La Bête de la terre : Enluminure du début 15e siècle, Belgique, Flandre, Parchemin, 25 feuillets, 840 x 240 mm. BnF, département des Manuscrits, Néerlandais 3, fol. 14.
Je vis ensuite surgir de la terre une autre Bête, portant deux cornes comme un agneau, mais parlant comme un Dragon. Au service de la première Bête, elle en établit partout l’empire, amenant la terre et ses habitants à adorer cette première Bête dont la plaie mortelle fut guérie.
Apocalypse XIII, 11
Avec ses deux cornes, la Bête de la terre paraît ressembler à l’Agneau, c’est-à-dire au Christ. Mais elle parle comme le Dragon. Elle symbolise les faux disciples du Christ qui suivent l’Antéchrist. Source : BnF.
Rappelons la raison principale pour laquelle il est nécessaire d'acquérir une culture biblique solide : mieux comprendre la littérature. Chaque exposé - qui porte sur une figure ou un thème bibliques - doit ainsi suivre le parcours suivant :
1) L’exposé ne dure pas plus de 12 minutes. 2) Il consiste à : a) définir et décrire le « mythe », préciser son origine, donner sa source ; b) montrer comment il est présent – au titre de l’intertextualité – dans une ou plusieurs œuvres importantes de la littérature française, d’abord, étrangère ensuite. Il s’agit d’expliquer comment l’écrivain s’est approprié ce mythe pour en faire un élément de signification symbolique dans son œuvre. 3) Les références aux autres arts (musique, peinture, sculpture, cinéma…) sont possibles, mais secondaires.
Pour un tel exercice, rappelons également que la Bible est moins considérée comme un texte sacré que comme une oeuvre littéraire : les figures bibliques sont ainsi étudiées comme des figures mythiques. Le mythe littéraire qui s'en dégage - et dont l'exploitation pourrait se rattacher aux investigations de la mythocritique (1), en littérature comparée - peut être appréhendé à partir d'une définition minimale du mythe, que propose utilement Yves Chevrel, dans la préface qu'il a donnée au recueil d'articles intitulé Figures bibliques, figures mythiques - ambiguïtés et réécritures, éditions Rue d'Ulm / Presses de l'École normale supérieure, 2002, p. X :
Le mythe est une configuration narrative : il s'agit d'une histoire, qui est racontée, ou qui est racontable, quelle que soit la forme adoptée (récit, poème, pièce de théâtre : vers et / ou prose). Enfin, le mythe est une configuration narrative symbolique : l'histoire racontée veut dire autre chose que ce qu'elle raconte, ce que les destinataires perçoivent souvent fort bien, et dont ils savent qu'ils peuvent, ou doivent, en faire l'application à eux-mêmes : De te fabula narratur... La puissance du mythe est telle qu'il suffit d'un nom pour que toute une série d'images et de scènes surgissent à son évocation, comme le signale l'article de Patrick Berthier consacré aux «Èves» de Balzac.
C'est cette disposition allégorique (cf. l'étymologie de ce terme) de la littérature que les étudiants doivent prendre en considération dans leur approche des textes littéraires.
(1) Pierre Brunel, Mythocritique. - Théorie et parcours, Presses Universitaires de France, 1992.
Concernant l'apocalypse, précisons, avec Chantal Labre, qu' «une tradition apocalyptique parcourt tous les genres de la littérature, tonalité que retrouvent les périodes marquées par des affrontements religieux (ainsi notre XVIe siècle), ou par le combat du matériel et du spirituel, du juste et de l'injuste, des puissants et des 'humiliés et des 'offensés' (le XIXe siècle).» Chantal Labre, Dictionnaire biblique culturel et littéraire, Armand Colin, 2002, p. 34. (DISPONIBLE AU CDI).
Victor Hugo, par exemple, fait de Jean de Patmos, auteur du livre de la Révélation, un poète de l'abîme sublime, et il le compte parmi les Génies de l'humanité. On comprend que cette figure mytho-poétique lui apparaisse comme un créateur unique, dont il s'inspire sans l'imiter, car le Génie est inimitable (2) :
« … comme visionnaire, il est seul. Aucun rêve n’approche du sien, tant il est avant dans l’infini. Ses métaphores sortent de l’éternité, éperdues (…) Jean est un esprit ! C’est dans Jean de Patmos, parmi tous, qu’est sensible la communication entre certains génies et l’abîme. Dans tous les autres poètes, on devine cette communication ; dans Jean, on la voit, par moments on la touche, et l’on a le frisson de poser, pour ainsi dire, la main sur cette porte sombre. Par ici, on va du côté de Dieu. Il semble, quand on lit le poème de Patmos, que quelqu’un vous pousse par-derrière. La redoutable ouverture se dessine confusément. On en sent l’épouvante et l’attraction. Jean n’aurait que cela, qu’il serait immense. »
Victor Hugo, « Les Génies », dans William Shakespeare, Folio Classique, 2018, p. 104-105.
(2) « ... les poètes et les écrivains du XIXe siècle n’ont ni maîtres ni modèles. Non, dans tout cet art vaste et sublime de tous les peuples, dans toutes ces créations grandioses de toutes les époques, non, pas même toi, Eschyle, pas même toi, Dante, pas même toi, Shakespeare, non, ils n’ont ni modèles ni maîtres. Et pourquoi n’ont-ils ni maîtres ni modèles ? C’est parce qu’ils ont un modèle, l’Homme, et parce qu’ils ont un maître, Dieu. » William Shakespeare, p. 355-356.
La culture biblique sur ce blogue : billet du 23 janvier 2014 ; billet du 12 avril 2015 ; billet du 6 février 2017 ; billet du 26 octobre 2018.
L'EXPOSITION À LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
La BnF propose la première grande exposition consacrée à l’apocalypse. L’apocalypse ? Un mot obscur, qui fait peur, un mot qui parle de la fin du monde. Il n’en finit pas de résonner depuis deux mille ans dans notre culture et nos sociétés occidentales quand survient une catastrophe majeure, et aujourd’hui encore, en fond de nos angoisses climatiques. Et pourtant… Ce mot signifie révélation, dévoilement. Dans sa source biblique, l’Apocalypse parle d’un voile se levant sur le royaume intemporel qui réunira les croyants dans la Jérusalem céleste. Un mot porteur d’espoir, fait pour déjouer nos peurs profondes ?
Du Moyen Âge à notre époque, l’exposition traverse cet imaginaire en montrant certains des plus prestigieux manuscrits de l’Apocalypse de Jean, des fragments rarement présentés de la célèbre tenture de tapisseries d’Angers, ou la fameuse suite de gravures de Dürer consacrées au texte, mais aussi de nombreux chefs-d’œuvre, tableaux, sculptures, photographies, installations, livres rares, extraits de films, venant des collections de la Bibliothèque comme des plus grandes collections françaises et européennes, publiques et privées (Centre Pompidou, musée d’Orsay, British Museum, Victoria and Albert Museum, etc.).
Ouvrant le parcours de l’exposition sur les deux galeries du site François-Mitterrand, la section « Le Livre de la Révélation » plonge le spectateur dans l’Apocalypse de Jean, le texte apocalyptique le plus célèbre de l’Occident. Elle offre des clés d’interprétation des représentations liées aux différents épisodes qui le composent, des sept sceaux au Jugement dernier, en mettant en lumière le sens originel du récit : le sens positif d’une révélation plutôt que d’une fin tragique. En explorant ce texte complexe et infiniment riche, et en exposant ses visions ainsi que les récits multiples qui s’y entremêlent, l’exposition cherche à renouer avec la compréhension de ce message et de cette mise en garde vieille de 2000 ans. Manuscrits enluminés flamboyants et œuvres majeures — peintures, sculptures, dessins, vitraux, et tapisseries — témoignent de l’importance et de la diffusion de ce texte et de son iconographie au Moyen Âge, tout en montrant comment cet imaginaire s’est consolidé et continue d’influencer notre époque.
La seconde partie de l’exposition, intitulée « Le temps des catastrophes », est consacrée à la fortune de l’apocalypse dans les arts, de Dürer à Brassaï, en passant par le sublime apocalyptique anglais et l’expressionnisme allemand. Elle rappelle que le texte a donné naissance à des œuvres qui comptent parmi les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art, illustrant ainsi la fascination tenace et persistante des artistes — et à travers eux, de l’humanité — pour ce récit qui mêle les fléaux et la fin des temps à l’espoir et à l’attente d’un monde nouveau.
Loin de se limiter à une vision catastrophiste de l’apocalypse, véhiculée par le genre post-apocalyptique dans la littérature, le cinéma et la bande dessinée, et revenant à son sens originel, l’exposition accorde une large place au « Jour d’après ». Cette section présente un ensemble d’œuvres contemporaines, dont certaines de format monumental (Otobong Nkanga, Abdelkader Benchamma, etc.), qui esquissent ce « Jour d’après », marqué par la « colère » divine ou celle des éléments. C’est autour de ce « Jour d’après » que se construisent les fictions et représentations les plus inventives, qui, d’une certaine manière, restent fidèles à l’apocalypse, en concevant la catastrophe comme le prélude à un nouvel ordre du monde.
Source : BnF.
Apocalypse de Saint Jean, en français, Colins Chadewe, enlumineur - XIVe siècle - BnF, département des Manuscrits. Français 13096
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