Louis Janmot, Poème de l'âme (1881), « Rayons de soleil».


Cours d'histoire littéraire : littérature du XIXe siècle / Cours sur le genre poétique

L'oeuvre au programme, dans l'édition demandée :

Gérard de NERVAL, Les Filles du feu, Les Chimères et autres textes, éd. Le Livre de Poche, coll. « Les Classiques de Poche ». Edition de Michel Brix. ISBN : 978-2253096320.

Deux citations, pour servir d'épigraphes à ce cours :

« (...) J’ai fait les premiers vers par enthousiasme de jeunesse, les seconds par amour, les derniers par désespoir. La Muse est entrée dans mon cœur comme une déesse aux paroles dorées ; elle s’en est échappée comme une pythie en jetant des cris de douleur.» Nerval, Petits châteaux de Bohême, « À un ami», p. 55.

« (Mes sonnets) ne sont guère plus obscurs que la métaphysique d’Hégel ou les Mémorables de Swedenborg (…). » Nerval, Les Filles du Feu, « À Alexandre Dumas », p. 128.


Nous étudierons avant tout le recueil poétique intitulé Les Chimères, 1854 (p. 365-372). Il sera d'abord situé par rapport à deux autres grands livres poétiques de la même époque, Les Contemplations (1856), de Victor Hugo, et Les Fleurs du Mal (1857), de Charles Baudelaire. Les problématiques croisées de la « voyance poétique » (que Rimbaud n'a pas inventée) et de « l'hermétisme » nourriront notre réflexion sur ces poèmes difficiles, dont Nerval affirme lui-même, dans la préface aux Filles du feu, qu'ils « perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible... » (p. 128). Nous ne pourrons évidemment pas nous contenter de la fascination que cette oeuvre peut exercer sur nous, et nous chercherons au moins à comprendre. Mais il nous faut entendre ce que dit Nerval : sa poésie, composée « dans cet état de rêverie supernaturaliste » (p. 128), relève du sortilège ou de l'oracle ; c'est une parole qui charme, et il serait bon, dans un premier temps, de succomber à ce charme par des lectures répétitives et rêveuses (1), sans avoir recours aux notes de bas de page, qui auront, plus tard, leur utilité. Enfin, il faudrait avoir lu l'intégralité des Filles du feu, oeuvre nécessaire à la compréhension de la poétique nervalienne. En consultant le billet du 1er mars 2015, vous trouverez, sur ce blogue, une page entièrement consacrée à Gérard de Nerval et les chansons du Valois.

(1) Soyez des « rêveur(s) de mots», selon la belle expression de Bachelard ! cf. G. Bachelard, La Poétique de la rêverie, PUF, 1960, p. 15.


TRAVAUX : les références renvoient à l’édition suivante : Gérard de NERVAL, Les Filles du feu, Les Chimères et autres textes, éd. Le Livre de Poche, coll. « Les Classiques de Poche ». Edition de Michel Brix, p. 365-372.

Le programme de travail qui suit se contente d’indiquer les grandes lignes du cours et les principales préparations données aux élèves. Tous les textes proposés ci-dessous doivent être lus et médités dans la perspective de l’exercice indiqué.

1. Lectures préalables pour orienter la réflexion (voir aussi infra les « références bibliographiques ») : de Gérard de Nerval, il faudrait avoir lu au moins, dans votre édition, la nouvelle des Filles du Feu intitulée « Sylvie » et quelques pages des Petits Châteaux de Bohême, ainsi que des Promenades et souvenirs. Les courageux peuvent tenter une incursion dans Aurélia – œuvre qui fait l’épreuve de la folie - et se demander si ce récit correspond à la définition que donne Charles Nodier en 1835 du « livre excentrique » : «J’entends ici par un livre excentrique un livre qui est fait hors de toutes les règles communes de la composition et du style, et dont il est impossible ou très difficile de deviner le but, quand il est arrivé par hasard que l’auteur eût un but en l’écrivant. » Bibliographie des fous, dans L’Amateur de livres, édition présentée par Jean-Luc Steinmetz, Le Castor Astral, 1993, p. 63. Si cette définition n’apparaît pas pertinente pour Les Chimères, dont la « forme » (le sonnet) et le « style » poétique qui en découle sont connus et maîtrisés, elle nourrira cependant notre réflexion sur les rapports légendaires voire mythiques qu’entretiennent la littérature et la folie dans le romantisme européen (nous aurons donc à nous poser la question du sens de l’œuvre : est-elle «sensée», et donc peut-elle être « comprise », interprétée ?). Ceux que cela intéresse pourraient se charger d’un exposé sur le poète allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843) et le poète anglais John Clare (1793-1864). Sur ce thème, pensez aux Romantiques allemands, qui ont mis au premier plan – comme Nerval - le rêve et la folie dans leurs œuvres; songez à Lenz (1835), de Georg Büchner, à Stello (1832), de Vigny, aux Mémoires d’un fou (1838), du jeune Flaubert, à Baudelaire, dans ses Petits poèmes en prose (1869), en particulier « Le Fou et la Vénus » ; il faudrait aussi mentionner celui qui exerça une grande influence sur l’auteur des Fleurs du Mal, Edgar Allan Poe… Cela ne doit toutefois pas nous empêcher de considérer attentivement, par l’étude des textes, le travail poétique de Nerval, « lucide », selon Baudelaire, et «méticuleux », selon le critique Albert Béguin. Après avoir successivement étudié l’énonciation romanesque et l’énonciation dramatique, il nous reste à nous intéresser à l’énonciation lyrique. Nous serons ainsi amenés à distinguer ce que la critique littéraire nomme le « sujet biographique » et le « sujet poétique ». La question de l’identité se pose en effet au plus haut point avec l’auteur des Chimères. Enfin, cette dernière œuvre nous donnera l’occasion de réfléchir d’un point de vue critique, en cette fin d’année, sur le sens de l’œuvre littéraire, aussi bien pour l’auteur que pour le lecteur. C’est à cette fin que figurent dans notre programme les leçons de deux théoriciens et penseurs de la littérature : Roland Barthes et Antoine Compagnon. Pour chacune de ces leçons, des pages précises vous seront données à lire et à méditer et, faute de temps, c’est surtout Antoine Compagnon qui retiendra notre attention, la question qu’il pose – La Littérature, pour quoi faire ? – étant au centre de nos préoccupations (Barthes sera convoqué pour quelques notions utiles, que nous tâcherons de cerner au mieux : « discours», «pratique d’écrire », « sémiosis » et «sapientia»).

2. Recherches (1) : Quelques recherches sur le « romantisme français » en particulier, et le romantisme européen en général s’imposent : comment caractériser le romantisme français, en précisant les influences qui l’ont constitué et le réseau d’œuvres littéraires et artistiques qui l’ont illustré ? Sans vous perdre dans l’abondance de la documentation, appuyez-vous en premier lieu sur des œuvres connues de vous pour répondre à cette délicate question, en choisissant au moins un roman, un recueil de poèmes, une œuvre dramatique et un essai, dont vous préciserez le contenu et définirez la portée. Cf. ressources du blogue des Lettres, indiquées ci-dessous.

3. Recherches (2) sur Gérard de Nerval (1808-1855) : sa vie, ses contemporains, ses familiers par affinité (notamment Victor Hugo et Théophile Gautier). Il convient de comprendre en quoi consiste d’abord son métier d’écrivain et de traducteur, et comment il se situe dans le romantisme français. Il a fréquenté les cénacles romantiques (notion de «cénacle » à cerner), où se réunissaient des grands, comme Alfred de Vigny, Charles Nodier, Alfred de Musset Alexandre Dumas et Balzac, mais aussi ceux que l’on a nommé des «petits romantiques », comme Pétrus Borel, par exemple. Vous trouverez de nombreuses informations dans votre édition : a) « Introduction », p. 7-51 ; b) « Chronologie », p. 459-463. Consultez également les deux documents audiovisuels proposés sur « Le Blogue des Lettres en Hypokhâgne », billet du 4 mai 2020 : a) Portrait de Gérard de Nerval ; b) Conférence de Jacques Bony sur le sens de la folie dans l’œuvre de notre auteur.

4. Synthèse 1. Les Chimères : le titre. Faites une recherche lexicale sur ce terme, « Chimère », dans plusieurs dictionnaires, dont le TLF et le Littré. Vous retiendrez que ce mot, et ce qu’il évoque, est au cœur du romantisme littéraire, pictural et musical (cf. notamment la Symphonie fantastique de Berlioz et son argument). On le retrouve chez Victor Hugo, qui en fait une analyse suggestive dans son Promontoire du songe (1863), et chez Baudelaire, dans son œuvre, et en particulier dans un poème en prose intitulé, «Chacun sa chimère ». Mais ces trois poètes romantiques (Hugo, Baudelaire et Nerval) ont un héritage commun, que chacun exploite bien évidemment de manière différente, celui de Jean-Jacques Rousseau, qui fait dire ceci à son héroïne, dans La Nouvelle Héloïse (1761) : « Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Être existant par lui-même il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas. » (Sixième partie, Lettre VIII). Compte tenu de ces indications – qui vous engagent à des lectures et à des recherches – et de ce que vous savez de l’œuvre de G. de Nerval, quel(s) sens donneriez-vous à ce titre ? Votre réponse doit consister en un développement argumenté (deux pages), étayé par des exemples précis.

5. Synthèse 2 et Explication de texte 1. La composition du recueil. La critique a relevé deux parties qui s’opposent, dans Les Chimères. Pouvez-vous dire lesquelles et justifier ce partage. Cette réflexion doit vous amener à regrouper des poèmes par « affinités », en précisant vos raisons. Comparez, en les expliquant, « El Desdichado » à « Vers dorés ». Quelles remarques cette comparaison vous inspire-t-elle ?

(...)

11. Quelques références bibliographiques : I. Lectures obligatoires : a) Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, « Gérard de Nerval », Folio, p. 148-160. b) Max Milner, Claude Pichois, Histoire de la Littérature française. – De Chateaubriand à Baudelaire, GF-Flammarion : 1) « Problématique du romantisme », p. 7-17 ; 2) « Nerval et Baudelaire », p.370-380. c) Dans votre anthologie : Littérature, 150 textes théoriques et critiques, vous devez lire en priorité les chapitres suivants : « Le Langage poétique » et « Le Poète, le Moi et le Monde ». Le reste sera abordé dans le cours GENRES / NOTIONS du vendredi. II. Références (principales) du cours : d) Albert Béguin, Gérard de Nerval, Paris, José Corti, 1945. e) Michel Brix et Claude Pichois, Gérard de Nerval, Paris, Fayard, 1995. f) Jacques Geninasca, Analyse structurale des Chimères de Nerval, éd. La Baconnière, coll. « Langages », 1986. g)Henri Meschonnic, « Essai sur la poétique de Nerval », dans Pour la poétique III, éd. Gallimard, coll. « Le Chemin », 1973, p. 15-53. h)Hisashi Mizuno, Jérôme Thélot, Quinze études sur Nerval et le romantisme, éd. Kimé, 2005. i) Dominique Rabaté et alii, Figures du sujet lyrique, éd. Presses Universitaires de France, coll. « Perspectives littéraires », 1996. j) Michel Collot, Sujet, monde et langage dans la poésie moderne, éd. Classiques Garnier, 2018.


Un portrait de Gérard de Nerval et une analyse de ses rapports avec le Romantisme, par le critique littéraire et historien de l'art Marcel Brion (1955)


Conférence de Jacques Bony, professeur de Littérature française et éminent spécialiste de Nerval (1996)


Le Romantisme sur ce blogue :



La Poésie sur ce blogue :

  • Textes poétiques :

- Arthur Rimbaud, «Barbare», extrait d'Illuminations, manuscrit autographe. (Bibliothèque nationale de France). Billet du 29 janvier 2013.

- Arthur Rimbaud, « Phrases » , extrait d'Illuminations, manuscrit autographe (extrait, 1re partie). (Bibliothèque nationale de France). Billet du 5 février 2013.

- Michel Leiris, extrait de Glossaire j’y serre mes gloses. Billet du 24 avril 2013.

- Victor Hugo, Les Contemplations (I, 27) : «Oui, je suis le rêveur; je suis le camarade...». Billet du 28 septembre 2013.

- Victor Hugo, Les Contemplations (V, 10) : «Aux Feuillantines». Billet du 23 janvier 2014.

- Gérard de Nerval et les paysages littéraires du Valois : extraits des Filles du Feu et de Promenades et souvenirs. Billet du 17 juillet 2014.

- L'Art poétique, de Jaufré Rudel à Olivier Cadiot, en passant par Boileau, La Fontaine et Guillevic. Billet du 20 avril 2015.

- Alfred de Musset, extrait de La Nuit de mai (1835). Billet du 23 avril 2015.

- Baudelaire, Les Fleurs du mal, «Le Gouffre». Billet du 19 décembre 2016.

- Raymond Queneau, «Pour un art poétique», Si tu t’imagines (« L’Instant fatal »), dans Œuvres complètes, I, «Bibliothèque de la Pléiade», Gallimard, 1989, p. 106. Billet du 2 octobre 2017.

- Bertrand Degott, Battant, éditions de La Table Ronde, coll. «L'Usage des jours» : «A J. B. Chassignet». Billet du 15 novembre 2018.



  • Textes critiques sur la poésie :

- André Dhôtel, sur Rimbaud et la révolte moderne . Billet du 23 janvier 2013.

- Maurice Blanchot, sur les Illuminations de Rimbaud. Billet du 30 janvier 2013.

- Gabriel Bounoure, sur Le Silence de Rimbaud. Billet du 5 février 2013.

- Victor Hugo, sur l'utilité du beau, dans ses Proses philosophiques. Billet du 25 septembre 2013.

- Saint-John Perse, sur la poésie, «pensée analogique et symbolique». Billet du 2 avril 2015.

- Yves Bonnefoy, sur John Keats (1795-1821) et son « Ode to a Nightingale ». Billet du 18 mars 2016.

- Baudelaire, sur l'art, la poésie et autres Curiosités esthétiques. Billet du 10 janvier 2017.


- Guillaume Apollinaire dit son poème « Le Pont Mirabeau », extrait d’Alcools (1913).

- Paul Valéry dit son poème « Poésie», extrait de Charmes (1922).

- Aragon dit son poème « Les Yeux d’Elsa», extrait de Les Yeux d’Elsa (1942).

- John Keats (1795-1821), « Ode to a Nightingale ». Poème dit par l'acteur Ben Whishaw, qui joue le rôle de Keats dans le film de Jane Campion, Bright Star (2009).


  • Émissions sur la poésie ou sur des poètes : biographies et lectures critiques (vidéos) :

- La poésie selon Mallarmé. Billet du 7 février 2013.

- Les Contemplations, de Victor Hugo : extrait d'une émission d'Éric Rohmer. Billet du 9 octobre 2013.

- Saint-John Perse : EXTRAIT DU DISCOURS PRONONCÉ POUR LA RÉCEPTION DU PRIX NOBEL EN 1960 : LA POÉSIE COMME MODE DE VIE INTÉGRALE. Billet du 2 avril 2015.

- CONFÉRENCE D'YVES BONNEFOY : « LA PAROLE POÉTIQUE » (2000). Billet du 23 avril 2015.

- Olivier Cadiot sur le processus d'écriture. Billet du 20 avril 2015.

- Guillevic ou l'épaisseur des choses. Billet du 1er mai 2015.

- Philippe Jaccottet : Entretien avec Alain Veinstein sur France Culture, le 12 février 2001, dans l'émission Surpris par la nuit. Billet du 11 avril 2016.

- Rimbaud en mille morceaux - 1er volet : Le Génie. Diffusion sur France Culture le 27 juillet 2015. Billet du 9 mai 2016.

- Sur Orphée, DU BELLAY (1522-1560), SPONDE (1557-1595), THEOPHILE DE VIAU (1590-1626), LAMARTINE (1790-1869), HUGO (1802-1885), BAUDELAIRE (1821-1867), APOLLINAIRE (1880-1918), PONGE (1899-1988), JACCOTTET (1925). Billet du 12 avril 2017.

- Sur René Char : biographie et étude critique : Jean Starobinski, « René Char et la définition du poème », Liberté, vol. 10, n° 4, 1968, p. 13-28. Billet du 22 mai 2017.

- Sur Chateaubriand. Billet du 20 octobre 2017.