Balzac - Les Comédiens sans le savoir

Galerie de personnages, sorte de farandole ou de diorama à pied ou en « citadine » dans Paris, où par l’intermédiaire de Léon de Lora et de Bixiou, Balzac « fait poser » quelques personnages de sa Comédie devant – et avec - le provincial Gazonal, un cousin naïf et méridional (les trois riment) du peintre. Lequel cousin - Sylvestre-Palafox-Castel tout de même … - est en passe de perdre contre l’administration un procès, qui risque de les mettre, lui et sa fabrique de tissus, sur la paille. Les retrouvailles providentielles avec le cousin arrivé (à « trente-neuf ans, il a vingt mille francs de rentes, ses toiles sont payées au poids de l'or », et surtout il connaît tout Paris, et le « Tout-Paris » de La Comédie Humaine ), vont le tirer d’affaire. Maîtres de cérémonie-metteurs en scène de cette suite de tableaux parisiens : un paysagiste pour l’ampleur et la perspective, un caricaturiste pour la charge, à laquelle n’échappe pas l’hôte-et-néanmoins-victime en « habit bleu-barbeau à boutons dorés, chemise à jabot, gilet blanc et gants jaunes ».


Le héros par Bertall, sur l'inépuisable site de la Maison de Balzac

Auparavant, celui-ci aura connu une sorte d’apprentissage express, deux jours durant, du boulevard des Italiens au Palais de Justice et à l’alcôve de Jenny Cadine. On croise mesdames Nourrisson, marchande à la toilette et « cousine germaine de la mort » et Fontaine, tireuse de cartes et « femme oubliée de la mort », flanquée de sa poule noire et de son crapaud Astaroth, le portier prêteur-sur-gages et bon enfant Ravenouillet et l’usurier Vauvinet, mais on retrouve aussi Maxime de Trailles, en compagnie de Léon Giraud et de Canalis (le centre, la gauche, la droite) à la « Chambre des Députés, de ce côté du pont de la Concorde qui mène à la discorde », et surtout un homme « jeune encore, quoiqu'il eût quarante-huit ans », vêtu de noir, qui a « trois cent mille livres de rentes, est pair de France, que le roi a fait comte ». « C’est le gendre de Nucingen, et c'est un des deux ou trois hommes d'Etat enfantés par la révolution de juillet » ; - Rastignac évidemment, échappé d’une séance et qui s’offre ici une petite tranche de rigolade avec ses vieux amis artistes.

Mme Nourisson, par le même, même source

Autrement dit, Balzac publie en 45 une nouvelle qui se déroule en 45 – le temps de l’histoire a rejoint le temps de l’Histoire et de l’écriture – et où il offre à ses personnages le luxe de jouer dans le gouvernement réel leur rôle politique imaginaire, en pleine expansion du chemin de fer, objet des dernières spéculations de Nucingen ou de du Tillet - en même temps qu’il offre à son lecteur une rétrospective de la vie de quelques-uns des personnages essentiels, comme celle de Claude Vignon, ex-amant de Camille Maupin, devenu Professeur en Sorbonne, Maître des Requêtes et porteur d’un « chapeau juste-milieu ». Le procédé a quelque chose de fastidieux (texte à ne pas lire, comme je l’ai fait, à l’heure du coucher), mais il est sauvé par l’art du portrait, types – le rat, la marcheuse, l’usurier – et individus, dont quelques-uns impayables, tels l’invraisemblable Publicola Masson, pédicure saint-simonien, doté d’une figure à la Marat, « auteur d’un Traité de corporistique, qui fait les cors par abonnement » ( ! ) et qui, tout en soignant les pieds de Lora, envisage tranquillement la révolution à venir et l’usage rationnel de la guillotine, après Robespierre et Saint Just qui « ont été timides »…., ou encore, calembours inestimables, Vital, chapelier-visagiste dirait-on aujourd’hui, « homme de génie au premier chef »^^, détracteur de l’inepte tuyau de poêle, et que Lora désigne comme « heureux à la façon de Luther », puisqu’il rêve « une Réforme ».

Somme toute, et malgré la transcription prétendue de l’accent méridional de Gazonal (parce qu’il se fait tondre ?), encore pire si c’est possible que celle de l’accent alsacien de Nucingen, la promenade est divertissante, et l’on veut bien reconnaître avec le héros, « la majesté de la Capitale – et du Capital », et le plaisir de nous être, comme lui, laissés amuser par une histoire au demeurant presque uniquement descriptive et dépourvue de toute action. Pour l’amour du portrait-charge, du calembour, et la gaîté de la « blague ».

Voilà que je m'avise en parcourant la fin de Splendeurs et Misères des Courtisanes que Madame Nourrisson n'est autre que Jacqueline Collin, la tante et femme de confiance de Vautrin, je l'avais oublié !

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