Mot-clé - Benameur

Fil des billets - Fil des commentaires

samedi, février 16 2013

Comme on respire - Jeanne Benameur

   J’ai appris à habiter le souffle qui sortait de ma bouche.
   Cela s’appelle habiter une langue. C’est mon asile sûr. Celui où je me sens vêtue.
   J’entre dans un mot comme au creux d’une grotte creusée par d’autres, où je peux vivre, moi aussi.
   C’est cela une langue maternelle. C’est une maison qui accueille. Vous pouvez nicher tranquille. Et c’est immense.
   Ça n’a pas de frontière.
   Il suffit d’apprendre. Comprenez. Apprendre peut être une merveille.
   La langue ne vous demandera jamais votre carte d’identité. Elle est là, disponible dans la bouche de ceux qui vous parlent. Et chacun de nous peut.

 ***

   J’ai vu de vieilles femmes admiratives des mots qu’elles ne roulaient pas sous leur palais, habituées à d’autres sons. Intimidées. Puis avec un  petit rire, la main légèrement posée sur les lèvres, s’essayant à la nouveauté de la langue inconnue.
   C’est naissance.
   C’est joie.
   C’est grande joie.
   Les sons passent d’une bouche à une autre bouche.
   On sourit. On rit. On se trompe. On est heureux. On recommence.

   Celui qui sait trouver asile dans une langue a trouvé un pays où être chez soi. Il en est l’habitant. Personne ne vous expulsera jamais d’une langue.
   C’est comme ça.
   Et aucune loi n’y fera rien.
   J’en suis convaincue et heureuse.
   La liberté est là. Personne n’en tient de fichier.

 

Ce sont deux poèmes de Comme on respire, de Jeanne Benameur, un joli petit livre violet, chez Thierry Magnier. Il y a dans ce mince recueil, dense, généreux, une sorte d’âpre humanisme militant, que j’estime infiniment, même si je trouve que son expression explicite, jusque dans les deux poèmes cités, fêle l’intensité du propos. Mais il y a aussi cette réflexion sur les mots et la langue, sur la nécessité de dire, d’écrire envers et contre tout. Sur la liberté des mots, dans les mots. Alors, voici.

lundi, mai 12 2008

Jeanne Benameur – Les Demeurées

Mince volume, d’une écriture très poétique, qui évoque la tourmente réciproque installée dans les vies de Luce et sa mère, La Varienne, et dans celle de l’institutrice, la douce Mademoiselle Solange, par l’entrée de Luce à l’école. D’un côté, « les demeurées », une maison close sur elle-même, un bloc physique d’amour sans partage, un silence et un refus à toute épreuve. De l’autre, une douceur entêtée, le désir opiniâtre d’insinuer dans le cœur d’une enfant « absente » au cœur même de l’école l’appétit d’apprendre. Jusqu’à la maladie, d’un côté, jusqu’aux bords de la mort, la folie, de l’autre, saisie à son tour par l’absence. Et pourtant, quelque chose s’est passé, qui a fissuré le refus et ouvert à Luce le monde. Une histoire de lettres, de mots, de rencontres muettes.

Qui m’a donné le désir de relire une autre histoire de mère-fille demeurées en marge d’un village, - plus longue, plus brutale, très belle dans mon lointain souvenir : Inès Cagnati, Génie-la-folle, roman autrefois emprunté dans une bibliothèque, et que je n’ai pas revu depuis sur les tables des libraires. C’est dommage. Je vais y retourner voir.