Le plus illustre des commis voyageurs

Il s’appelle Gaudissart. Son nom, c’est explicite dans le texte, évoque le plaisir :

Calembours, gros rire, figure monacale, teint de cordelier, enveloppe rabelaisienne ; vêtement, corps, esprit, figure s'accordaient pour mettre de la gaudisserie, de la gaudriole en toute sa personne. Rond en affaires, bon homme, rigoleur, vous eussiez reconnu en lui l'homme aimable de la grisette, qui grimpe avec élégance sur l'impériale d'une voiture, donne la main à la dame embarrassée pour descendre du coupé, plaisante en voyant le foulard du postillon, et lui vend un chapeau ….

J’arrête-là le portrait, qui est tout du long aussi vif et savoureux. Littré vous apprendra que la « gaudisserie, s. f, est un terme familier. Action de se gaudir ; mots plaisants », que l’on trouve, entre autres, chez Amyot, associé à l’ivrognerie. Voilà donc un homme que peint son nom, et ajoutez à cela que son prénom est Félix. C’est un « type individualisé », selon le projet balzacien, c’est-à-dire qu’après une présentation théorique de ce commis des temps nouveaux, Balzac passe à celle du jovial personnage, doté d’un « ventre protubérant » (qui) « affectait la forme d’une poire », comme il convient à un homme de la Monarchie de Juillet. Il est l’amant en titre de Jenny Coudun, « femme libre», dont « la fidélité quand même » est l’une des très saint-simoniennes vertus, et à laquelle il adresse des lettres de campagne qui pour être vaniteuses n’en sont pas moins divertissantes, car à l’écrit comme à l’oral, l’homme est plein de bagout.

Il est passé avec succès du colportage à l’ancienne à la représentation de biens plus ou moins imaginaires comme des assurances sur le talent ou des abonnements. Il a donc quitté Paris pour accomplir en province les débuts de sa fortune en y vendant, outre les susdites assurances, des abonnements pour Le Globe, journal saint-simonien ! pour Le Mouvement, journal républicain, et grande nouveauté, pour le Journal des Enfants (où publia, dans la réalité, Laure de Surville, la sœur chérie de Balzac), non sans y ajouter quelques-uns des « articles Paris », qui ont fait sa gloire, comme des « châles de cachemire Ternaux » (162 « placés » à Orléans !).

Mais voilà que l’illustre et hilare Gaudissart est parvenu dans le berceau de la France, à Vouvray fameuse par ses vins et son goût de la gouaille, et qu’alors qu’il va à la rencontre de monsieur Vernier au nom trompeur - car il ne l’est certes pas, niais, que l’on me pardonne ;-( - dans sa gaie salle à manger, il ignore « que dans les joyeuses vallées de Vouvray périrait son infaillibilité commerciale ». Splendide idée de canular que d’envoyer Gaudissart, colporteur en camelotes chimériques à Margaritis, le fou de la Vallée Coquette dont l’obsession est de vendre chaque été ses deux poinçons de vin imaginaire. La rencontre et ses conséquences valent au lecteur quelques pages allègrement dialoguées, source savoureuse de gaudisseries « vouvrillonnesques ».

Bonne fille, Vouvray a immortalisé Gaudissart : son buste y trône rue Victor Hugo - enfin nettoyé de la lèpre et des excréments qui le souillaient - grâce à l’activité de Bernard Cassaigne, son généreux bibliothécaire, dont j’ai déjà évoqué ici le petit journal « Les Liserons », présent inattendu de Noël 2008. Il y publiait à chaque nouveau numéro une photo enregistrant la dégradation croissante du personnage. Il a eu gain de cause.

Gaudissart restauré et fleuri, sur le site Lire à Vouvray

J’ai relu cette histoire dans un petit tiré à part de l'édition Furne, 1843, édité par la Bibliothèque municipale de Vouvray lors du Livre en fête de 2006, sur le thème d’ « Un homme, une ville », nouveau présent de ma boîte aux lettres. Merci Bernard. Depuis l'été dernier, la bibliothèque a ouvert son propre site, (un intéressant article sur la chanson à boire composée par Lucien veillant Coralie morte, aujourd’hui), où l’on trouve, entre autres liens, les « Miscellanées » de la bibliothèque de Lisieux, une mine pour l’amateur de curiosités littéraires http://www.miscellanees.com.

Bref, Vouvray est un lieu qui vaut le détour, touristique, œnologique, électronique ou romanesque. Ne serait-ce que pour vous offrir, un jour de loisir, cette délectable tranche de littérature, non plus de colportage, mais de colporteur.

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