Laurence Cossé - Au Bon Roman

Au mépris de tous mes devoirs, j'ai récemment passé une journée presque entière à lire un roman. Un bon roman donc, puisqu’il a fallu que je le finisse. Au Bon Roman est son titre, et son projet. La rencontre d’un libraire idéaliste un peu hagard égaré dans un sous-sol de station de ski et d’une héritière habitée par le désir de faire quelque chose de bien de sa vie désertée fait naître le projet d’ouvrir une librairie vouée aux seuls « bons romans ». Ceux qui accompagnent, réparent ou réconfortent, ceux qui n’éludent rien du tragique humain, rien des merveilles quotidiennes, des romans « bons », à l’exclusion des livres bâclés, écrits à la va-vite, pliés pour la rentrée littéraire.

Ivan, dit Van, et Francesca étudient rigoureusement leur affaire. Créent un comité de lecteurs constitués d’écrivains qui leurs sont chers, chargés de fournir chacun les six cents titres en langue française qui leur paraissent indispensables pour mettre en route le fonds. Et ouvrent un beau jour de septembre 2004, rue Dupuytren, au carrefour de l’Odéon, la librairie Au Bon Roman, un rêve de lecteurs, uniquement peuplée de romans charnus, de romans aimés de ceux qui les ont choisis, de romans composés avec amour. Lieu de rencontre immédiat, d’échanges, de vive voix ou sur la toile, avec les lecteurs éblouis et incontinent habitués - et nourri aussitôt des auteurs oubliés mentionnés par les uns et les autres…
Oui mais.

Le roman s’ouvre par les trois agressions violentes dont ont été victimes trois personnages (deux hommes, une femme), dont la suite nous apprendra qu’ils sont membres du très secret comité de lecture d’Au Bon roman. Dernières manifestations d’une hostilité active dont, peu après l’ouverture, la librairie et ses animateurs ont été, dans la vie et sur la toile, les victimes.
Entamé comme un allègre thriller, poursuivi par un long flash back qui retrace pour un enquêteur qui est aussi un lecteur la genèse de la librairie, et clos par une coda ouverte, le roman est truffé de clins d’œil (Van, c’est l’Ada de Nabokov), non seulement à l’univers romanesque, mais, entre autres, à celui de la presse. Objet d’une violente campagne d’attaques, la librairie doit faire face à un article fielleux du Ponte (directeur M. Tourterelli ^^), puis du Bigaro, sans parler de L’Idée , du Poing ou de La Turbine… c’est tellement transparent que c’en est presque lourd, mais ça fait sourire.

Curieusement, je n’ai pas forcément retrouvé, dans les romans ou les auteurs égrenés au fil des pages, mes favoris. Rien de Riel, par exemple, sans lequel il n’est pas de vie heureuse, ni de mention de Roberto Masala, dont le mince roman ici chroniqué (Ceux d’Arasolé), est selon moi une sobre merveille, et tant d’autres. Inversement, j’y ai rencontré des noms (Christian Gailly, Roberto Bolaño, Cabanis) d’auteurs que je ne lis pas – encore – et des titres que n’a jamais rencontrés mon regard (L’Ouverture des Bras de l’homme, Le Confortable Désespoir des femmes, Terminal Cargo /Frigo ?). Tout de même un éloge de Marcel Aymé, découvert et méthodiquement dévoré par Oscar, l’un des libraires, m’est allé droit au cœur. Mais il ne s’agit pas de toutes façons de constituer une bibliothèque idéale « normative ». Au Bon Roman, les lecteurs aussi peuvent signaler leurs livres aimés s’ils sont manquants. Au Bon Roman est un lieu de rencontre, où l’on s’attarde, où l’on bavarde, où l’on dévore… quelque chose, en plus vaste, plus clair, et avec des divans ! comme ma librairie amiénoise de Pages d’Encre, où libraires et clients sont des lecteurs, et où l’on discute – ferme parfois – bouquins. Dont on repart rarement les mains vides. Comme jusqu’alors j’ai toujours trouvé dans les villes où j’ai vécu. Comme je n’imagine pas qu’un jour on ne puisse plus en trouver – au sortir du marché, c’est le meilleur endroit, le meilleur moment. L’éblouissement des légumes des fruits des fleurs, les parfums des fromages des poissons des épices, titillent une gourmandise qui s’accorde consubstantiellement avec celle des livres.

Au Bon roman, n’est pas forcément un « grand » roman. Mais c’est un roman fraternel. Un roman bien écrit si cela veut dire quelque chose, dont je ne suis pas sortie affamée de syntaxe un peu complexe. Un roman de conteuse, un roman de partage pour lecteurs impénitents, un roman-pont, -rêve, -conversation. Un roman dont la littérature est un personnage et dont les personnages, attachants, sont tissés de littérature. Un lieu imaginaire où l’on se retrouve, en attendant qu’ouvre la librairie.

C’est chez Gallimard, en collection blanche, et c'est Paul, libraire à Paris, qui me l’a offert. Merci.

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