux. Sachez que si vous avez trouvé en guise de réponse quelque grivoiserie, vous vous êtes fourvoyé(e). Car comme l’indique l’ « achevé d’imprimer à la fin de l’été deux mille huit, par l’imprimerie Lussaud, en Vendée », cet ouvrage a été édité « pour le seul plaisir de prouver au lecteur que son esprit est parfois bien mal placé ».

C’est un adorable petit ouvrage, délectable par son contenu, « duisable » - comme dit Papillon - par sa forme : couverture à rabats, beau papier crémeux avec belles marges (j’en suis friande, mes lecteurs l’auront peut-être remarqué), et, de la couverture à la dernière énigme, des gravures-collages de Claude Ballaré, très seizième (siècle) dans leur aspect, avec un petit côté décalé (touches de couleur, fragments dessinés sur le mode réaliste) et l’art de suggérer la réponse tout en égarant le lecteur dans un univers de signes. Chaque énigme (quatrain ou sonnet) est précédée d’un …cul-de-lampe ? d’une vignette ? représentant des créatures, mi-putti, mi-chimères, des cousins de ceux du Vénus et Mars de Botticelli, luttant à coups de lance. Il y a un portrait gravé du sieur Papillon, capitaine de son état, dont le docte « préliminaire » nous enseigne les hauts-faits amoureux et guerriers. Vous ai-je dit qu’il était signé, depuis Monplaisir, par Cyprienne Pineaubecq ?

D’aucuns trouveront peut-être que le trait est forcé. Moi, je me suis régalée (il y a d’ailleurs de quoi dans la marmite bien garnie du Sieur Papillon, qui nous rappelle en outre bien des principes médicaux de son époque). Tous les plaisirs sont convoqués au banquet érudit et souriant que nous offre ce ravissant petit livre. Finitude, peut-être… non sans béatitude.
http://www.finitude.fr/auteurs/papillon.htm

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