Quignard, pêle-mêle

Je n’avais jamais lu Quignard, sauf, il y a très longtemps, un texte dans la revue Action Poétique, dont j’ai tout oublié, sauf le sentiment d’être restée à la porte, faute de clés.

J’en savais tout de même quelque chose, sa notoriété grandissante après le Goncourt, surprenante si l’on considère combien son travail est confidentiel. Le Sexe et l’effroi aussi. Son ancrage antique, son côté (sa voix) pythique. Son visage de gnome de Füssli.

J’ai lu, entre hier soir et ce matin Tous les matins du monde, qui est au programme des terminales (je n’ai pas de terminales), avec le film de Corneau, récemment décédé. Que j’avais vu (le film), et aimé, à cause de la lenteur, de la lumière, de la musique. Dont j’ai curieusement effacé de ma mémoire Depardieu. Il me reste la blondeur de son fils, Marielle plein de fureur, et Anne Brochet, toujours plus exsangue et fantomatique. Et la raucité humaine de la viole de gambe.

Or donc, je ne vais pas faire un cours. Seulement jeter quelques impressions, à vif.

Ce que m’a évoqué cette première lecture, perplexe, c’est à la fois Giono et Michèle Desbordes. Le Giono de Regain, pour la syntaxe sans fioritures, et La Demande de Michèle Desbordes, pour l’approche intérieure et picturale ensemble d’un personnage très lointain saisi dans une intimité de gestes. Mais la syntaxe de Desbordes est un flot, sac et ressac, qui n’a rien à voir avec celle de Quignard.

Perplexe ai-je écrit, parce que je suis restée en dehors, intéressée mais pas conquise, faute, me semble-t-il, de pouvoir assigner une place au narrateur, à moins que ce ne soit à l’auteur. Le regard s’incarne et se précise lorsque Marin Marais arrive dans l’histoire. Pour autant, il n’est qu’un filtre passager relayé ensuite par d’autres, en particulier celui de Sainte Colombe en proie à ses fantômes.

Où se situe le roman, entre empathie et documentation, entre suggestion et explication professorale, entre détachement et détails sexuels presque ( ?) ridicules : ces histoires de taille de zizi, cette focalisation minutieuse sur des organes, en pleine austérité janséniste, c’est proprement incongru. Comme le signe d’une hésitation entre inspiration et démonstration, entre compositeur et faiseur, entre Sainte Colombe et Marin Marais, (vu par Quignard). Entre passion de créer et … insuffisance ? trop grande intelligence ? comme une aspiration à la justesse, inaboutie.

Georges de La Tour - Madeleine (Musée du Louvre)

Commentaires

1. Le jeudi, février 3 2011, 17:54 par Céline

Je n'ai encore jamais lu le livre, mais je me souviens avec beaucoup d'émotion du film, et de la beauté de la musique qui l'accompagnait. J'avais été le voir, petite fille, avec mes parents ; je pense que c'était le premier vrai film que je voyais au cinéma, et j'étais toute impressionnée et émerveillée par la beauté des images.
Quant à la bande originale, comme celle de Barry Lindon, elle m'accompagne encore régulièrement...

2. Le jeudi, février 3 2011, 22:56 par Agnes

Coucou Céline.

Moi aussi, j'ai un bon souvenir du film, et la musique interprétée par Jordi Savall m'accompagne souvent. Le roman... Mais je reverrai le film.

Amitiés,

A.

3. Le vendredi, mars 18 2011, 18:16 par joane

Il m'a fallu du temps pour comprendre que ce livre illustre avant tout L'ABSENCE et la musique (l'Art ) mise à l'honneur est là pour combler ce vide. Je soupçonne Quignard d'être absent au monde, il n'en est pas de même pour Corneau. La force du film vient de la présence de deux sensibilités totalement opposées. Quant à Depardieu, on ne pouvait pas trouver mieux.

Quignard n'offre pas de solution, c'est un constat simple, il n'y a pas de transcendance. Le jansénisme et son antagoniste, le sexe ( réduit à un petit zizi gelé), ne mènent à rien : Je ne peux que sublimer à travers l'Art pour oublier que "tous les matins du monde sont sans retour".

Plus je parcours les pages de ce livre, plus je le trouve beau.

4. Le vendredi, mars 18 2011, 23:57 par Agnès

Coucou...

C'est possible, c'est même sûrement juste, mais il y a quelque chose de gelé dans ce livre qui justement me laisse en dehors (j'allais écrire froide ^^...). C'est-à-dire qu'à l'absence de transcendance ne répond rien d'autre qu'une sorte d'érudition virtuose, et c'est ça qui m'est étranger.

Ci veddiamo!

A.

5. Le mardi, décembre 6 2011, 23:21 par Anne d'Evry

Je viens de lire «Le nom sur le bout de la langue». Après une introduction très datée et localisée (en Normandie, en compagnie de Michèle Reverdy et Pierre Boulez entreprenant de couper un bloc de glace au café qui glisse de l’assiette en s’échappant sous la lame), ce court traité est double : un conte charmant, médiéval, amoureux, intitulé « Le nom sur le bout de la langue ». C’est bien le diable si l’on ne retrouve pas le nom.
C’est suivi d’un petit exploit d’érudition sur Méduses, Gorgones, Silènes et autres Mélusine. Il semble que Quignard enfant fut pétrifié devant sa mère cherchant désespérément ses mots, car cela ressemble à un bout d’autobiographie. C’est une réflexion sur l’écriture et sur le langage, le sexe aussi, bizarrement présent, mais froid. Tout cela est extrêmement intelligent. On adhère à presque toutes les réflexions. On voudrait les retenir, mais quelque chose fait que ça s’échappe, comme le bloc de glace au café de l’introduction.
Il y a quelque chose d’admirable dans l’œuvre de Quignard, et pourtant, ce ne sont pas des livres que j’ai envie de relire.
(J’avais lu et annoté « Pensées secrètes ». Des centaines de réflexions qui ont fait écho en moi. Il ne m’en reste pas une miette).

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