L’ÎLE DES PEUPLIERS, EN ÉTÉ, À ERMENONVILLE. ON Y VOIT LE TOMBEAU DE ROUSSEAU (1712-1778), QUI N'EST PLUS QU'UN CÉNOTAPHE. © RAC
LES PAYSAGES LITTÉRAIRES DU VALOIS
«Je me plaisais tant dans cette ville (Senlis), où la renaissance, le moyen âge et l'époque romaine se retrouvent çà et là, - au détour d'une rue, dans une écurie, dans une cave. - Je vous parlais "de ces tours des Romains recouvertes de lierre!" - L'éternelle verdure dont elles sont vêtues fait honte à la nature inconstante de nos pays froids. - En Orient, les bois sont toujours verts; - chaque arbre a sa saison de mue; mais cette saison varie selon la nature de l'arbre. C'est ainsi que j'ai vu au Caire les sycomores perdre leurs feuilles en été. En revanche, ils étaient verts au mois de janvier.
Les allées qui entourent Senlis et qui remplacent les antiques fortifications romaines, - restaurées plus tard, par suite du long séjour des rois carlovingiens, - n'offrent plus aux regards que des feuilles rouillées d'ormes et de tilleuls. Cependant la vue est encore belle, aux alentours, par un beau coucher de soleil. - Les forêts de Chantilly, de Compiègne et d'Ermenonville; - les bois de Châalis et de Pont-Armé se dessinent avec leurs masses rougeâtres sur le vert clair des prairies qui les séparent. Des châteaux lointains élèvent encore leurs tours, - solidement bâties en pierres de Senlis, et qui, généralement, ne servent plus que de pigeonniers.
Les clochers aigus, hérissés de saillies régulières, qu'on appelle dans le pays des ossements (je ne sais pourquoi), retentissent encore de ce bruit de cloches qui portait une douce mélancolie dans l'âme de Rousseau...
Accomplissons le pèlerinage que nous nous sommes promis de faire, non pas près de ses cendres, qui reposent au Panthéon, - mais près de son tombeau, situé à Ermenonville, dans l'île dite des Peupliers.»
Gérard de Nerval, «Angélique», dans Les Filles du feu, 1854.
ROUSSEAU ET SA LÉGENDE : SON SÉJOUR ET SA MORT À ERMENONVILLE, L’ÎLE DES PEUPLIERS...
«Rousseau n'a séjourné que peu de temps à Ermenonville. S'il y a accepté un asile, c'est que depuis longtemps, dans les promenades qu'il faisait en partant de l'Ermitage de Montmorency, il avait reconnu que cette contrée présentait à un herborisateur des familles de plantes remarquables, dues à la variété des terrains.»
Gérard de Nerval, «Angélique», dans Les Filles du feu, 1854.
« Tout le monde sait que la dépouille mortelle de Jean-Jacques Rousseau fut déposée dans l’île des Peupliers, à Ermenonville, où M. de Girardin fit construire un tombeau. Le 11 octobre 1794, ses cendres furent enlevées de cet asile, pour être transférées au Panthéon, où l’on aurait dû se contenter de lui élever une statue. » V. D. Musset- Pathay, Histoire de la vie et des ouvrages de Jean-Jacques Rousseau , 1827, chez P. Dupont Librairie.
« Le samedi 4 juillet (1778), on embauma le corps, on l’enferma dans le cercueil, et, quand sonna minuit, on le porta dans l’île des Peupliers. Les paysans, torches en mains, éclairaient les rives de l’étang, tandis que la barque funèbre glissait lentement sur la moire silencieuse des eaux. Un petit monument, fait de sable et de chaux – un tombeau surmonté d’une urne – fut improvisé sur l’heure même, d’après le plan dressé par Girardin, qui, jusqu’à trois heures du matin, demeura pour veiller à l’exécution de son oeuvre. Ce tombeau provisoire fut remplacé un peu plus tard par un mausolée plus orné, dessiné par Hubert Robert.
L’étang d’Ermenonville et l’île des Peupliers devinrent, dès les premiers moments, un lieu de pèlerinage. Tous les plus grands seigneurs y accoururent apporter leur hommage. Louis XVI et Marie-Antoinette eux-mêmes y vinrent, le 14 juin 1780, et cette visite royale déchaîna un grand enthousiasme. Mais, si les mânes du philosophe furent fidèles aux principes que professait celui qui dormait dans la tombe, ces honneurs officiels durent moins lui plaire que le souvenir d’une vieille femme du village, jadis secourue par Rousseau, qui, chaque jour, son chapelet en main, se rendait au bord de l’étang et priait pour son bienfaiteur. « Pourquoi priez-vous pour M. Rousseau, qui n’était pas catholique ? lui demandait un indiscret. – Je n’en sais rien, répondit-elle. Tout ce que je sais, c’est qu’il m’a fait du bien. »
Et Jean-Jacques eût non moins goûté cette naïve et simple mention inscrite dans son livre de comptes par Nicolas Harlet, le bon magister du village : « Aujourd’hui, 2 juillet, est mort à Ermenonville, Jean-Jacques Rousseau, en son vivant grand philosophe. » Après quoi, il mentionne l’achat et le prix d’un lapin. »
Marquis de Ségur, de l’Académie française, Lectures pour tous, 1er décembre 1913.
«La tombe de Rousseau est restée telle qu'elle était, avec sa forme antique et simple, et les peupliers, effeuillés, accompagnent encore d'une manière pittoresque le monument, qui se reflète dans les eaux dormantes de l'étang. Seulement la barque qui y conduisait les visiteurs est aujourd'hui submergée... Les cygnes, je ne sais pourquoi, au lieu de nager gracieusement autour de l'île préfèrent se baigner dans un ruisseau d'eau bourbeuse, qui coule, dans un rebord, entre des saules aux branches rougeâtres, et qui aboutit à un lavoir, situé le long de la route. »
Gérard de Nerval, «Angélique», dans Les Filles du feu, 1854.
L'INFLUENCE DE ROUSSEAU SUR NERVAL (1808-1855)
«J'ai appris le style en écrivant des lettres de tendresse ou d'amitié, et, quand je relis celles qui ont été conservées, j'y retrouve fortement tracée l'empreinte de mes lectures d'alors, surtout de Diderot, de Rousseau et de Sénancourt. Ce que je viens de dire expliquera le sentiment dans lequel ont été écrites les pages suivantes. Je m'étais repris à aimer Saint-Germain par ces derniers beaux jours d'automne. Je m'établis à l'Ange Gardien, et, dans les intervalles de mes promenades, j'ai tracé quelques souvenirs que je n'ose intituler Mémoires, et qui seraient plutôt conçus selon le plan des promenades solitaires de Jean-Jacques. Je les terminerai dans le pays même où j'ai été élevé, et où il est mort.»
Gérard de Nerval, Promenades et souvenirs, 1854-1855.
La suite, en cours...