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Robert Schumann

(Source : France Musique)

Il faut écouter le cycle en entier pour être touché par la beauté de ces lieder. Je ne donne ci-dessous que les textes de ceux qui me requièrent le plus. Mon choix est donc subjectif.

Quelques mots de Nerval sur Heine :

« Quel est le sujet de l’Intermezzo ? Une jeune fille d’abord aimée par le poète, et qui le quitte pour un fiancé ou pour tout autre amant riche ou stupide. Rien de plus, rien de moins ; la chose arrive tous les jours. La jeune fille est jolie, coquette, frivole, un peu méchante, moitié par caprice, moitié par ignorance. Les Anciens représentaient l’âme sous la forme d’un papillon. Comme Psyché, cette femme tient dans ses mains l’âme délicate de son amant, et lui fait subir toutes les tortures que les enfants font souffrir aux papillons. Ce n’est pas toujours mauvaise intention sans doute ; cependant la poussière bleue et rouge lui reste aux doigts, la frêle gaze se déchire, et le pauvre insecte s’échappe tout froissé. Du reste, chez cette jeune fille peut-être aucun don particulier, ni beauté surhumaine, ni charme souverain ; des yeux bleus, de petites joues fraîches, un sourire vermeil, une peau douce, de l’esprit comme une rose et du goût comme un fruit, voilà tout. Qui n’a dans ses souvenirs de jeunesse un portrait de ce genre à moitié effacé ? Cette donnée toute vulgaire, qui ne fournirait pas deux pages de roman, est devenue entre les mains de Henri Heine un admirable poème, dont les péripéties sont toutes morales ; toute l’âme humaine vibre dans ces petites pièces, dont les plus longues ont trois ou quatre strophes. Passion, tristesse, ironie, vif sentiment de la nature et de la beauté plastique, tout cela s’y mélange dans la proportion la plus imprévue et la plus heureuse ; il y a çà et là des pensées de moraliste condensées en deux vers, en deux mots ; un trait comique vous fait pleurer, une apostrophe pathétique vous fait rire ; les larmes à chaque instant vous viennent aux paupières et le sourire aux lèvres, sans qu’on puisse dire pourquoi, tant la fibre secrète a été touchée d’une main légère ! En lisant l’Intermezzo, l’on éprouve comme une espèce d’effroi : vous rougissez comme surpris dans votre secret ; les battements de votre cœur sont rythmés par ces strophes, par ces vers, de huit syllabes pour la plupart. Ces pleurs que vous aviez versés tout seul, au fond de votre chambre, les voilà figés et cristallisés sur une trame immortelle. Il semble que le poète ait entendu vos sanglots, et pourtant ce sont les siens qu’il a notés. (…).»

Gérard de Nerval, Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1848 (« Note du traducteur »), extrait de Poèmes d'Outre-Rhin, Grasset, coll. «Les Cahiers Rouges», 1996, p. 206 et sqq.


Quelques mots de Michel Schneider sur le lied schumannien :

« Schumann a manqué être poète du verbe, il a été poète du piano, maintenant il le devient des mots chantés avec piano. Mais s’agit-il d’une vraie rupture ? Ce sont les mêmes voix intérieures qui parlent dans le cœur du piano et la gorge du chanteur. Dans l’histoire du lied, les siens se singularisent par le caractère élaboré de la partie de piano, prenant une importance symphonique et psychologique qui en fait un véritable poème instrumental. Le lied schumannien est tout sauf un chant accompagné, ce sont deux voix intimement fondues ou parlant à tour de rôle une même langue. »

Michel Schneider, Schumann. – Les Voix intérieures, Gallimard, coll. « Découvertes », 2005, p. 51.


1.« Im wunderschönen Monat Mai » 2.« Aus meinen Tränen sprießen » 3.« Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne » 4.« Wenn ich in deine Augen seh » 5.« Ich will meine Seele tauchen » 6.« Im Rhein, im heiligen Strome » 7.« Ich grolle nicht » 8.« Und wüssten's die Blumen » 9.« Das ist ein Flöten und Geigen » 10.« Hör' ich das Liedchen klingen » 11.« Ein Jüngling liebt ein Mädchen » 12.« Am leuchtenden Sommermorgen » 13.« Ich hab' im Traum geweinet » 14.« Allnächtlich im Traume » 15.« Aus alten Märchen winkt es » 16.« Die alten, bösen Lieder »

Im wunderschönen Monat Mai

Als alle Knospen sprangen

Da ist in meinem Herzen

Die Liebe aufgegangen.

Im wunderschönen Monat Mai

Als alle Vögel sangen

Da hab ich ihr gestanden

Mein Sehnen und Verlangen.


***

Au splendide mois de mai, alors que tous les bourgeons rompaient l’écorce, l’amour s’épanouit dans mon cœur.

Au splendide mois de mai, alors que tous les oiseaux commençaient à chanter, j’ai confessé à ma toute belle mes vœux et mes tendres désirs.


Ich will meine Seele tauschen

In den Kelch der Lilie hinein;

Die Lilie soll klingend hauchen

Ein Lied von der Liebsten mein.

Das Lied soll schauern und beben

Wie der Kuß von ihrem Mund,

Den sie mir einst gegeben

In wunderbar süßer Stund.


***

Je voudrais plonger mon âme dans le calice d’un lis blanc ; le lis blanc doit alors soupirer une chanson pour ma bien-aimée.

La chanson doit trembler et frissonner comme le baiser que m’ont donné autrefois ses lèvres dans une heure mystérieuse et tendre.


Im Rhein, im heiligen Strome

Da spiegelt sich in den Well’n

Mit seinem großen Dome

Das große, heilige Köln

Im Dom da steht ein Bildnis,

Auf goldenem Leder gemalt.

In meines Lebens Wildnis

Hat’s freundlich hinein gestrahlt.

Es schweben Blumen und Englein

Um unsere liebe Frau.

Die Augen, die Lippen, die Wänglein,

Die gleichen der Liebsten genau.


***

Dans les eaux du Rhin, le saint fleuve, se joue, avec son grand dôme, la grande, la sainte Cologne.

Dans le dôme est une figure peinte sur cuir doré ; sur le désert de ma vie elle a doucement rayonné.

Des fleurs et des anges flottent au-dessus de Notre-Dame ; les yeux, les lèvres, les joues ressemblent à ceux de ma bien-aimée.


Ich grolle nicht, und wenn das Herz auch bricht,

Ewig verlor’nes Lieb ! Ich grolle nicht.

Wie du auch strahlst in Diamantenpracht,

Es fällt kein Strahl in deines Herzens Nacht.

Das weiß ich längst. A’. Ich sah dich ja im Traume

Und sah die Nacht in deines Herzens Raume

Und sah die Schlang’, die dir am Herzen frißt,

Ich sah, mein Lieb, wie sehr du elend bist.


***

Je ne t’en veux pas ; et si mon cœur se brise, bien-aimée que j’ai perdue pour toujours, je ne t’en veux pas ! Tu brilles de tout l’éclat de la parure nuptiale, mais aucun rayon de tes diamants ne tombe dans la nuit de ton cœur.

Je le sais depuis longtemps. Je t’ai vue naguère en rêve, et j’ai vu la nuit qui remplit ton âme et les vipères qui serpentent dans cette nuit. J’ai vu, ma bien-aimée, combien au fond tu es malheureuse.


Hör ich das Liedchen klingen,

Das einst die Liebste sang,

So will mir die Brust zerspringen

Vor wildem Schmerzendrang.

Es treibt mich ein dunkles Sehnen

Hinauf zur Waldeshöh’,

Dort löst sich auf in Tränen

Mein übergroßes Weh.


***

Quand j’entends résonner la petite chanson que ma bien-aimée chantait autrefois, il me semble que ma poitrine va se rompre sous l’étreinte de ma douleur.

Un obscur désir me pousse vers les hauteurs des bois ; là, se dissout en larmes mon immense chagrin.


Am leuchtenden Sommermorgen

Geh ich im Garten herum.

Es flüstern und sprechen die Blumen,

Ich aber wandle stumm.

Es flüstern und sprechen die Blumen,

Und schaun mitleidig mich an:

"Sei unserer Schwester nicht böse,

Du trauriger, blasser Mann!"


***

Par une brillante matinée, je me promenais dans le jardin. Les fleurs chuchotaient et parlaient ensemble, mais moi je marchais silencieux.

Les fleurs chuchotaient et parlaient, et me regardaient avec compassion. « Ne te fâche pas contre notre sœur, ô toi, triste et pâle amoureux ! »


Ajoutez Le Voyage d'hiver (1827), de Franz Schubert (1797-1828), à votre discothèque ! Ce cycle de lieder est composé sur des poèmes de Wilhelm Müller (1794-1827).

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BONNE NUIT

« L’amour est comme Dieu l’a fait

Il n’aime que le voyage

L’amour est comme Dieu l’a fait

Il va à l’un il va à l’autre

L’amour n’aime que le voyage

Ma bien-aimée que la nuit te soit douce

Il va à l’un il va à l’autre

Ma bien-aimée que la nuit te soit douce »

Traduction d'un extrait du Voyage d'hiver par le poète Jean-Pierre Siméon, éd. Les Solitaires intempestifs, 2011, p. 10.