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François Gérard, Corinne au Cap Misène (1819-1821), Musée des Beaux-Arts de Lyon.


Miserere d'Allegri, interprété par le groupe A Sei Voci, avec ornementations baroques.

Sur le Miserere, lire le billet du 12 avril 2015.


Madame de STAËL, CORINNE OU L'ITALIE

Livre X : «La Semaine sainte»

La scène se passe dans la chapelle Sixtine...

«(...) en ce moment le miserere commença.

Les voix, parfaitement exercées à ce chant antique et pur, partent d’une tribune au commencement de la voûte ; on ne voit point ceux qui chantent ; la musique semble planer dans les airs ; à chaque instant la chute du jour rend la chapelle plus sombre : ce n’était plus cette musique voluptueuse et passionnée qu’Oswald et Corinne avaient entendue huit jours auparavant ; c’était une musique toute religieuse qui conseillait le renoncement à la terre. Corinne se jeta à genoux devant la grille et resta plongée dans la plus profonde méditation ; Oswald lui-même disparut à ses yeux. Il lui semblait que c’était dans un tel moment d’exaltation qu’on aimerait à mourir, si la séparation de l’âme avec le corps ne s’accomplissait point par la douleur ; si tout à coup un ange venait enlever sur ses ailes le sentiment et la pensée, étincelles divines qui retourneraient vers leur source : la mort ne serait pour ainsi dire alors qu’un acte spontané du cœur, qu’une prière plus ardente et mieux exaucée.

Le miserere, c’est-à-dire ayez pitié de nous, est un psaume composé de versets qui se chantent alternativement d’une manière très-différente. Tour à tour une musique céleste se fait entendre, et le verset suivant, dit en récitatif, est murmuré d’un ton sourd et presque rauque ; on dirait que c’est la réponse des caractères durs aux cœurs sensibles, que c’est le réel de la vie qui vient flétrir et repousser les vœux des âmes généreuses ; et quand ce chœur si doux reprend, on renaît à l’espérance ; mais lorsque le verset récité recommence, une sensation de froid saisit de nouveau, ce n’est pas la terreur qui la cause, mais le découragement de l’enthousiasme. Enfin le dernier morceau, plus noble et plus touchant encore que tous les autres, laisse au fond de l’âme une impression douce et pure : Dieu nous accorde cette même impression avant de mourir.

On éteint les flambeaux ; la nuit s’avance ; les figures des Prophètes et des Sibylles apparaissent comme des fantômes enveloppés du crépuscule. Le silence est profond, la parole ferait un mal insupportable dans cet état de l’âme où tout est intime et intérieur ; et quand le dernier son s’éteint, chacun s’en va lentement et sans bruit ; chacun semble craindre de rentrer dans les intérêts vulgaires de ce monde.»

Folio classique, éditions Gallimard, pages 266-267.


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- 4 mai et 8 décembre 2013

- 12 et 18 février, 1er et 11 mars 2015

- 7 janvier et 1er février 2016