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Arthur Rimbaud, « Phrases » , manuscrit autographe (extrait, 1re partie). (Bibliothèque nationale de France)

Pour se préparer à l'exposé de Mathilde G., voici deux extraits du livre très suggestif de Gabriel Bounoure (1886-1969), professeur, écrivain et grand lecteur de poésie :

Gabriel Bounoure, Le Silence de RimbaudPetite contribution au mythe, éditions Fata Morgana, 1991, pp. 17-21.

L'auteur imagine ce que le poète Rimbaud aurait pu dire de son silence...




Et si la poésie ne pouvait échapper à la condition de recéler et d’accomplir son désastre ? Et ensuite de détruire sa destruction ? En sorte que renonçant à la poésie par une décision de colère que personne n’a pu comprendre (et pas même moi) je n’ai fait que lui demeurer fidèle et proclamer ma foi en elle. Certes j’étais sincère en la congédiant avec le même mot d’outrage qu’enfant je lançais contre Dieu. J’ai réellement voulu m’abrutir. J’y ai travaillé. Travaillé à prendre au sérieux la morale de ma mère, la géographie, mes livres de compte. Incommensurable dépit. Mais je ne dormais pas. Et dans mes insomnies persistait malgré tout, contre mes cris et ma rage de suicide, un lambeau de confiance idiote, le soupçon d’une valeur inconnue attachée aux gloires et aux défaites de la poésie.

C’était beau de m’obstiner « avec mon cœur terrestre » dans cette rupture. J’avais emporté une déception inguérissable. Je « faisais des affaires » (comme on dit ignoblement) en nourrissant les rancunes négatrices d’un desperado. Comme après une trahison d’amour. Enfin, je tenais ma vengeance, ma guérison. A la fin j’ai vu que la bêtise des commerçants d’Aden, quoique moins prétentieuse, égalait celle de tous ces imbéciles du Parnasse contemporain. Où aller ?

Ici seulement, dans cette indigence éternelle que l’Orient nourrit comme sa Vérité, j’ai compris que toutes les images de mon ancienne parade n’étaient que des Non qui se mordaient violemment dans l’espace de mon poème afin d’y ouvrir des fissures d’où pourrait irradier un Oui indicible.

J’avais tant demandé à la poésie que voyant le peu qu’elle donne, je me suis rué dans son contraire. Mais c’était elle qui menait le jeu. Il n’est rien de si essentiel à la poésie que ce désaveu de la poésie. C’est elle-même qui s’est niée en moi, qui s’est faite non-poésie.

(…)

Dernières lignes du livre de G. Bounoure (p. 47).

Le mutisme de Rimbaud nourrit toute la pensée poétique des modernes. Ce qu’il a découvert, c’est que le langage poétique n’a d’existence qu’en raison de son envers ou de son contrepoids de silence. A cause de cela on peut dire que le silence de Rimbaud est plus vivant que tout ce qu’il a écrit. Ce silence illustre nous obsède, retentit en nous comme un appel, bat en nous comme un cœur. C’est un silence où tourbillonnent sans fin les énergies inépuisables, qui, entre les mystères d’en haut et ceux d’en bas, passent par le secret de l’homme.