J’ai lu récemment, pour un jury qui se tenait
hier matin, une trentaine de nouvelles écrites par des lycéens, à partir de
deux incipit proposés par l’écrivaine
Carole Martinez. Si l’on passe sur l’extrême indigence de la langue employée
dans la plus grande part de ces textes, il en ressort aussi que les histoires
de couples qu’elles mettaient en scène (dans un décor imposé de bal masqué),
étaient en général absolument désolantes. Trash, ou tartes. Hommes – masqués –
systématiquement brutaux, débauchés, sadiques, violeurs, voire assassins. Femmes
victimes, brutalisées et/ou extatiques, et finalement mortes, parfois. C’était
hier la « Journée de la femme » (laquelle ? pas celle-là, j’espère),
et il y avait entre les dizaines d’années de militantisme qui ont précédé et
ces textes de jeunes filles un contraste très décourageant, non seulement en ce
qui concerne les femmes, mais - et c’est bien pire - en ce qui concerne les
relations entre hommes et femmes. Ça m’évoque le succès de la trilogie des 50
nuances de gris plus ou moins foncé ou clair dont les « défenseurs du féminisme »
(parmi lesquels Arnaud Viviant) voient une réjouissante manifestation de l’émancipation
d’icelles, qui iraient sans rougir chercher chez le libraire ces salades à l’eau
de rose pimentées de cruauté. J’y vois plutôt la manifestation d’un
goût littéraire navrant accompagné d’un penchant inquiétant – même si fantasmatique
– au statut de victime d’un gros bras riche et pervers. Harlequin version
anthracite. Toutes réflexions qui m’ont conduite à me
mettre en quête du poème qui suit. Certes, il s’agit d’un éloge du mariage –
lequel est à la mode, par les temps qui courent... Mais c’est surtout, sous la plume
de « la première femme de lettres » française, la première à vivre de
sa plume en tout cas, une si délicate évocation, à la fois hardie et
suggestive, d’une relation fondée sur une intense
douceur !
Je tire ce poème de Christine de Pizan (1364
- 1430) d’une vieille anthologie qui a adapté
les textes en français moderne – au plus près, pour les rendre lisibles – , je
ne suis donc pas sûre de son exactitude, et la toile est dans ce domaine assez
peu éclairante. Mais somme toute, ce n’est pas grave ! le voici, c’est une
ballade.
Douce chose
est que mariage
– Je le
pourrais par moi prouver –
Pour qui a
mari bon et sage
Comme Dieu
me l’a fait trouver.
Loué soit
celui qui sauver
Me le
veuille, car son soutien,
Chaque jour
je l’ai éprouvé,
Et certes,
le doux m’aime bien.
La première
nuit du mariage,
Dès ce
moment, j’ai pu juger
Sa bonté,
car aucun outrage
Ne tenta qui
dût me blesser.
Et avant le
temps du lever
Cent fois me
baisa, m’en souviens,
Sans vilenie
dérober,
Et certes le
doux m’aime bien.
Il parlait
cet exquis langage :
« Dieu
m’a fait vers vous arriver,
Tendre amie,
et pour votre usage,
Je crois, il
voulut m’élever. »
Ainsi ne
cessa de rêver
Toute la
nuit en tel maintien,
Sans
nullement en dévier,
Et certes,
le doux m’aime bien.
Princes, d’amour peut m’affoler
Quand il me
dit qu’il est tout mien ;
De douceur
me fera crever,
Et certes,
le doux m’aime bien.
Christine de Pizan à sa table de travail
Enluminure tirée du manuscrit des
Œuvres de Christine de Pizan (début XVe)
British Library BL Harley 4431, f. 4
Les variations de la taille des caractères des textes que je publie ici relèvent pour moi de la diablerie. Pourquoi si petits aujourd'hui ? Mystères et arcanes de la cybernétique...