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mardi, février 26 2013

Au gré du voyage

David van Reybrouck, Congo, une histoire
Max Gallo, Jésus, l’homme qui était Dieu
Barthes, Mythologies
Julia Deck, Viviane Elisabeth Fauville
Les Moissons du futur
de M. Monique Robin
Richard Ford, Une Saison ardente
Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil
Paul Eluard, Capitale de la douleur, L’amour, la poésie

Sur une vingtaine de sièges dans ce coin de wagon de seconde, pour une fois très chauffé, ça faisait pas mal de livres et de lecteurs-trices, de tous âges, plongés dans leur lecture, avec ou sans crayon. Quasi seulement des ouvrages à des titres divers d’un intérêt certain... que j’ai lorgnés, parce que je l’ai toujours fait, et que c’est une curiosité d’autrui que je m’autorise. Il y en a dont je suis allée vérifier le titre ou l’auteur sur gogole, à l’arrivée, faute de les connaître, et les voici. Petite « carotte » littéraire prélevée sur un voyage. Mukasonga, c’était moi, et je le chroniquerai lorsque je l’aurai terminé.

Et puis, pour continuer à célébrer les poètes et la poésie :

Ici

Ici, entre les débris des choses et le rien,
nous vivons dans les faubourgs de l’éternité.


Nous jouons parfois aux échecs,

insouciants du destin derrière la porte

nous sommes toujours là,

bâtissant des décombres, des colombiers lunaires.


Nous connaissons le passé sans disparaître
ni passer les nuits d’été

en quête des hauts faits d’un âge d’or.

Nous qui sommes qui nous sommes sans nous demander
qui nous sommes car nous sommes toujours là,

ravaudant la robe de l’éternité.


Nous sommes les enfants de l’air chaud et froid,
de l’eau, de la rosée, du feu, de la lumière

et de la terre des pulsions humaines.



Et nous possédons une moitié de vie,
une moitié de mort

des projets d’éternité... et d’identité



Patriotes comme les oliviers, mais nous sommes las de
l’image du narcisse

dans l’eau des chants patriotiques.

Sentimentaux involontaires,
lyriques par choix,
nous avons oublié
les paroles des chansons sentimentales.


Ici en compagnie du sens
nous nous sommes révoltés contre la forme

et nous avons modifié l’épilogue.



Dans le nouvel Acte,
nous sommes naturels, ordinaires

et ne confisquons ni dieu

ni les larmes de la victime.


Nous sommes toujours là
et possédons de grands rêves,

comme amener le loup à jouer

de la guitare dans un bal annuel.


Nous possédons aussi de petits rêves,

comme sortir du sommeil

guéris de la déception

et sans rêves impossibles.

Nous sommes vivants et présents....
et ce rêve se poursuit.

Mahmoud Darwich – Le lanceur de dés et autres poèmes, « Ici. Maintenant. Ici... et maintenant »
Photographies d’Ernest Pignon-Ernest (Actes Sud)
Traduction Elias Sanbar

 

C’est le poème liminaire. Les photographies de la silhouette grave et pleine d’élan du poète - au milieu d’un chaos de ruines, de pierres, de béton et de métaux arrachés, d’ordures, ou sur un beau mur de pierre tout illuminé de végétation et d’un rayonnant cactus en fleurs, dans l’intimité colorée d’un marché ou dans le mouvement d’une rue - photos prises par E. P-E font au texte un écho grave et recueilli. Seule réserve, le vilain papier trop blanc, trop brillant, trop épais, déplaisant au toucher, qui entrave le plaisir de la lecture. Mais la présence vivante de Mahmoud Darwich est sensible dans ce recueil, résonnant entre sa parole poétique humaniste et combattante et les images du peintre qui lui fait hommage.

mardi, août 31 2010

« La peau des murs »

C’est chaque fois une grande image surgie du mur, née de lui.

Elle est parole et pourtant muette. A Naples, après les crucifixions, les descentes de croix, je cherchais des traces de ces martyrs, des lambeaux de corps, des linges sacrés, et chaque fragment retrouvé constituait une part du drame. Chaque fois encore, l’image géante, déchirée, venue du mur, créait une immense zone de paix autour de cette présence inattendue, percutante, insoutenable, témoignage de ces martyrs qui refusent de se réduire au silence du mur, collés de leurs larmes. Le papier déchiré, douloureux comme un peau se refuse au sublime de l’image et de son origine pour se perdre sur ces grains de pierre, les anfractuosités qui déjà les dévorent.

 Souvent l’image, Rimbaud, les morts silencieux de la Commune, Maïakovski le géant, tant d’autres, se déchiraient d’eux-mêmes pour signifier avec leur souffrance d’être, d’avoir été. Souvent encore, gris et noirs d’exister ainsi, ils agrandissaient l’espace, prenaient la rue à témoin, envahissaient les lieux, griffaient le mur, allaient chercher le ciel qu’il soit bleu ou blême, plus grand que les pierres sur lesquelles ils gisent, mutilés, plus immenses ou contrits.

 Ces corps sans mesure en vérité, prennent leur puissance à la rue, et ceux qui passent s’emparent d’eux.

C’est le début du texte d’Henri Cueco qui ouvre un volume d’hommages à l’œuvre, au travail d’Ernest Pignon-Ernest, à l’occasion je pense de la grande rétrospective de son œuvre qui a eu lieu cet été à l’Espace Encan de La Rochelle, vaste lieu où les panneaux découpaient un labyrinthe ouvert d’où, de pause en pause, surgissaient, saisissants, les visages de ses icônes modernes (et non « païennes », je ne crois pas), personnages illustres ou anonymes. Christ, vierge, artistes ou gens de peu, choisis pour ce qu’ils révèlent de notre monde, et collés sur les murs pour que réciproquement le lieu et le(s) personnage(s) s’entre-révèlent.

Face aux murs Ernest Pignon-Ernest, tel est le titre de l’ouvrage, qui fait dialoguer photos de l’œuvre in situ – puisque en somme seule cette trace en demeure - et textes d’auteurs, d’amis. Textes théoriques ou poétiques, fraternels, fulgurants, parfois bavards. Curieusement, un texte d’Anne-Marie Garat « recycle », presque mot pour mot, en les distribuant un peu différemment, et en y ajoutant la dimension de l’image, l’extrait que j’ai cité en fin de ma récente chronique comme hommage au roman (à la façon dont E. P.-E. recycle, réinterprète, reforge et remodèle de grandes œuvres classiques pour leur donner la voix de notre temps ?)

Il y a un très beau texte de Jean-Marie Laclavetine Sous le pavé de Naples, les voix d’André Velter, de Jean-Baptiste Para, de Jean Rouaud.... tant d’autres, que je connais ou non, que j’aime ou que je n’aime pas. Signes, en tout cas, de la force expressive de cette œuvre vraiment bouleversante qui plus qu’aucune sublime l’art du dessin. Malgré le papier raide et trop glacé, malgré surtout ces marges de droite pas justifiées - c’est moche, c’est négligé, c’est bien la peine de citer tant de noms sur l’achevé d’imprimer – le livre est beau de ce dialogue entre textes et images, de la résonance de l’œuvre au cœur du profond aujourd’hui.

Et voici le site d’ Ernest Pignon-Ernest.

Successivement : Donna con lenzuolo (Femme au drap), Naples 1990; Genet, Brest 2006; Desnos étude, 2009?