Odilon_Redon_Pascal.jpg

Odilon Redon, «Le silence éternel de ces espaces infinis m effraie». Citation des Pensées, de Pascal, fr. 233 (éd. Sellier).



Pascal, Pensées, extrait du fragment 681(éd. Sellier, p. 470-472).

Un questionnaire a été distribué en classe.



«Il ne faut pas avoir l'âme fort élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs ne sont que vanité, que nos maux sont infinis, et qu'enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement nous mettre, dans peu d'années, dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou malheureux.

Il n'y a rien de plus réel que cela, ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves : voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde. Qu'on fasse réflexion là-dessus, et qu'on dise ensuite s'il n'est pas indubitable qu'il n'y a de bien en cette vie qu'en l'espérance d'une autre vie, qu'on n'est heureux qu'à mesure qu'on s'en approche, et que, comme il n'y aura plus de malheurs pour ceux qui avaient une entière assurance de l'éternité, il n'y a point aussi de bonheur pour ceux qui n'en ont aucune lumière !

C'est donc assurément un grand mal que d'être dans ce doute; mais c'est au moins un devoir indispensable de chercher, quand on est dans ce doute ; et ainsi celui qui doute et qui ne recherche pas est tout ensemble et bien malheureux et bien injuste. Que s'il est avec cela tranquille et satisfait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse le sujet de sa joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualifier une si extravagante créature.

Où peut-on prendre ces sentiments? Quel sujet de joie trouve-t-on à n'attendre plus que des misères sans ressources? Quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables, et comment se peut-il faire que ce raisonnement se passe dans un homme raisonnable?

"Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même ; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses; je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, et ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a précédé et de toute celle qui me suit.

Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m'enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour.

Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir ; mais ce que j'ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter.

Comme je ne sais d'où je viens, aussi je ne sais où je vais ; et je sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage. Voilà mon état, plein de faiblesse et d'incertitude. Et, de tout cela, je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher ce qui doit m'arriver. Peut-être que je pourrais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes ; mais je n'en veux pas prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher; et après, en traitant avec mépris ceux qui se travailleront de ce soin, je veux aller sans prévoyance et sans crainte tenter un si grand événement, et me laisser mollement conduire à la mort, dans l'incertitude de l'éternité de ma condition future."

Qui souhaiterait d'avoir pour ami un homme qui discourt de cette manière? Qui le choisirait entre les autres pour lui communiquer ses affaires? Qui aurait recours à lui dans ses afflictions? Et enfin à quel usage de la vie le pourrait-on destiner? »


Purcell, King Arthur

Acte III, Air du Génie du froid

Le Génie du froid, apostrophé par Cupidon qui lui demande s'il dort sous ces monceaux de neige : «Réveille-toi, réveille-toi, secoue l'hiver de ton manteau de fourrure !»...

What power art thou, who from below

Hast made me rise unwillingly and slow

From bed of everlasting snow?

See’st thou not how stiff and wondrous old

Far unfit to bear the bitter cold,

I can scarcely move or draw my breath ?

Let me, let me freeze again to death.

Quelle puissance es-tu, toi qui, du tréfonds,

M'a fait lever à regret et lentement

Du lit des neiges éternelles ?

Ne vois-tu pas combien, raidi par les ans,

Trop engourdi pour supporter le froid mordant,

Je puis à peine bouger ou exhaler mon haleine ?

Laisse-moi, laisse-moi geler à nouveau, jusqu'à mourir de froid.

(traduction de l'Université Michel de Montaigne Bordeaux 3)


Pensées, fr. 181 (extrait)

«Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide et qu’il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes les secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu même.»


Baudelaire pascalien dans Les Fleurs du mal ?

«Le Gouffre» (1)

«Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.

- Hélas ! tout est abîme, - action, désir, rêve,

Parole ! et sur mon poil qui tout droit se relève

Maintes fois de la Peur je sens passer le vent.

En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,

Le silence, l'espace affreux et captivant...

Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant

Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou,

Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où ;

Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres,

Et mon esprit, toujours du vertige hanté,

Jalouse du néant l'insensibilité.

Ah ! ne jamais sortir des Nombres et des Etres !»

(1) Les paramètres de ce blogue ne me permettent pas de respecter la composition strophique de ce sonnet.