André Dhôtel, Rimbaud et la révolte moderne, « Le Problème », La Table ronde, 2004, pp. 22-23. (Première publication avec ce titre en 1952, aux éditions Gallimard).

Ce texte vous est proposé pour nourrir votre réflexion sur un des aspects du "mythe de Rimbaud" : la Révolte. On peut y ajouter, extrait de L'Homme révolté, d'Albert Camus, le début du chapitre intitulé "Surréalisme et Révolution", qui évoque brièvement le cas Rimbaud. Un exposé est prévu la semaine prochaine sur ce thème.

"L’histoire de Rimbaud est connue. Il abandonna les études qu’il avait commencées au collège de Charleville, et quitta à plusieurs reprises une ville où il avait pris en haine les règles de la vie provinciale. Sa mère, attachée à des principes d’éducation inflexibles, avait voulu le maintenir dans le devoir avec trop de rigueur. Rimbaud voyagea sans argent. Il mena une vie troublée qui ne fut pas souvent adoucie par la confiance qu’il avait dans son talent d’écrivain. Peu de gens à Paris s’intéressèrent vraiment à ses poèmes. Il ne se trouva personne pour lui donner ce « peu de confiance » qui aurait peut-être modéré le tourment de son intelligence. Rimbaud continua à vivre en révolté, sans se soucier de respecter les conventions admises, puisqu’il sentait de grands espoirs lui échapper.

Il voyagea encore, et partit pour l’Angleterre, accompagné de Verlaine, avec lequel il entretint des rapports que nos mœurs condamnent. Il écrivait peu, sinon quelques poèmes qui achevèrent de composer le petit ouvrage Illuminations. Lorsque Rimbaud revint à Roche, près d’Attigny, dans la ferme de ses parents, il pouvait se considérer comme un médiocre petit-bourgeois, égaré dans de stupides aventures, paresseux et inutilement révolté. Il avait dix-huit ans. Le souvenir d’une jeune fille aimée, puis perdue lui restait, si l’on en croit de vagues témoignages. Aucun point de repère ne lui permettait de parvenir à connaître clairement la force de son esprit. Aussi chercha-t-il un moyen de salut désespéré en faisant une grande œuvre pour laquelle il avait déjà, en Angleterre, écrit quelques brouillons. Quand il eut achevé cette Saison en enfer, il renonça à composer de nouveaux ouvrages. Il ne montra même plus aucun goût pour ce que nous nommons la littérature. Après de nouveaux vagabondages, il parvint à obtenir un emploi convenable au service d’une maison de commerce d’Aden.

Voilà en peu de mots ce que fut autrefois la vie de Rimbaud. Elle est aujourd’hui devenue plus merveilleuse.

Je voudrais mener cette étude en négligeant une gloire venue trop tard, et ne songer qu’à un jeune provincial sans ressources, qui maudit sa vie et dont la pensée possède encore la fraîcheur des certitudes que le monde ignore.

Lorsque Rimbaud se présente à nous tel qu’il fut à ce moment où il ne pouvait prétendre éblouir personne par ses écrits bizarres, nous nous demandons s’il n’était pas à la recherche d’une vérité curieuse, étrangère à notre esprit. A mesure que nous lisons ce qu’il nous a laissé, la conviction se fait. Certaines phrases ressemblent à des fragments d’une correspondance hâtive, ou même à des aperçus d’expériences qu’il aurait simplement notés."