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(c) P.O.L. (1988) et Gallimard (1989)


Art poétique (calque du lat., lui-même du grec poietikê tekhnê, Aristote) : ensemble des techniques langagières, rhétoriques, métriques, etc., propres à la poésie. ➙ 2. Poétique (n. f.). — Traité de poétique et de rhétorique. Les arts poétiques médiévaux, classiques. L'Art poétique, de Boileau.

Le Grand Robert de la langue française


Nicolas Boileau

Art poétique (1674)

C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur

Pense de l'art des vers atteindre la hauteur :

S'il ne sent point du ciel l'influence secrète,

Si son astre en naissant ne l'a formé poëte,

Dans son génie étroit il est toujours captif:

Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.

O vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse,

Courez du bel esprit la carrière épineuse,

N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,

Ni prendre pour génie un amour de rimer:

Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,

Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.

La nature, fertile en esprits excellents,

Sait entre les auteurs partager les talents :

L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme;

L'autre d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme;

Malherbe d'un héros peut vanter les exploits

Racan, chanter Philis, les bergers et les bois :

Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime

Méconnoît son génie, et s'ignore soi-même. (...)

Extrait du Chant I


***

Jean de La Fontaine, Epître à Huet (1687)

Je vous fais un présent capable de me nuire.

Chez vous Quintilien s'en va tous nous détruire

Car enfin qui le suit? qui de nous aujourd'hui

S'égale aux anciens tant estimés chez lui?

Tel est mon sentiment, tel doit être le vôtre.

Mais si notre suffrage en entraîne quelque autre,

Il ne fait pas la foule ; et je vois des auteurs

Qui, plus savants que moi, sont moins admirateurs.

Si nous les en croyons, on ne peut sans faiblesse

Rendre hommage aux esprits de Rome et de la Grèce

Craindre ces écrivains ! on écrit tant chez nous

La France excelle aux arts, ils y fleurissent tous

Notre prince avec art nous conduit aux alarmes,



Et sans art nous louerions le succès de ses armes

Dieu désapprendrait-il à former des talents?

Les Romains et les Grecs sont-ils seuls excellents?

Ces discours sont fort beaux, mais fort souvent

Je ne vois point l'effet répondre à ces paroles

Et, faute d'admirer les Grecs et les Romains,

On s'égare en voulant tenir d'autres chemins.



Quelques imitateurs, sot bétail, je l'avoue,



Suivent en vrais moutons le pasteur de Mantoue

J'en use d'autre sorte ; et, me laissant guider,



Souvent à marcher seul j'ose me hasarder.

On me verra toujours pratiquer cet usage



Mon imitation n'est point un esclavage

Je ne prends que l'idée, et les tours, et les lois,

Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois,

Si d'ailleurs quelque endroit plein chez eux d'excellence

Peut entrer dans mes vers sans nulle violence,

Je l'y transporte, et veux qu'il n'ait rien d'affecté,

Tâchant de rendre mien cet air d'antiquité.

Je vois avec douleur ces routes méprisées

Art et guides, tout est dans les Champs Élysées

J'ai beau les évoquer, j'ai beau vanter leurs traits,

On me laisse tout seul admirer leurs attraits.

Térence est dans mes mains ; je m'instruis dans Horace;



Homère et son rival sont mes dieux du Parnasse.



Je le dis aux rochers ; on veut d'autres discours



Ne pas louer son siècle est parler à des sourds.

Je le loue, et je sais qu'il n'est pas sans mérite

Mais près de ces grands noms notre gloire est petite

Tel de nous, dépourvu de leur solidité,

N'a qu'un peu d'agrément, sans nul fonds de beauté

Je ne nomme personne on peut tous nous connaître.

Je pris certain auteur autrefois pour mon maître;

Il pensa me gâter. A la fin, grâce aux Cieux,

Horace, par bonheur, me dessilla les yeux.


***

Guillevic, (1907-1997) Art poétique (1989). Le livre est dédié à Jean de La Fontaine...

Le poème

Nous met au monde.


***

Rêvé

D'un seul poème

Qui dirait la somme

De tes rapports avec le monde

Et ce toi-même en toi.

La somme que le tout

Doit dire à travers toi.


***

Dans le poème

On peut lire

Le monde comme il apparaît

Au premier regard.

Mais le poème

Est un miroir

Qui offre d'entrer

Dans le reflet

Pour le travailler,

Le modifier.

-- Alors le reflet modifié

Réagit sur l'objet

Qui s'est laissé refléter.


***

Olivier Cadiot (né en 1956) L'art poetic' (1988)

La vertu est si belle, que les barbares mêmes lui rendent hommage

Et Pierre qui n'est pas là !

Le bleu, c'est ce qui me va le mieux

vous n'êtes pas gentilhomme, vous n'aurez pas ma fille

TOUT LE MONDE (stupéfait) Oh !

Pourquoi n'aurai-je pas votre fille ?

Car vous n'êtes pas gentilhomme

Ah ? je ne savais pas

TOUS (étonnés) Oh !

Je n'ai d'autre désir que de vous être utile

(à jamais, pour jamais.)

Ah que c'est beau !

devenir, rester, demeurer, vivre, mourir, tomber

Il est impossible de partir. C'est impossible

(...)


Revue de Presse :

«Avec un bonheur d'écriture de chaque instant, qui sait ne pas éviter quelque effet décoratif, Olivier Cadiot applique les règles d'une grammaire fondée sur la répétition détournée à un vocabulaire minimum. La mise en vers est une mise de la phrase dans ses plis et son accordéon. Avec aussi, ce rien de pervers qui pertube l'apparente simplicité de la lecture. ... Le mot s'éprouve dans la formule, la formule sur de légers froissements dans l'ordre et dans la fabrique interne des vocables, dans une tentative d'objectivisation par accumulation de traits distincifs. La rapidité, le renouvellemnt de la manière est ici indispensable à la lutte contre l'usure des procédés. ... Alors, voilà : un livre nouveau, un poète nouveau.»

Révolution, 2 avril 1988


Sur la manière d'écrire d'Olivier Cadiot, qui concerne tous ses livres :


La configuration de ce blogue ne permet pas de respecter la composition strophique du poème de Guillevic ni la disposition typographique des phrases de Cadiot.