jeudi, septembre 12 2013

Maurice Pons - Délicieuses Frayeurs, Les Saisons

« C’est seulement à l’heure plus paisible du jour qui tombe, quand le soir embaume toutes les peines de cœur, qu’il commença à parler d’une voix douce :

-          Je vois une ville profonde à travers les vitres. Elle a un petit air triste. Elle penche ses toits comme on penche la tête. Seul un grand clocher fait le fier, et ses cloches se baladent dans les ruelles. L’heure est grave : c’est l’heure où la ville hésite entre le jour et la nuit. On voit déjà les lumières dans les maisons du centre, plus impatientes du soir, mais la colline s’attarde aux douceurs du jour. Le brouillard se déshabille lentement pour dormir. Il fera beau demain….

Il faisait beau le lendemain, et Franz raconta chaque jour qui suivit. La ville entière entrait par la fenêtre. Quartier par quartier, elle grandissait à travers les vitres.

-          Notre hôpital, savez-vous, est chaussé d’un large boulevard, et, de l’autre côté, commence un parc… il est sage comme un jardin de pension un jour de fête, et si bien élevé… »

C’est un malade qui parle, comme on le comprend à la mention de l’hôpital. Ils sont quatre dans la chambre, quatre « allongés », mais il n’y a qu’une fenêtre, et l’occupant du lit qui en est proche a la lourde charge de raconter aux autres le monde vu par la fenêtre. Le premier, Karl, était un taiseux. Franz est le suivant, et le monde qu’il conte est comme enchanté, guidant ses camarades sur la voie de la guérison.

C’est la première nouvelle, La Fenêtre, du recueil Délicieuses Frayeurs, qui en conte onze. C’est magnifiquement écrit, mais j’en ai lu trois, et la chute de chacune était si sombre que j’arrête. J’ai d’ailleurs relu Les Saisons, étrange roman que j’ai déjà évoqué ici à plusieurs reprises.

Eh bien, c’était encore plus étrange que dans mon souvenir. Il me restait des fragments de scènes, que la lecture a retissées entre elles.
La Brigde, les Dogde – Walter et Clara -, la petite Louana et sa cousine Cherline,  l’éléphantesque et revêche Mme Ham, le vieil unijambiste Raurque, Brouette l’ancêtre puant, Berque, Schlitte, Escladoss,  et le Croll médecin des hommes et des bêtes, les sœurs Steppe, Aoste… rauques et hérissés de consonnes ou à peine adoucis par les hiatus de voyelles, tels sont les habitants du village où Siméon, fuyant un passé brûlé de soleil et hanté de visions cauchemardesques, est venu trouver ce qu’il croit être son refuge,  pour y écrire, sur son luxueux « papier drelin » filigrané – son seul luxe - l’horreur de son esclavage et la mort de sa petite sœur Enina. Un village anonyme au fond d’une vallée de montagne, au bout du monde. Siméon le naïf au visage si terriblement ingrat, qui se croit accueilli et célèbre l’hospitalité de ces villageois plus que frustes - hostiles, instables.

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lundi, mai 20 2013

Quand la pluie étalant ses immenses traînées....


          Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Charles Baudelaire – Les Fleurs du Mal, Spleen et idéal, LXXVIII



Intarissablement, le ciel gris, au ras des toits, déverse une pluie froide, verticale, lourde, incessante. Dans le jardin reverdi, les poiriers, puis les pommiers n’ont pas eu le temps d’épanouir leurs belles fleurs blanches ou rosées aux rayons du soleil. Elles jonchent, tristement, la pelouse. Voici venu le tour de celles, délicates, du cognassier.  Les lilas courbent leurs grappes sous le poids des gouttes, toute la végétation, en écho à l’humeur des hommes, semble déprimée, et la promesse des fruits s’amenuise. Et pas d’asperges, samedi, au marché ! trop froid. Je pense, sans avoir pu le retrouver, à l’univers détrempé et inquiétant des Saisons, de Maurice Pons, où, avant le grand gel de l’hiver, il pleuvait ainsi, intarissablement.

jeudi, juillet 12 2012

Réminiscence estivale (?)

J’ai lu il y a bien longtemps, fascinée, un roman de Maurice Pons intitulé Les Saisons. Lequel a disparu depuis bien longtemps de mes étagères - j’ai regardé, souvent, parce que j’y ai souvent repensé, parce que j’ai souvent pensé à le relire. Il faudra donc que je l’emprunte à la bibli, s’il y est, ou que je le rachète. Cela se passait dans une contrée indéterminée, indistincte, glauque, détrempée par une pluie absolument incessante, insinuante, omniprésente. Le « héros » y débarquait parmi des villageois hostiles et grimaçants dont je me souviens qu’ils le lapidaient. Il s’y pratiquait une sexualité tremblante où la contraception était assurée par des grenouilles introduites dans le vagin des femmes. Tout y était gauche - je ne sais pourquoi le mot anglais « awkward » me paraît plus approprié, à cause de ses sonorités sans doute -, inconfortable, définitivement précaire – et cruel. Ce sont des fragments de souvenirs. C’était un livre terrible et singulier. J’y pense, en regardant par la fenêtre encore encombrée de piles diverses la pluie tomber, sans relâche.