Anthony Trollope - Miss Mackenzie

Je n’avais croisé Anthony Trollope – Trollope tout court, d’ailleurs – qu’au détour de La Reine des lectrices , parmi les lectures de la reine. Nom enregistré dans un coin de mémoire, en attendant. Or samedi, Une Femme fuyant l’annonce, pavé envisagé comme lecture de vacances, avait déjà été emprunté à la bibliothèque et j’avais si peu d’idée de ce que je pourrais lire que j’ai entrepris de me balader dans les rayons, attendant de cueillir, à l’inspiration, le titre ou le nom d’auteur qui me ferait signe. Tant de titres et tant d’auteurs dont j’ignore tout ! Et voilà que Trollope. Pourquoi pas ?
Miss Mackenzie
, chez Autrement/Littératures – 2008 – collection bien intéressante et bien laide, texte imprimé sur du papier recyclé semble-t-il, pas désagréable au toucher et reposant à l’œil, mais la couverture coupée en deux entre photo d’illustration, en bas – assez dissuasive même si elle donne une idée du personnage éponyme – la moitié supérieure blanc glacé avec titre, auteur et nature de l’œuvre, et le petit cartouche rouge vif en haut à gauche, qui jure. Bref, nouvel exemple de l’inventivité très relative d’une certaine édition française en matière de jaquette, mais je fais confiance à l’éditeur.

Aussitôt emprunté, aussitôt entamé, avec, très vite, ce sentiment d’allégresse qui me saisit en entrant dans un roman selon mon cœur. Style alerte, situation du contexte familial, social, économique de l’héroïne expédiée avec vivacité pour ne pas ennuyer le lecteur – au prix peut-être de quelque confusion entre les différents Mackenzie, Ball, Johns et Jonathans entre lesquels se joue l’intrigue, mais on les resitue très vite en les voyant surgir, à leur moment. Nombreuses et savoureuses incursions enjouées de l’auteur : adresses au lecteur, clins d’œil amusés, analyses psychologiques, jugements de moraliste… et l’histoire romanesque et charmante d’une vieille fille (36 ans au début du roman), sorte d’Agnès totalement ignorante des us du monde, soudain révélée à la vie à cet âge déjà respectable en touchant un coquet héritage, et par la même occasion, quatre soupirants.

« Margaret Mackenzie avait par la force des choses mené une vie très retirée. Elle n’avait aucune amie à qui elle aurait pu confier ses pensées et ses sentiments. Aucun être vivant, je crois, ne savait qu’il existait dans Arundel Street, dans cette petite chambre qui donnait sur la cour, plusieurs rames de papier où Margaret avait consigné ses pensées et ses sentiments, des poèmes par centaines qui n’avaient rencontré d’autre regard que le sien, des mots d’amour audacieux dans des lettres qu’elle n’avait jamais envoyées, qu’elle n’avait jamais eu l’intention d’envoyer à personne. De fait, ces lettres commençaient sans destinataire et se terminaient sans signature. (…) Il s’agissait plutôt d’essais, par lesquels elle se prouvait à elle-même de quoi elle serait capable si le hasard voulait bien lui permettre un jour d’aimer. Nul n’avait deviné tout cela, nul n’avait songé à accuser Margaret d’avoir un esprit romanesque

Sorte de contrepoint anglais, piquant, à la triste histoire de Rose Cormon, la Vieille Fille de Balzac. Ici, c’est entre Londres et « Littlebath » que se déroule l’histoire, entre le morne milieu des boutiquiers – pardon, des « grossistes » - en toile cirée, vil métier s’il en est, et la « splendeur » très gourmée du salon évangéliste de « Sainte Stumfolda » et du Parangon ^^ de Littlebath (variante bon marché semble-t-il du Royal Crescent de Bath : « Si elles ne sont pas en pierre, ces maisons sont construites en un stuc tel que les Margaret Mackenzie de ce monde ne voient pas la différence. ») Entre une demeure décatie mais aristocratique de Twickenham et une pension miteuse des alentours de la Tamise.

Les prétendants : il y a eu Mr Handcock, le plus persévérant, mis sur la touche au début du roman  pour cause d’épaisseur physique et d’absolue absence  de tout sens romanesque, il y a désormais Mr Samuel Rubb, Rubb Jr, de Rubb et Mackenzie, avec sa prestance, sa faconde, sa force de conviction, sa filouterie… et ses gants jaunes. Il y a le prêcheur Maguire, beau parleur insinuant défiguré par un terrifiant strabisme (divergent ? convergent ?) de l’œil droit, il y a enfin John Ball, le cousin ruiné par le testament qui a fait la fortune des Mackenzie, triste veuf quasi quinquagénaire couronné de neuf enfants et d’une terrible mère, mais baronnet en puissance.

C’est un roman d’apprentissage, dont le testament est la clé de voûte. Avec emprunts, intérêts, hypothèques, notaires (Mr Slow et Mr Patience ^^). Avec entourloupes, procès, rebondissements, filouteries diverses et assauts de désintéressement. Avec, déjà !, une campagne de presse de caniveau, où l’on voit que les racines du phénomène sont anciennes, outre-Manche. L’intrigue est menée tambour battant, les fils se tissent et se nouent avec rigueur sinon toujours avec une absolue vraisemblance (le second procès me laisse quelque peu sceptique) ; et le lecteur (la lectrice) vibre et tergiverse au fil des rebondissements et des incertitudes, des intermittences du cœur de Margaret Mackenzie, vieille fille, enjeu économique, poétesse et diariste ignorée de tous, belle et généreuse figure de femme libre, malgré ses ridicules et au-delà de sa soif de mariage.

Trollope, auteur d’une œuvre abondante et quasi pas traduite en français – qu’attend-on ??? – se définissait, nous dit la préface de Jacques Roubaud, comme un artisan, un « cordonnier », ou, ce serait plus juste, un bottier, peu soucieux d’inspiration mais inlassablement attaché, jour après jour et contre vents et marées, à sa table de travail. Il a réussi. Ce roman est de la belle ouvrage. Plus d’un siècle après la mort de son auteur, un roman accessible d’emblée, efficace, intelligent, amusant  (les noms des personnages ! Mr Startup et Mr Frigidy, Mrs Fleebody, Mrs Perch*….). Du travail bien fait, construction, invention, style, sens des personnages, sens de l’ellipse, de la polyphonie et des inclusions en tout genre. L’assise ferme, résolue, modeste, d’un roman anglais proche de Jane Austen et de Dickens comme du roman anglais d’aujourd’hui. Tout ce dont nous avons, semble-t-il, de ce côté-ci de la Manche, totalement perdu le sens. Et il y a un site Trollope ! je le découvre en cherchant Littlebath : le voici. On y trouve quarante-six titres de romans, sans parler du reste de l’œuvre, au moins aussi abondant, parmi lequel une Autobiographie où l’on lit, à propos de Miss Mackenzie, ceci :

“written with a desire to prove that a novel may be produced without love.... In order that I might be strong in my purpose, I took for my heroine a very unattractive old maid, who was overwhelmed with money troubles; but even she was in love before the end of the book, and (…).” – Autobiography

« écrit avec le désir de prouver qu’un roman peut être conçu sans amour.... pour assurer mon dessein, j’ai pris pour héroïne une vieille fille très peu attirante, submergée par des problèmes d’argent. Et pourtant, elle est tombée amoureuse avant la fin du livre, et … ».

J’ai coupé la fin de la phrase, pour ne pas vous dévoiler la fin du roman, que je m’en vais rapporter dès demain à la bibliothèque - pour vous, lecteurs à venir...

* En vérité, cela ne m'avait pas effleurée, mais j'ai lu quelque part (sur un site anglais ?) que ces noms étaient bien plus qu'amusants... Mr Handcock et Mr Ball(s), pour les soupirants d'une vieille fille!... Sans parler de Mr Startup. La littérature victorienne a de ces surprises...

 

 

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