Trollope - Phinéas Finn, et après "pouce!"

Et voilà. Troisième volume de la série des Palliser novels (seulement ?), je viens de finir Phinéas Finn, lecture volée sur quelques nuits de sommeil. Parce que c’est encore un sacré pavé. Et celui-là, carrément politique. Sur les cinq ou six années de la carrière du jeune "cygne" irlandais Phinéas Finn, il s’agit des luttes intestines entre les whigs et les tories (depuis que je lis Trollope, je SAIS que ce sont les tories les conservateurs, et non les whigs, malgré leur nom de perruques. Je sais aussi que les whigs en question sont une frange de l’aristocratie tout ce qu’il y a de plus aristocratique - leur plus illustre représentant est Plantagenêt Palliser -, et que ces distinctions n’ont donc rien à voir avec une quelconque perspective fût-ce sub-marxiste de la vie sociale. Comme quoi, il aurait suffi lorsque je faisais mes études, il y a bien longtemps, de quelques extraits judicieusement choisis pour lever toute ambiguïté. De l’utilité de la littérature romanesque. Mais quel élève aujourd’hui apprend quoi que ce soit des spécificités de la culture du pays dont il apprend la langue ? Plutôt le ressassement inlassable et épuisant des similitudes les plus triviales du comportement adolescent, et des tartes à la crème idéologiques du moment : développement durable, racisme, violence, traitées sur le mode le plus creux, le moins historique et le plus consensuel possible. Mais je m’égare.)

Phinéas donc. Arrivé à Londres pour y poursuivre son droit chez Mr et Mrs Low, des gens pleins de bon sens, tories au demeurant, qui l’accueillent sinon comme un fils, du moins comme un très cher neveu, et ne voient pas du tout d’un bon œil qu’il soit en son jeune âge entraîné dans le tourbillon de la vie politique. Le voici, avec une veine insolente, élu député de son coin d’Irlande quasi sans coup férir ni débourser grand-chose, grâce au soutien inespéré du lord local, patient de Mr Finn père, un médecin de famille en charge, outre son cygne de fils, de sept filles, dont la jeune Barbara – la seule, en tant qu’amie de la douce Mary Flood-Jones, à émerger comme individu(e) de la masse bourdonnante des femmes Finn.

Phinéas est grand et beau. Un jeune homme brun aux yeux bleus de six pieds de haut ; il a de l’aisance et de l’éducation, et le souci de se comporter en gentleman. Il a surtout une sorte de souplesse humaine sans aspérités qui le fait s’adapter aux êtres et aux situations avec une bonne grâce presque inaltérable, quelles que soient les circonstances.

Entré dans la vie mondaine et politique avec une certaine candeur, il acquiert sous la conduite de la jeune lady Laura Standish, son mentor auto-proclamé, ce qu’il faut de manières et de duplicité pour aller son chemin dans les salons comme au Parlement. Phinéas est ambitieux, mais jamais au point d’en perdre la tête ni sa dignité, même lorsqu’il est obligé, à cause de son absence de fortune, de spéculer sur un beau mariage : des quatre femmes qui gravitent autour de lui, il est, à des degrés divers, simultanément ou successivement amoureux, et ce, avec sincérité. Il y a donc la jeune irlandaise Mary Flood-Jones, qu’il a embrassée avant de partir pour Londres, et qui lui garde fidèlement son cœur, il y a lady Laura, intelligente, sensée, sensible, mais ruinée par les frasques de son frère, le bouillant lord Chiltern, il y a Violet Effingham, riche, gracieuse, piquante héritière, aimée depuis l’enfance par lord Chiltern justement, et enfin il y a la belle, mystérieuse, indépendante, exotique ? Mrs Max Goesler, qui éveille les passions et dispose d’une immense fortune. Enfin Phinéas a de la chance, tout simplement, et cette chance même lui attire les faveurs des hommes et des femmes.

Pauvre lady Laura. Femme de cœur et de tête, fine politique, mariée par raison à Mr Robert Kennedy, richissime gentleman écossais, membre du parlement. Gentleman, croyait-elle, qui se révèle à la pratique d’un insupportable despotisme doublé de bigoterie, pourquoi s’est-il épris d’une femme indépendante ? Le voilà réclamant par voie de justice de pouvoir jouir de son bien, c’est-à-dire de ses droits de mari sur sa femme, qui l’a quitté pour revenir chez son père. Si les choses ne sont pas dites crument, il est aisé de comprendre que ce qui crucifie Laura, outre la vie trop morne et trop soumise qu’il lui fait mener, n’est pas autre chose qu’une horreur physique. Gare, mesdemoiselles, aux mariages de raison quand la raison va contre les sentiments et le désir. Ne préjugez pas de vos forces ; il y a dans la relation entre Laura et son mari quelque chose de celle de Sue avec son mari Phillotson dans Jude l’obscur.

Mon préféré, c’est l’incontrôlable lord Chiltern, Oswald de son prénom. Sorte de bête fauve (il est d’un roux incandescent) auréolé de fureur, de passion de vivre et d’aimer. Le voici à son entrée dans le roman : « A ce moment, la porte de la pièce s’ouvrit à toute volée, un homme entra à pas rapides, avança de quelques mètres, puis battit en retraite en claquant la porte derrière lui. C’était un homme aux cheveux roux, drus et coupés court, et une abondance de barbe très rousse. Et son visage aussi était roux – de même, sembla-t-il à Phinéas, que ses yeux. L’aspect du bonhomme avait quelque chose de presque effrayant – quelque chose approchant de la férocité. »  Ami fidèle autant qu’il est fidèle amant, il est dans la formation de Phinéas le versant viril le plus sincère et le plus éloigné du monde politique, avec qui éprouver les limites, les souffrances et les joies d’une amitié virile, par-delà même la rivalité amoureuse.
Phinéas Finn est en somme, plutôt qu’un Rastignac irlandais, une sorte de Bel-Ami-qui-serait-un-gentleman, dans un univers essentiellement aristocratique, avec en outre tout le détail de la réforme électorale dont l’Angleterre a été le théâtre dans les années 66-67, comme l’explique l’addendum final.

C’est mon dixième Trollope. Pour la série des Palliser, il m’en reste trois : Phineas Redux - traduit autrefois sous le titre Les Antichambres de Westminster -, Le Premier ministre et Les Enfants du duc. Problème : je crains fort que les deux premiers ne soient pas à la bibliothèque, quant au troisième, je ne suis même pas sûre qu’il soit traduit. COMMENT FAIRE ??? Si ça se trouve, je vais devoir les lire en anglais, mais ça risque de me prendre beaucoup plus de temps, et je ne sais même pas quand j’en disposerai. J’ai hâte pourtant de connaître la suite des aventures de Phinéas et de ses ami(e)s. Wait and see, et au cas où, je me referai une petite piqûre de Balzac ?

 

 

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